Maladies oculaires

Perdre un œil à cause d’une goutte d’eau

Après une lutte qui aura duré plus de 20 ans, Normand Schiller a dû se résoudre l’an dernier à sacrifier son œil droit. L’homme de 59 ans, qui porte maintenant une prothèse oculaire, sonne l’alarme sur les risques liés à l’usage des verres de contact.

Tout a commencé à l’été 1994. Normand Schiller avait 37 ans. Il se trouvait en vacances au bord du lac Bélisle (à Saint-André-Avellin, en Outaouais) avec sa femme et ses deux enfants âgés de 9 et 13 ans. En courant après un ballon, il est tombé à l’eau. Il portait ses verres de contact. Il a entrouvert les yeux au contact de l’eau, a pataugé un peu, puis il est sorti. Une scène banale.

Sauf que le soir même, son œil droit s’est mis à lui faire mal. Très mal. Graduellement, il a commencé à perdre la vue. Après avoir soupçonné une conjonctivite, une spécialiste de la cornée a décelé une maladie rarissime, la kératite acanthamoeba, infection de la cornée causée par un parasite que l’on retrouve dans l’eau douce et même dans l’eau potable.

Selon la Dre Michèle Mabon, cornéologue à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, il s’agit d’une infection rare.

« C’est la forme microbienne la plus rare de la cornée liée au port des verres de contact, a-t-elle expliqué à La Presse. On parle d’une proportion de 1 à 33 cas par million de porteurs de verres dans les pays développés. C’est vraiment une malchance, mais dès qu’on est exposé à une source d’eau, il y a un risque d’infection », prévient-elle.

Greffe rejetée

M. Schiller, qui travaillait alors pour une agence de publicité et qui jouait de la batterie pour le groupe Sixième sens, a dû subir une première greffe de la cornée. Malgré la prise d’antibactériens, l’infection est réapparue, la cornée s’est opacifiée et la greffe a été rejetée. Deux autres tentatives ont été faites au cours des années suivantes. Même scénario. Le nerf optique a finalement été touché, l’espoir de recouvrer la vue s’est évanoui.

Selon la Dre Michèle Mabon, qui est également directrice médicale de la Banque d’yeux du Québec, le risque de rejet pour une greffe de cornée de pleine épaisseur est d’environ 20 %.

« Le problème, c’est qu’à chaque greffe, on augmente le risque de rejet. On en fait rarement plus que trois. » 

— La Dre Michèle Mabon

« Dans le cas de M. Schiller, ce que je comprends, c’est qu’il y a eu une récidive du parasite, qui n’a jamais pu être complètement éradiqué, un rejet de la greffe et l’apparition d’un glaucome secondaire causé par l’inflammation », poursuit la cornéologue.

Petit à petit, Normand Schiller a complètement perdu la vue de son œil. « Avec l’importance des progrès technologiques, j’ai longtemps gardé espoir de retrouver la vue, raconte-t-il, mais à un moment donné, ma cornée était tellement mince que je ne pouvais même plus prendre l’avion parce qu’il y avait un risque que le globe oculaire éclate en vol… C’est à ce moment que j’ai accepté de subir une éviscération de l’œil. »

M. Schiller a donc subi cette chirurgie de dernier recours qui consiste à enlever le contenu intraoculaire, en ne gardant que la coquille. Une bille en plastique est ensuite posée à l’intérieur de l’œil. Pour des raisons esthétiques, il s’est fait faire une prothèse oculaire, trompe-l’œil sous forme de verre, qui est un calque du bon œil. Cette dernière étape a mis un terme à son aventure.

Statu quo

« Les verres de contact demeurent un corps étranger [en plastique ou en silicone], note la Dre Mabon, il y aura donc toujours des risques de complications, des infections microbiennes, par exemple, mais ce sont souvent des affections qui se traitent relativement bien. On parle de 4 à 20 cas par 10 000 porteurs de verres de contact. La plupart du temps, c’est lié aux manipulations des verres. »

Au fil des ans, les risques liés au port des verres de contact ont-ils augmenté ou diminué ? « Ils sont pareils, répond la Dre Mabon. Les bactéries adhèrent au plastique, on n’y échappe pas. Il y a eu des progrès, mais pas de façon significative. Par contre, on peut dire que l’oxygène passe mieux à travers le plastique, ce qui favorise une meilleure oxygénation de la cornée. »

Normand Schiller a-t-il toujours sa roulotte à Saint-André-Avellin ? « Oui, mais je ne me baigne plus dans le lac, répond-il. Je n’ai jamais été un grand baigneur, mais j’ai toujours eu une crainte par la suite. C’est sûr que ç’a été pour moi une expérience traumatisante. Mais je veux sensibiliser les porteurs de verres à être plus prudents. »

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Ne jamais dormir avec ses verres

En dormant avec ses verres, c’est-à-dire en les portant sur une trop longue période, on augmente de cinq fois le risque d’infections microbiennes, précise la cornéologue Michèle Mabon. Mais, contrairement à ce qu’on laisse parfois entendre, le verre ne peut pas se « perdre » dans l’œil, ajoute-t-elle, il est toujours « trouvable ».

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Prendre l’avion, pourquoi pas !

Et l’avion ? Est-ce vrai que la pression atmosphérique peut avoir un impact négatif sur la cornée ? Pas du tout, répond la Dre Mabon. Ce qui se passe dans l’avion, c’est que l’air est très sec, ça finit souvent par piquer les yeux. Au pire, vous aurez besoin de gouttes lubrifiantes.

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Ne jamais nettoyer ses verres avec sa salive

C’est l’une des pires choses que vous pouvez faire ! s’exclame la Dre Mabon. La bouche est pleine de microbes. Même s’il y a beaucoup de « bonnes » bactéries, elles n’appartiennent pas à la même famille de bactéries que celles qu’on retrouve dans les yeux. Quand on enlève ses verres, les ongles peuvent causer de petites abrasions à la cornée.

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Accoucher avec vos verres, ça, oui !

Est-ce sécuritaire de garder ses verres pendant un accouchement ? À moins d’une condition particulière, il n’y a aucun problème, répond la Dre Mabon. Ce serait dommage de ne pas bien voir son bébé ! Les poussées qui peuvent faire éclater de petits vaisseaux sanguins dans les yeux sont inoffensives pour les verres.

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Ne jamais se baigner avec ses verres

Que ce soit dans les piscines, les lacs, les rivières ou les océans et même dans la douche ou les bains tourbillons, il faut toujours retirer ses verres de contact, suggère la Dre Mabon. On dira ce qu’on veut, il y a toujours de l’eau qui s’infiltre dans nos yeux et c’est comme ça que les parasites de type acanthamoeba arrivent et se cramponnent.

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Nettoyage tous les jours

Le nettoyage quotidien des verres est la clé d’une bonne hygiène et les solutions offertes aujourd’hui permettent d’éliminer les principales bactéries et parasites qui pourraient se retrouver dans ces liquides. « Chaque jour, il faut remplacer la solution », précise la Dre Mabon.

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