Les grandes ambitions des Impatients

La prise de conscience collective de l’importance de la santé mentale confirme la pertinence de l’organisme

Les ateliers artistiques se multiplient, la clientèle se diversifie et la mission s’élargit : voilà que Les Impatients souhaitent désormais offrir des services en prévention. À bon entendeur…

« On est malheureusement dans la bonne business », souligne en toute franchise Frédéric Palardy, directeur général de l’organisme, qui lance son exposition et encan annuels cette semaine. « La pandémie a fait réaliser à beaucoup de gens en entreprise, dans le privé, les hôpitaux, tous les problèmes de la santé mentale. […] Là, on grandit, on grossit, on élargit. »

Est-ce vraiment une surprise ? Même Les Impatients ont désormais leurs listes d’attente : « Au début, nous avons un peu créé la demande. Nous allions vers les gens, offrir nos services. Aujourd’hui, ce sont les gens qui nous approchent et qui en veulent plus. »

« Nous avons des listes d’attente partout !  »

— Frédéric Palardy, directeur général des Impatients

Les Impatients viennent en aide aux personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale, par l’entremise de la création artistique, depuis près de 30 ans (29, pour être précis) maintenant. Après un départ dans l’ombre, dans un sous-sol de Pointe-aux-Trembles, l’organisme a pris de sacrées plumes, au point de se déployer aujourd’hui dans une foule de sphères de la société : plus de 30 animateurs offrent leurs services dans une vingtaine de sites (du Centre jeunesse de Chambly au département d’oncologie du CHUM, en passant par les jeunes de l’école La Rue, à Drummondville) à 850 participants/Impatients par semaine, pour plus de 20 000 participations par année. Sans parler de tous les projets dans les cartons.

D’ailleurs, leur nom n’est pas innocent. Pour le rappel, ici, ce ne sont pas des « patients » qui tiennent le pinceau, mais bien des créateurs, par ailleurs impatients, certes, de s’en sortir.

Rencontré la semaine dernière, Frédéric Palardy nous énumère gentiment tous les projets en cours. Ou à venir (notamment un atelier en partenariat avec le CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal, en plus d’espoirs dans la région de Québec). Et ils sont nombreux. Nous sommes d’ailleurs dans les nouveaux locaux (une vaste salle éclairée, munie de grandes fenêtres, d’un immeuble de bureaux du chemin de la Côte-des-Neiges) où se tiennent depuis quelques mois les ateliers offerts aux Impatients référés par trois hôpitaux anglophones (une alliance inusitée entre le Centre universitaire de santé McGill, le centre hospitalier de St. Mary et l’Hôpital général juif), en plus d’un groupe de jeunes envoyés par le collège Marianopolis.

Surmonter les préjugés

Vous avez bien lu. Et c’est d’ailleurs une première que Frédéric Palardy voit d’un très bon œil. Si, à l’origine, la clientèle était ici composée d’un public essentiellement schizophrène ou bipolaire, voilà que des jeunes « qui performent et qui ont un souci de performance immense » se sont joints aux Impatients dans les derniers mois. « C’est un très bon signe que ça vienne d’un cégep privé, glisse-t-il. La santé mentale, ça va avec l’éducation. […] Un peu comme la santé physique. Plus on est éduqués, plus on s’alimente bien. Et ils sont passés par-dessus le préjugé », se félicite-t-il.

C’est d’ailleurs sur la prévention que l’organisme souhaite désormais (et en outre) tabler. « Nous sommes en discussion avec des entreprises, poursuit Frédéric Parlardy, pour offrir des ateliers à des employés. » S’il y a déjà un service offert aux assurés de Desjardins, dit-il, on souhaite aller ici plus loin, carrément en amont. « Parce qu’on sait que les gens sont anxieux, poursuit-il. Or nous, on cherche une solution qui ne soit pas une table de ping-pong… »

À terme, et dans le meilleur des mondes, Les Impatients espèrent se déployer « partout ». Carrément. « C’est un peu mon objectif, confirme Frédéric Palardy. Offrir le service au plus grand nombre. Parce que l’art, c’est une porte d’entrée pour briser l’isolement et créer des liens. Quand on crée quelque chose, on est toujours fiers. […] Ça fait du bien ! »

Elmyna Bouchard, artiste graveuse et intervenante auprès des Impatients depuis 12 ans, en remet : « Les arts, c’est la plateforme pour rejoindre les gens, mais on touche à plein de choses : le rapport humain ! »

« L’art, c’est le prétexte !  »

— Elmyna Bouchard, artiste graveuse et animatrice

Martine en sait quelque chose. La dame, qui a choisi de taire son nom de famille par pudeur, n’en menait pas large quand elle a commencé à fréquenter Les Impatients, l’an dernier, dans le nouvel atelier du chemin de la Côte-des-Neiges.

« J’étais démotivée […] Ça m’a aidée à me restructurer. Tu te lèves le matin et tu vas ailleurs », confie en toute transparence cette ex-gestionnaire, qui travaillait 65 heures par semaine dans une autre vie. « J’essaye de me redonner une discipline de travail. J’adorais travailler. Mais est-ce que je suis capable de respecter cet engagement ? Oui ! Je n’ai manqué qu’une seule fois, pendant la canicule, en un an ! », dit-elle en nous montrant son portfolio (« je ne suis pas une amateure, je suis en voie de professionnalisation ! »), visiblement fière d’elle.

Et il y a de quoi ! « J’ai réalisé que je suis encore capable de travailler ! Parce qu’à un moment donné, on ne sait plus… Quand on ne travaille pas dans notre société, on n’existe pas. C’est clair de même. »

Parle-moi d’amour

L’expo annuelle Parle-moi d’amour se tient cette année à l’Agora du Cœur des sciences de l’UQAM, du 9 au 23 septembre. Au menu : plus de 300 œuvres d’artistes Impatients et de renom en arts visuels (parmi lesquels David Altmejd, Jennifer Alleyn, Marc Séguin, etc.), en plus de dons de collections privées (avec des œuvres ici signées Jean Paul Riopelle, Guido Molinari, Marc-Aurèle Fortin, etc.). James Hyndman y reprend son rôle de porte-parole avec, à ses côtés, Michel Goulet et Caroline Monnet, à titre d’artistes parrain et marraine. Le tout se déroulera cette fois en mode hybride : l’exposition sera accessible, selon les consignes sanitaires en vigueur, tandis que l’encan se tiendra en ligne. Une trentaine d’œuvres seront finalement soumises à un encan crié, pour clôturer festivement l’évènement. Rappelons que tous les fonds ici amassés permettront aux Impatients de continuer à offrir gratuitement leurs ateliers de création, et ce, à travers tout le Québec.

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