transport maritime

Le prix des conteneurs est de plus en plus élevé. Pendant ce temps, à Québec, un obstacle se dresse devant le projet Laurentia.

PME

« Des coûts élevés comme ça, je n’ai jamais vu ça »

Trouver un conteneur vide, un défi de plus en plus compliqué

En 35 ans de carrière, Pierre Lemieux n’a jamais eu à faire des pieds et des mains comme il le fait actuellement pour dénicher les conteneurs maritimes que son entreprise Keca International a besoin d’importer pour fabriquer ses chaises, tabourets et fauteuils.

« J’ai travaillé en Roumanie et en Pologne à l’époque du régime communiste et ce n’était pas difficile comme c’est le cas actuellement, lance le président de l’entreprise montréalaise, au bout du fil. Des coûts élevés comme ça, je n’ai jamais vu ça. »

Comme beaucoup d’entreprises, Keca est aux prises avec le problème de la disponibilité des conteneurs, qui contribue à faire exploser les coûts du transport maritime alors qu’on s’arrache les boîtes métalliques vides – une situation qui ne semble pas sur le point de se résorber.

Résultat : le prix des conteneurs a explosé et les places sur les navires sont rares. En dépit du contexte de relance économique, les marges des importateurs et exportateurs sont grugées. Le contexte contribue à alimenter les pressions inflationnistes puisqu’une partie des augmentations sont refilées aux consommateurs. Environ 80 % des biens consommés dans le monde sont livrés par bateau.

« En Chine, le prix d’un conteneur de 20 pi était d’environ 3500 $ US. Mercredi matin, on en a réservé un à 12 000 $ US. En fin de journée, c’était 17 000 $ US. Notre dernier conteneur est arrivé en avril et le prix de chacune des chaises était plus élevé de 30 $ US. »

— Pierre Lemieux, président de Keca International

Cette perturbation de la chaîne logistique du transport maritime de marchandises est grandement attribuable à la pandémie de COVID-19. À de nombreux endroits dans le monde, des ports sont congestionnés pour des raisons sanitaires ou de manque de main-d’œuvre, ce qui entraîne des retards de livraison. Les transporteurs, qui font des affaires d’or, sont débordés.

Ainsi, depuis février, chaque conteneur coûte en moyenne entre 50 % et 75 % de plus au fabricant de meubles spécialisé notamment dans les créneaux des maisons de retraite ainsi que des restaurants. « On absorbe une partie du prix, déplore M. Lemieux. Avec les gros clients, c’est faisable, mais un petit restaurateur qui paie entre 125 $ et 150 $ chaque chaise, c’est difficile de lui refiler la hausse. »

Et ce n’est pas demain la veille que la situation changera, croit Anne-Marie Trudeau, présidente du spécialiste des articles de cuisine et de table Trudeau. Les difficultés d’approvisionnement auprès de la Chine et en Europe donnent bien des maux de tête à l’entreprise québécoise.

« Il y a des retards et des hausses de prix, ce qui pose des défis pour répondre aux exigences de nos clients, observe Mme Trudeau. Ça nous pousse à avoir des réflexions sur la chaîne logistique et où on va s’approvisionner plus tard. Ce qui est difficile, c’est d’avoir le temps pour faire la transition. »

Quelque chose d’unique

Le courtier en douane Dolbec International, qui sert quotidiennement environ 2000 clients, n’a pas à encaisser l’impact financier de la flambée des prix. Son président, Pierre Dolbec, doit néanmoins naviguer dans un contexte plus difficile.

En plus de voir des prix atteindre jusqu’à 15 000 $ US pour un conteneur en Chine, certains sont prêts à faire monter les enchères afin d’avoir accès à une boîte métallique vide, explique-t-il.

« S’il y a une enchère de 1000 $ US, je suggère à notre client de sauter dessus parce que dans quelques heures, le montant peut atteindre 1500 $ US. Je n’ai jamais vu ça et j’en ai traversé, des crises, dans le secteur maritime. »

— Pierre Dolbec, président de Dolbec International

Il a hâte de voir le secteur du transport maritime bénéficier d’une accalmie de quelques semaines. Pourtant, il semble toujours y avoir de nouvelles tuiles.

En mars dernier, c’est le canal de Suez, ce couloir commercial névralgique entre l’Europe et l’Asie, qui a été temporairement paralysé parce qu’un porte-conteneurs géant s’y était échoué. Les débrayages survenus en avril ainsi qu’en août derniers au port de Montréal n’ont pas aidé, selon M. Dolbec.

Le plus récent pépin est survenu en Chine, au port de Yantian, un des plus fréquentés du monde. Ses activités sont grandement perturbées en raison d’une forte augmentation des cas d’infection à la COVID-19 sur le site, une situation à l’origine de retards et qui oblige les navires porte-conteneurs à prolonger leur séjour dans les eaux avant de pouvoir être déchargés. « Je ne vois pas la lumière au bout du tunnel à court terme », dit M. Dolbec.

Les cycles sont généralement « très prononcés » dans le secteur du transport maritime, analyse Jacques Roy, professeur de gestion des transports à HEC Montréal, en rappelant que pour les conteneurs, les prix étaient bien loin des niveaux actuels à la suite de la dernière grande crise financière.

