La petite histoire d’une grande historienne

C’est une pionnière. L’une des premières à s’intéresser à l’histoire des femmes en général, et à l’histoire des femmes au Québec en particulier. N’empêche : cela aura pris 40 longues années à Micheline Dumont avant de se dire féministe.

On ne naît pas féministe, donc, on le devient, puis on le réalise, oserait-on ajouter, à la lecture du bien nommé De si longues racines, autobiographie publiée aux Éditions du remue-ménage et lancée ce mardi soir, à la librairie féministe l’Euguélionne, à Montréal.

Professeure d’histoire à l’Université de Sherbrooke pendant 30 ans, Micheline Dumont, à qui l’on doit le premier ouvrage de référence sur l’histoire des femmes au Québec (un collectif publié en 1982), mais aussi Le féminisme québécois raconté à Camille (ouvrage de vulgarisation) en passant par Pas d’histoire, les femmes ! Réflexions d’une historienne indignée, se raconte ici sans filtre, de sa naissance à aujourd’hui. Un parcours sur près d’un siècle, à mi-chemin entre le roman et le livre d’histoire, tant les anecdotes, réflexions et autres illustrations (et photos il y a, en quantité en plus) sont éloquentes. Sans oublier quelques « évènements traumatisants », enfouis loin, qui lui sont revenus pendant la vague #metoo. Un vrai témoin d’une époque, quoi.

« J’étais pas mal, disons-le, niaise ! », confie d’emblée la principale intéressée, rencontrée lundi pour se raconter.

Ça vous donne une idée du ton, et de la complicité, d’une grande dame qui a par ailleurs défoncé les portes de l’Université de Montréal quand peu de femmes y entraient (les cheveux courts coupés maison et sans bas nylon, par-dessus le marché) et creusé une discipline à laquelle personne ne s’intéressait.

La jeunesse

Dans son récit de « la vie d’une jeune fille de bonne famille dans les années 40 et 50 », Micheline Dumont raconte donc sa famille (« sévère », notamment son père, qui ne voulait pas qu’elle fasse des études, à quoi bon une fille instruite ?), ses années au pensionnat (qu’elle a « adorées ! »), grâce à une bourse, et finalement son éducation, certes trop pieuse, quoiqu’éclairée.

Au passage, elle y glisse son ignorance quasi « totale » des garçons « et de la vie adulte » (on ne parlait pas de ces choses-là), à son grand dam, et son plus grand regret. « J’aurais aimé être plus libre, plus dégagée », confie celle qui n’a fini par embrasser un garçon qu’à 23 ans sonnés, et non sans peine, rit-elle, les yeux au ciel.

« Non, mais l’ignorance dans laquelle on était !  »

— Micheline Dumont, historienne

À l’université, donc, et dans ses cours de littérature, Micheline Dumont se souvient de n’avoir étudié que des hommes (« mais pourquoi ce parti pris forcené pour ce que les hommes font ? », se demande-t-elle à ce jour), tandis qu’en histoire, elle comprend que la matière n’est finalement qu’« interprétation ». Et c’est une révélation.

« L’histoire, tu penses qu’elle est là, inscrite dans les livres, inscrite dans la mémoire, puis je m’aperçois que les Anglais ont une interprétation complètement différente. Que ce doit être la même chose pour tous les pays. Cela m’ouvre à un horizon intellectuel absolument extraordinaire. »

« Ça y est »

À travers toutes ces années d’études et de découvertes, Micheline Dumont rêve toujours d’une vie à deux. Elle se sent aussi longtemps déchirée entre ses aspirations familiales et professionnelles. Il faut dire qu’à l’époque, la conjugaison des deux est tout simplement inimaginable. « Ça ne se pense même pas ! »

C’est ainsi que quand elle lit Simone de Beauvoir, elle se sent interpellée (« elle a raison, […] c’est ça ! […] la théorie de l’infériorité sociale des femmes ! »), mais sans plus. « Pas assez pour me lancer dans l’action. » Ses priorités sont ailleurs, comprend-on, dans ses études et ses recherches. Puis quand elle lit Betty Friedan, elle ne s’identifie pas davantage. La femme mystifiée ? « Ce n’est pas moi, c’est les autres, croit-elle. Moi, j’enseigne ! » Idem quand elle se plonge dans Germaine Greer. Pourquoi donc, au fait ? « Mais parce que je suis ignorante de ce qui arrive aux autres femmes ! », répond-elle tout bonnement.

Ce n’est qu’après avoir déposé sa thèse, avoir enseigné, s’être mariée, et avoir accouché quelques fois, que Micheline Dumont le réalise enfin. Le récit de son épiphanie, à quelques pages de la fin du livre, est un délice. En deux heures, et en lisant cette fois Benoîte Groult, « ça y est, écrit-elle, je suis féministe ! » Elle a 40 ans. « Je dois agir, allons-y ! »

On connaît la suite, les publications, conférences et autres recherches menées. Mais c’est le passé que Micheline Dumont souhaite ici qu’on retienne. « Je veux parler aux jeunes femmes, pour qu’elles sachent comment on vivait, qu’elles comprennent […] l’ignorance dans laquelle on était ! », martèle-t-elle.

De si longues racines

Micheline Dumont

Les Éditions du remue-ménage 269 pages

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