Changements climatiques

« La réponse du Québec n’est pas à la hauteur »

Un rapport d’experts recommande un moratoire sur les projets routiers

Québec doit donner un coup de barre s’il veut atteindre son objectif de carboneutralité d’ici 2050, prévient le comité d’experts chargé de conseiller le gouvernement en matière de changements climatiques. Dans un nouveau rapport, le groupe recommande deux moratoires au gouvernement Legault : stopper la destruction des milieux naturels et mettre sur pause à court terme toute autorisation à de nouveaux projets qui augmentent la capacité autoroutière.

Dans un avis d’une quarantaine de pages qui sera rendu public ce lundi à 9 h, le Comité consultatif sur les changements climatiques lance une sérieuse mise en garde au gouvernement du Québec. L’électrification des transports ne sera pas suffisante pour faire face à l’urgence climatique. C’est tout l’aménagement du territoire qui doit être revu en profondeur dans les plus brefs délais.

Le Comité consultatif sur les changements climatiques est un organisme indépendant qui a pour mission de conseiller le ministre québécois de l’Environnement « sur les orientations, les programmes, les politiques et les stratégies en matière de lutte contre les changements climatiques ». Ses avis sont publics.

Dans son plus récent avis intitulé L’aménagement du territoire du Québec : fondamental pour la lutte contre les changements climatiques, le comité signale au gouvernement Legault que « la réponse du Québec n’est toutefois pas à la hauteur de l’urgence climatique ».

« Des changements doivent être apportés aux politiques publiques pour que nos pratiques d’aménagement cessent d’exacerber nos émissions de GES et de limiter nos capacités d’adaptation aux impacts actuels et futurs des changements climatiques. »

– Extrait de l’avis du Comité consultatif sur les changements climatiques

Le rapport indique que la nouvelle Politique nationale d’architecture et d’aménagement du territoire dont le dévoilement est prévu ce printemps « doit marquer un tournant majeur par rapport aux pratiques antérieures et devenir un puissant outil de lutte contre les changements climatiques ». Cette politique est très attendue par le monde municipal, qui souhaite voir Québec fixer des règles plus claires afin de limiter l’étalement urbain et de mieux protéger le territoire agricole et les milieux naturels. Celle-ci fixera notamment les grandes orientations du gouvernement en matière d’aménagement et d’urbanisme.

Stopper l’artificialisation du Québec

Le comité recommande au gouvernement d’adopter rapidement deux moratoires, le temps de se donner des outils d’évaluation qui tiennent compte des impacts des changements climatiques en matière d’aménagement du territoire.

Le premier moratoire vise à stopper « l’artificialisation du Québec méridional » qui se poursuit à grande vitesse, alors que des milieux naturels disparaissent chaque année.

Le rapport rappelle que dans le sud de la province, les surfaces artificielles ont augmenté de 9,3 % entre 1994 et 2007, ce qui représente une superficie de 278 km⁠2, soit l’équivalent de la ville de Laval.

Or, la destruction de ces milieux naturels a pour effet de relâcher le carbone qui y est stocké, en plus de faire disparaître ces puits de carbone essentiels, particulièrement en zone urbaine. « Le désavantage est alors double sans compter tous les autres bénéfices que nous perdons en plus des pertes de biodiversité », signale Jérôme Dupras, professeur au département des sciences naturelles de l’Université du Québec en Outaouais et coauteur du rapport dévoilé lundi.

Le comité suggère donc « un moratoire sur tout changement de zonage induisant une perte de milieux naturels », le temps entre autres que Québec se dote « d’objectifs clairs de conservation et de restauration des milieux naturels » et élabore le plan d’action pour atteindre la cible de 30 % d’aires protégées sur son territoire d’ici 2030.

Le rapport insiste sur « une répartition adéquate » de ces aires protégées, afin que celles-ci ne se retrouvent pas en majorité dans le nord de la province.

L’autre moratoire vise à ne pas augmenter « la capacité autoroutière dans les six régions métropolitaines du Québec tant qu’un mécanisme public d’évaluation des interactions entre mobilité, urbanisme et offre de transport ne soit pleinement opérationnel pour éviter d’encourager l’étalement urbain et la dépendance à l’auto solo ».

La substitution énergétique ne sera pas suffisante

En entrevue avec La Presse, le président du comité, Alain Webster, se défend de vouloir passer un message au sujet du controversé projet de troisième lien à Québec. « Notre rapport ne se penche pas sur un projet spécifique. On sait qu’il y a des enjeux de transport, c’est clair. Notre message, ce n’est pas qu’il ne doit plus rien se passer. Ce que nous disons, c’est qu’il faut intégrer la question des changements climatiques dans nos processus d’évaluation », précise celui qui enseigne l’économie de l’environnement à l’Université de Sherbrooke.

L’enjeu est d’autant plus important, rappelle le comité, puisque « la substitution énergétique ne sera pas à elle seule suffisante. En matière de transport, par exemple, l’électrification des véhicules automobiles et des camions légers devrait permettre une réduction des émissions en 2030 de 13 % par rapport aux émissions de 1990 et cette réduction atteindrait 50 % en 2035 ». La substitution énergétique doit donc « être accompagnée d’une plus grande efficacité énergétique et d’une réduction de la demande totale », indique-t-on.

« Le modèle de développement du territoire du Québec a historiquement reposé sur un niveau élevé de consommation des ressources. Il doit être redéfini pour que le Québec ait une chance d’atteindre ses objectifs climatiques et de limiter le plus possible les dommages engendrés par un climat changeant », conclut le rapport.

« On aimerait que le projet de transition soit emballant. Les enjeux d’aménagement du territoire peuvent amener des gains en termes de qualité de vie et de bien-être pour la population. On ne dit pas que c’est facile. Mais c’est un appel à une nouvelle relation avec le territoire. »

– Alain Webster, président du Comité consultatif sur les changements climatiques

« L’urgence climatique commande un électrochoc face à l’aménagement du territoire, ajoute Jérôme Dupras. Il faut réparer les erreurs du passé, surtout dans le sud du Québec. L’opportunité est là, il faut la saisir. »

Le rapport rendu public lundi a été transmis au ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques le 5 avril dernier.

Qui siège au Comité consultatif sur les changements climatiques ?

Le Comité consultatif sur les changements climatiques est un organisme permanent indépendant qui conseille le ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques. Il compte 12 membres et sa présidence est assurée par le professeur Alain Webster. Y siègent Alain Bourque, du consortium Ouranos, les professeurs et chercheurs Jérôme Dupras, Annie Levasseur, Catherine Morency, Pierre-Olivier Pineau, Catherine Potvin, Lota Dabio Tamini ainsi que Kim Thomassin, Charles Larochelle, Alain Lemaire et Hugo Séguin.

Consultez les publications du Comité


EN SAVOIR PLUS

2,2 milliards
Valeur annuelle des services écologiques rendus par les milieux naturels du Grand Montréal, calculée par le professeur Jérôme Dupras en 2015.

Source: Source : rapport du Comité consultatif sur les changements climatiques

9
Au Québec, l’étalement urbain était 9 fois plus important en 2016 qu’il y a 50 ans. La distance médiane entre le domicile et le travail a d’ailleurs augmenté de 15 % entre 1996 et 2016 dans la province.

Source: Source : rapport du Comité consultatif sur les changements climatiques

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