Et pour les PME, les options sont peu nombreuses dans le contexte actuel, selon le spécialiste. « Les chaînes logistiques mondiales sont dominées par de grands acteurs mondiaux, explique-t-il. Les PME n’ont pas le gros bout du bâton pour négocier avec ces derniers. »

Projet de terminal de conteneurs Laurentia

Le ministère de l’Environnement dit non

Le ministre fédéral de l’Environnement ne donne pas son aval au projet de terminal de conteneurs Laurentia du Port de Québec parce qu’il entraînera des effets négatifs et importants. C’est maintenant au Conseil des ministres de trancher.

Tout pointait vers cette décision du ministre Jonathan Wilkinson, rendue jeudi, à la suite du dépôt du rapport de l’Agence d’évaluation d’impact du Canada (AEIC). Déjà, le rapport préliminaire de l’Agence rendu public l’automne dernier soulevait d’importants enjeux environnementaux liés aux habitats marins de certaines espèces, à la pratique de la pêche et à l’émission de particules fines dans l’air pouvant nuire à la santé humaine.

Le rapport définitif maintient son avis défavorable malgré l’ajout par le Port de mesures d’atténuation pendant la phase de construction comme celle d’exploitation. Ces mesures touchent principalement la qualité de l’air, la protection de l’écosystème marin, la circulation routière et ferroviaire ainsi que la protection de l’aire récréotouristique de la baie de Beauport.

« L’ensemble de ces mesures ne permettraient pas d’atténuer suffisamment les effets potentiels du projet pour rendre tous les effets résiduels non importants. »

— L'Agence d’évaluation d’impact du Canada

À la demande des résidants mobilisés contre le projet depuis son annonce, l’AEIC a aussi analysé les activités de transport routier et ferroviaire associé au projet qui se déroulent dans l’arrondissement de La Cité-Limoilou.

À ce sujet, elle écrit que Laurentia aura des « effets importants directs et cumulatifs sur la qualité de l’air et la santé humaine liés aux émissions de particules et de contaminants issus de la combustion de combustibles fossiles. Malgré la faible contribution du projet à la dégradation de la qualité de l’air, des contaminants atmosphériques seraient émis dans un milieu préalablement saturé et où des problèmes de santé liés à la qualité de l’air sont déjà connus ».

Comme le ministre Wilkinson détermine que la réalisation du projet est susceptible d’entraîner des effets négatifs et importants, il renvoie le dossier, comme la loi l’exige, au Conseil des ministres. C’est ce dernier qui décidera si les effets négatifs relevés par l’Agence sont justifiables dans les circonstances.

« La protection de l’environnement et de la santé des gens est au cœur des priorités de notre gouvernement. Le processus d’évaluation politiquement indépendant et rigoureux de l’Agence canadienne d’évaluation d’impact est essentiel à cet égard. […] Le Conseil des ministres tranchera en se basant sur les faits et la science », a déclaré le président du Conseil du Trésor et député de Québec, Jean-Yves Duclos.

Le projet Laurentia

Laurentia, projet estimé à 775 millions de dollars, a été dévoilé en 2019. L’Administration portuaire de Québec annonçait avoir conclu une entente avec Hutchison Ports, plus important réseau de ports du monde, et le Canadien National pour la construction et l’exploitation du nouveau terminal où devaient transiter 700 000 conteneurs par an.

À l’époque, le directeur du projet, Hugues Paris, était enthousiaste de présenter ce terminal tout automatisé, dont bien des équipements sont entièrement électrifiés tandis que d’autres fonctionnent en mode hybride. Le but, disait-il, était de diminuer l’impact environnemental avec l’électrification du terminal de conteneurs, correspondant à une diminution de 40 % de l’émission des gaz à effet de serre.

Le Port justifie son projet pour des raisons économiques. Les plus gros porte-conteneurs, une tendance dans l’industrie, ne peuvent remonter le fleuve jusqu’à Montréal. Québec devient donc le seul port pouvant les accueillir. Sinon, ils accosteraient dans les ports de la côte Est des États-Unis, ce qui entraînerait une hausse du coût de transport pour les acheminer jusqu’au Québec, avance l’administration portuaire.

Le Port de Québec garde espoir

Les conclusions du rapport de l’Agence d’évaluation d’impact du Canada ( AEIC) comme la décision du ministre de l’Environnement ne suscitent aucune surprise chez le PDG du Port de Québec. Selon Mario Girard, l’approbation du Conseil des ministres est toujours possible dans le cadre d’une analyse plus large tenant compte des bénéfices économiques et environnementaux à l’échelle canadienne. « Je suis zéro surpris par les conclusions du rapport, lance d’entrée de jeu M. Girard. Ça reflète ce qui avait été rendu public, dont les trois avis qui parlaient d’enjeux autour de la qualité de l’air et du milieu de vie du poisson. » Il rappelle que d’autres projets avant Laurentia ont obtenu le feu vert après être passés sous la loupe du Conseil des ministres. « Malgré des impacts significatifs, ils ont obtenu l’aval parce que la somme des avantages [surpassait celle des] inconvénients. » Des avantages qui ne sont pas pris en compte dans l’analyse faite par l’AEIC. Outre les millions de dollars économisés en frais de transport par les entreprises de Québec et des environs et le renforcement de la chaîne d’approvisionnement, certains gains environnementaux à l’échelle nationale ne sont pas considérés par l’AEIC. « Le fait d’avoir moins de bateaux parce qu’ils sont plus gros fait économiser au Canada 84 000 tonnes par an de gaz à effet de serre. Et ça ne tient même pas compte de l’électrification des équipements du port », illustre-t-il. Il retient aussi que le rapport de l’Agence explique que ce n’est pas le projet du Port qui est préoccupant pour l’émission de particules fines, mais bien la saturation actuelle dans Limoilou. — Le Soleil

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