Éditorial COVID-19

Élèves au travail pendant la pandémiE
Une erreur, vraiment ?

Les élèves qui se sont mis à travailler pendant la pandémie commettent une erreur, a clamé mercredi le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge. Il en a rajouté en rappelant aux jeunes et à leurs parents que « l’année scolaire n’est pas terminée, ni pour les élèves ni pour les enseignants ».

Bref, que les jeunes ont intérêt à réduire leurs heures de travail dans les supermarchés et les pharmacies pour s’atteler à leurs études.

On ne peut que se réjouir de voir que l’année scolaire reprend, que l’immense chantier du télé-enseignement se met en marche.

Mais cette déclaration n’en choque pas moins, d’abord par son côté moralisateur, mais aussi parce qu’elle met sur les épaules des ados une réalité à laquelle le ministre Roberge a lui-même contribué par ses changements de cap successifs des deux derniers mois.

Rappelons qu’après avoir annoncé la suspension des cours dans tous les établissements scolaires, le ministre a d’abord invité élèves et enseignants à considérer cet arrêt comme des vacances, ensuite à poursuivre leurs cours de façon facultative et enfin, de manière obligatoire.

Il a fallu presque deux mois avant de permettre aux enseignants et aux élèves d’aller récupérer leur matériel scolaire à l’école. Un mois et demi avant d’annoncer un plan de distribution de matériel informatique aux nombreux élèves qui n’en ont pas. Plan qui n’est d’ailleurs toujours pas terminé.

Pendant ces longues semaines, certains élèves ont réussi tant bien que mal à faire un peu de travail pédagogique à la maison, et à s’y retrouver entre les « trousses pédagogiques » du Ministère et les messages de certains de leurs enseignants.

On peut comprendre que le 12 mars, au moment de mettre la clé sous la porte des écoles, le gouvernement n’avait pas la moindre idée de ce qui nous attendait. Personne ne pouvait le savoir.

N’empêche qu’il a fallu attendre à la fin d’avril pour que ministre Roberge affirme clairement que l’école se poursuivait et que les élèves auraient des exigences scolaires à respecter. Notons que pendant ce temps, dans la majorité des écoles privées, l’enseignement avait largement repris dès la fin de mars…

Côté public, ces virages successifs ont semé beaucoup de confusion chez tout le monde, élèves, enseignants et parents inclus. Pour les jeunes, il y a de quoi démotiver n’importe qui. Encore plus un ado qui tourne en rond dans sa chambre, privé de ses amis, de directives claires et de tous ses repères habituels.

Et, malheureusement, le message qu’il pouvait percevoir à travers ces tergiversations, c’est que son éducation n’était, tout compte fait, pas si importante que ça.

Pendant ces deux mois, ignorant quand, voire si, leur école finirait par leur donner un cadre minimalement contraignant, certains jeunes ont choisi de travailler. C’était souvent mieux pour eux que de rester à la maison à ne rien faire du tout.

Plusieurs occupent aujourd’hui des emplois essentiels. Plusieurs vivent dans des familles qui en arrachent financièrement, compte tenu de la débâcle économique générée par la pandémie de COVID-19. Dans certains cas, leur travail n’est pas tant une erreur qu’une nécessité, psychologique aussi bien qu’économique.

Ces jeunes doivent aujourd’hui se mobiliser pour reprendre le fil d’un enseignement suspendu. À 15 ou 16 ans, deux mois, c’est une éternité. Il faut les encourager à reprendre le chemin des classes, à s’accrocher à l’application Teams et non leur faire la morale, comme si c’étaient eux qui avaient décidé que leur instruction n’avait plus d’importance.

Mais, surtout, avant de leur jeter le blâme, le ministre a peut-être quelques questions à se poser lui aussi. Où était-il donc quand les jeunes du secondaire se demandaient comment se ferait leur passage au niveau suivant, ce qui déciderait de la note qui figurerait sur leur bulletin et ce que leurs enseignants attendaient d’eux au juste ?

Tant mieux si le message a fini par se préciser. Mais avant de reprocher aux élèves du secondaire d’avoir fait une erreur en décidant de faire œuvre utile de leur temps, le ministre Roberge devrait peut-être reconnaître qu’il a un peu erré, lui aussi.

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