hockey

Voici en primeur trois extraits du livre de notre journaliste Mathias Brunet qui publie lundi la suite de son livre à succès Pierre Gervais - Au coeur du vestiaire. Dans ce deuxième tome, intitulé Pierre Gervais - En prolongation, l'ancien gérant de l'équipement du Canadien ressasse d'autres souvenirs acquis au cours de ses 35 années dans les vestiaires.

Préface de Carey Price

Le sourire de Gerv

De la musique country et le ronronnement de la machine à aiguiser les patins en arrière-plan pendant que je mettais du ruban sur mes bâtons dans un vestiaire vide, voilà comment commençait une journée typique lors de mes 15 années avec le Canadien de Montréal.

Peu importe le résultat de la veille et sans doute déjà en train d’aiguiser sa vingtième paire de patins, je pouvais toujours compter sur le « Pricey Baby » et le sourire de Gerv pour commencer une nouvelle journée. Un rappel qu’aujourd’hui était le seul jour sur lequel on devait se concentrer.

Dans ce vestiaire, nous avons eu de nombreuses conversations sur la vie, le hockey et la pêche. Nous aimons tous les deux écouter les battements de cœur régénérateurs de la nature et nous partageons le même dédain pour les moustiques !

Le métier de gérant de l’équipement exige un dévouement au hockey et une quantité incroyable de sacrifices. Les longues heures de travail, les déplacements et le temps passé loin de ses proches ne sont pas pour les âmes sensibles. Gerv l’a fait avec le sourire et avec gratitude tous les jours.

Il a aidé d’innombrables joueurs à donner le meilleur d’eux-mêmes au cours de son incroyable carrière, en effectuant le travail essentiel qui nous permettait de nous concentrer sur notre job. Pour moi, Gerv a fourni plus que l’acier dont un maître forgeron serait fier. Il nous a offert la constance et la camaraderie dans un monde aux résultats incertains.

Je suis convaincu que vous trouverez ses histoires aussi riches et savoureuses que sa collection de vins.

C’est un honneur pour moi d’écrire ces lignes pour un coéquipier et un ami, en guise de remerciement pour une carrière pleine de rires, de souvenirs et de travail acharné.

« Tight lines, Gervy Baby !1 »

— Carey Price

1. « Tight lines » est une expression connue des amateurs de pêche. Lorsque la ligne est tendue, c’est que la pêche est bonne. Cette expression veut donc dire bonne chance !

Cole Caufield, la naissance d’une légende

Il s’est pointé dans le vestiaire du Complexe Bell de Brossard avec son sac d’équipement des Badgers du Wisconsin et à peine quatre ou cinq bâtons sur l’épaule, en avril 2021.

Je le savais petit, mais pas à ce point. Il est rare que je puisse regarder un joueur directement dans les yeux. Sa poignée de main était solide et j’ai vu le feu dans son regard. Il ne semblait pas du tout intimidé par son nouvel environnement.

J’avais quand même des doutes sur ses chances de réussir à percer le club. Pas que je n’y croyais pas, Cole Caufield venait tout de même de marquer 30 buts en 31 matchs au Wisconsin, mais les joueurs de 5 pieds 7 pouces ne sont pas légion dans la Ligue nationale et il y a toute une coche entre la NCAA et la LNH.

Il fallait d’abord régler rapidement la question de ses bâtons. On ne va pas loin avec quatre ou cinq bâtons, dont seulement deux neufs. Heureusement, les représentants sont toujours très allumés et celui de Bauer était déjà sur le cas avant même que je n’aie à entreprendre les démarches auprès de lui.

On m’a informé qu’il devait lui rester onze ou douze bâtons en stock à l’université. Généralement, quand un joueur passe d’une équipe à une autre dans la Ligue nationale, on envoie ce qu’il lui reste de bâtons sans poser de questions. C’est un échange de bons procédés. Mais les universités ont des budgets plus serrés. Bauer leur a donc crédité les bâtons restants et j’ai ensuite pu les acheter de Bauer.

Il y a peut-être juste les Hurricanes qui sont plus pingres. Quand Joel Edmundson est arrivé à Montréal, en provenance de la Caroline en septembre 2020, ils m’avaient envoyé seulement six bâtons et fait créditer les douze autres. Je me rappelle avoir dit à mon adjoint, Patrick Langlois :

– Retenez bien ça, les gars, pour la prochaine fois qu’on a un échange avec la Caroline !

Un an plus tard, quand Jesperi Kotkaniemi est passé aux Hurricanes, je leur ai envoyé juste quelques bâtons et je me suis fait créditer ceux qui restaient. J’ai été direct avec mon confrère des Hurricanes.

– Si tu en veux plus, appelle Bauer…

Quand Cole a sorti sa paire de patins de son sac, je suis resté surpris. Il porte des cinq et demi. Je n’en avais jamais vu d’aussi petits ! L’ancien capitaine, Brian Gionta, qui mesurait lui aussi 5 pieds 7 pouces, portait des six.

Je lui en ai commandé une autre paire, car tous les joueurs ont au moins deux paires de patins. Je savais qu’ils arriveraient rapidement parce que les patins Bauer sont fabriqués à Blainville. Il a également fallu que je commande six paires de lames parce que je n’en avais évidemment pas de sa taille en stock !

Le mystère des cuillères

Notre camp d’entraînement venait de prendre fin. Nous étions à quelques jours du début de la saison régulière lorsque Richard Généreux, affecté au vestiaire de l’équipe adverse, mais aussi le quatrième homme dans notre chambre, a fait irruption dans mon bureau.

Gerv, on n’a presque plus de cuillères dans la salle à manger des joueurs.

– Comment ça, presque plus de cuillères ? J’ai commandé les couteaux, les fourchettes et les cuillères à coup de 36 avant le début du camp.

– Les couteaux et les fourchettes, il n’en manque pas, pas de problème. Mais j’ai cherché partout et les cuillères, il en reste à peine quelques-unes…

C’était vraiment bizarre. Mon premier réflexe a été de penser à des recrues au camp. Peu importe, les recrues avaient déjà pas mal toutes quitté, la saison allait commencer et j’ai dit à Richard d’oublier ça et de commander 36 cuillères supplémentaires.

L’affaire en est restée là. Le train-train quotidien a repris son cours. Quatre ou cinq semaines plus tard, Richard est de retour dans mon bureau avec un air interloqué.

– Tu ne me croiras pas, Gerv !

– Dis-moi pas les cuillères ?

– Y en reste cinq…

– Quoi ? ? ?

– Je n’y comprends rien. Les 36 couteaux et les 36 fourchettes sont encore tous là.

– Écoute, commandes-en 36 autres, on ne se ruinera pas avec des cuillères, mais on garde l’œil ouvert, OK ?

Pendant les semaines suivantes, mon staff et moi avions des yeux de lynx autour du vestiaire.

Jusqu’au jour où Richard a aperçu l’entraîneur-chef, dont nous tairons le nom, entrer dans son bureau avec un yogourt et une cuillère à la main.

Richard a attendu que le coach quitte son bureau pour aller sur la glace. Il a retrouvé le restant du gobelet dans le fond de la poubelle… avec la cuillère dedans !

Je n’ai plus commandé de nouvelles cuillères de la saison. Chaque jour, Richard répétait le même manège : il attendait patiemment que le coach soit sur la glace pour cueillir la cuillère au fond de sa poubelle pour aller la porter dans le lave-vaisselle.

Cet entraîneur ne l’a jamais su, et nous avons pu récupérer nos cuillères, une à une…

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