Le pillage, crime de guerre devenu monnaie courante

Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, de nombreux cas de pillage ont été documentés dans plusieurs villes du pays. Les soldats russes sont montrés du doigt, mais des civils ont aussi été pris sur le fait.

Nourriture, coffres-forts, essence, machines à laver, ordinateurs, vêtements chics, bijoux, scooters. Toutes sortes de biens ont été volés dans les bâtiments et les rues de Marioupol, Trostianets, Irpin, Kharkiv, Kyiv, Dnipro, etc.

Lorsque les soldats russes se sont retirés de certaines villes, notamment dans le nord du pays, pour se repositionner, les Ukrainiens qui sont rentrés chez eux en ont fait le constat. Des exemples circulent tant dans les médias que sur les réseaux sociaux et YouTube.

« Ils ont pris tous les vêtements. Littéralement tout. Les manteaux pour homme et pour femme, les bottes, les chemises, les vestes, même mes robes et ma lingerie », a indiqué au quotidien britannique The Guardian une résidante d’Irpin ayant requis l’anonymat.

À Lviv, des habitants de la ville ont déposé des objets souillés de peinture rouge devant le consulat de Russie pour dénoncer les pillages et le sang versé par les Ukrainiens.

Adam Kinzinger, membre républicain de la Chambre des représentants du Congrès des États-Unis, a partagé sur Twitter une vidéo montrant des soldats russes faisant la queue dans un bureau de poste de Biélorussie pour envoyer chez eux des objets volés.

Le pillage est pourtant interdit par les conventions de Genève, traités fondamentaux dans le domaine du droit international humanitaire (DIH), et les lois de la guerre. Dans un contexte de conflit, cet acte est un « crime de guerre » au même titre que d’autres gestes – beaucoup plus graves – comme l’homicide intentionnel, la torture, la destruction injustifiée, le viol, l’esclavage sexuel, le crime d’apartheid, la prise d’otages et autres.

Un passage de l’article 8 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale désigne comme crime de guerre « le pillage d’une ville ou d’une localité, même prise d’assaut ».

Une pratique ancienne

« Le pillage est aussi vieux que le droit de la guerre », précise Stéphane Beaulac, professeur de droit international à l’Université de Montréal et avocat-conseil chez Dentons LLP à Montréal. « Il a toujours été parmi les choses interdites par le droit de la guerre. »

« Le devoir d’une armée est de s’en tenir à des objectifs militaires et de traiter les citoyens non militaires avec humanité, indique Armand de Mestral, professeur de droit à la retraite de l’Université McGill. C’est le principe général de la quatrième convention de Genève [1949]. En général, ses règles sont respectées. On peut se demander si les soldats de l’armée russe ont reçu une telle éducation. Au Canada, les membres de l’armée reçoivent des cours là-dessus. »

Par ailleurs, Stéphane Beaulac rappelle qu’il faut regarder les deux côtés de la médaille.

« Ce sont non seulement les soldats russes qui pourraient se rendre coupables de crimes de guerre par leur pillage, si les allégations s’avèrent fondées ; il est aussi possible, bien que ça puisse paraître contre-intuitif, que des actes de pillage soient commis par les troupes ukrainiennes. »

— Stéphane Beaulac, professeur de droit international à l’Université de Montréal

MBeaulac cite l’exemple de la région du Donbass, où l’armée ukrainienne est présente sur le terrain et fait face à des groupes russophones.

Le travail de la Cour pénale internationale (CPI) consiste à lier les crimes de guerre à des individus, et non à des nations. Les enquêteurs peuvent donc enquêter sur des dénonciations de toutes provenances.

MBeaulac estime aussi que les actes de pillage ne sont « pas en haut de la liste » des enquêtes de la CPI. Les crimes les plus graves (viols, exactions) seront priorisés. D’autant que les ressources de la CPI sont limitées.

des particuliers parmi les pilleurs

Il n’y a pas que des soldats russes qui sont visés par des accusations de pillage. Des particuliers le sont aussi. Et dans ce cas, des Ukrainiens n’auraient pas hésité à se faire justice eux-mêmes. Ainsi, un reportage mis en ligne sur le site de la chaîne France 24 montre des individus dont l’origine n’est pas déterminée attachés à des poteaux, parfois en partie dépouillés de leurs vêtements, avec des cartons portant des mots tels « maraudeur » accrochés au cou.

Un autre montre une commerçante de Marioupol tentant au désespoir d’arrêter des pilleurs civils.

Dans ces cas, on parle de crimes de droit commun, poursuit MBeaulac.

Il fait remarquer que durant une guerre, il revient à l’armée occupant un territoire de faire régner la loi et l’ordre. Ce qui revient à dire que non seulement les soldats russes ne doivent pas commettre de crimes, mais ils doivent aussi s’assurer que personne n’en commette.

« C’est ce qui a été reproché aux soldats américains après la chute de Saddam Hussein en Irak, souligne-t-il. Il y a eu énormément de pillages et ils ne sont pas intervenus. »

Selon un article publié dans le quotidien français Le Monde le 25 septembre 2010, les soldats américains ont, en avril 2003, laissé « des hordes de pillards dévaster tous les musées de Bagdad ». En quelques jours, plus de 15 000 pièces avaient disparu.

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