Mon clin d’œil

« T’en fais pas, Justin, un conseiller de perdu, dix de retrouvés. »

— Donald Trump

OPINION

CANNABIS ET ÂGE LÉGAL Y a-t-il place au compromis ?

Chers amis et collègues psychiatres, chers amis et collègues experts en santé publique, je dis « amis », parce que pour différentes raisons, je comprends vos prises de positions divergentes sur la question de l’âge à partir duquel les Québécois pourront acheter, posséder et consommer du cannabis en toute légalité.

D’une part, je partage les préoccupations cliniques de mes collègues psychiatres qui, au quotidien, rencontrent et aident des personnes aux prises avec un problème de santé mentale, dont le fardeau déjà passablement pesant est souvent alourdi par l’usage de substances comme le cannabis.

D’autre part, je partage aussi les préoccupations de mes collègues de la santé publique, qui constatent que les conséquences de la consommation de cannabis à l’échelle populationnelle sont complexes à saisir, nécessitant nuances et expertises pour en comprendre les subtilités et les traduire en politiques cohérentes.

Les débats et multiples lettres d’opinion publiées récemment nous montrent deux visions qui s’affrontent.

La perspective clinique, centrée sur les personnes souffrant de troubles souvent sévères et persistants chez qui le cannabis peut parfois être associé à des problèmes importants – une perspective qui appelle plusieurs à la protection de ces citoyens au profil de vulnérabilité et de risque particuliers.

D’autre part, la perspective populationnelle qui s’attarde bien sûr à la « maladie », mais aussi à la population dans son ensemble, qui compte bien sûr une majorité de personnes qui ne souffrent pas de problèmes liés au cannabis, mais qui, au contraire, subissent même parfois les conséquences néfastes de modalités d’encadrement trop strictes.

Je suis inquiet. Inquiet, parce que l’issue de situations où des parties investies de visions à première vue opposées s’affrontent sans espace de compromis a de fortes chances de laisser pour compte une partie importante de la population. Importante, dans le cas qui nous intéresse ici, soit par son nombre, soit par sa vulnérabilité.

Même en étant fort conscient que les prises de position décrites ci-haut ne sont pas dénuées d’enjeux stratégiques et politiques, il m’apparaît urgent de changer l’approche d’un débat qui, visiblement, tourne à la confrontation.

Le défi est de taille : comment s’assurer d’adopter et de peaufiner des modalités d’encadrement qui tiennent compte à la fois des personnes moins nombreuses, mais plus à risque de vivre des problèmes associés au cannabis, tout en respectant les droits et intérêts d’une majorité pour qui des lois trop strictes, bien plus que la substance elle-même, risquent d’avoir un impact négatif ?

Quelques clés

Ce type de défi n’est pas impossible à résoudre. Tant en clinique qu’en recherche, certains ingrédients sont des clés pour parvenir à dénouer des impasses : 

 – Reconnaître la perspective de l’autre tout en reconnaissant les limites de sa propre expertise ;

 – Tenter de couvrir le plus d’angles possible en bénéficiant justement des différentes perspectives offertes par les personnes concernées ;

 – Accepter la possibilité qu’un compromis soit une, sinon parfois la meilleure solution envisageable.

J’ajouterais, dans ce cas-ci, l’inclusion de la perspective de ceux qui consomment sans problème de même que celle de ceux qui vivent les conséquences de l’usage de cette substance, à qui nous avons laissé peu de place jusqu’à maintenant. En se rappelant également que l’adéquation parfois faite entre restriction légale et prévention de la consommation n’est pas soutenue par les données scientifiques.

À mes amis psychiatres, redoublons d’efforts pour ne pas oublier que les personnes que nous soignons au quotidien sont importantes et nous sont chères, mais ne représentent pas la majorité de la population pour qui les modalités d’encadrement sont aussi mises en place.

À mes amis de la santé publique, ne passons pas à côté de l’occasion de saisir une perspective du terrain que trop souvent, les études à large échelle, bien que robustes scientifiquement, ne permettent pas de comprendre pleinement.

Tout cela dans l’espoir que la décision à venir sur l’âge légal ait réellement bénéficié de toutes ces expertises importantes, et, peut-être, s’avère finalement un compromis entre les deux positions. Compromis dont il faudra évaluer l’impact avec rigueur, puisque de toute façon, nous aurons fort probablement à ajuster ces modalités. Expert ou pas, nul ne peut prédire cet impact avec certitude.

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