COVID-19

« On risque de déshabiller Pierre pour habiller Paul »

Le secteur privé craint que la campagne de recrutement de Québec entraîne une vague de départs 

QUÉBEC — Québec lancera une « grosse campagne de promotion », avec formation payée 21 $ l’heure, pour attirer dans le réseau de la santé pas moins de 10 000 nouveaux préposés aux bénéficiaires. Une grande séduction qui fait craindre le pire au secteur privé, qui anticipe déjà l’exode de ses travailleurs vers le public.

Dans moins d’un mois, le gouvernement Legault déploiera une formation express de trois mois destinée à ses recrues qui accepteront de faire carrière dans le secteur de la santé, à titre de préposé aux bénéficiaires en CHSLD. Les étudiants seront payés le temps de la formation et obtiendront un emploi ensuite.

« C’est un énorme défi », a admis d’emblée le premier ministre, François Legault, lors de son point de presse traditionnel, mercredi.

Le gouvernement doit démarrer à la mi-juin sa toute nouvelle formation, qui sera offerte « sur le terrain », mais aussi dans une quarantaine de centres de formation professionnelle. Une personne inscrite au programme recevra un salaire équivalent à celui versé à une « aide de service », c’est-à-dire 21 $ l’heure.

« C’est 760 $ par semaine », souligne M. Legault.

« Et s’ils réussissent leurs cours, après trois mois, bien, ils vont gagner le nouveau salaire que l’on donne, soit via les primes temporaires ou ce qu’on offre dans les conventions collectives [une fois la négociation terminée], qui commence à 26 $ l’heure, donc 940 $ par semaine, 49 000 $ par année », a-t-il énuméré.

« Je pense que c’est une offre qui est intéressante », a lancé M. Legault.

Inquiétudes

Une offre intéressante, oui, mais qui sème l’inquiétude dans le secteur privé. Le président du Regroupement québécois des résidences pour aînés, Yves Desjardins, dit craindre que l’annonce du gouvernement provoque un exode des préposés aux bénéficiaires vers le réseau public. Dans le privé, les préposés gagnent environ 14 $ l’heure.

« Je suis inquiet. On risque de déshabiller Pierre pour habiller Paul », a-t-il lancé.

Des CISSS et des CIUSSS font déjà du maraudage dans les résidences pour embaucher leurs préposés. Une résidence de l’Estrie en a perdu trois récemment au profit du réseau public, a raconté M. Desjardins.

Selon lui, le gouvernement est conscient de la situation, et « des discussions sont en cours pour essayer de trouver des solutions ».

L’Association des ressources intermédiaires d’hébergement du Québec se dit aussi inquiète que les offres du gouvernement viennent « creuser encore davantage le fossé entre les ressources intermédiaires (RI), pour qui les employés gagnent en moyenne près de 14 $ l’heure » en excluant les primes COVID-19.

« Soyons clairs, une telle situation accélérerait inévitablement la vague de départs que nous constatons depuis plus d’un an déjà », écrivent la directrice générale, Johanne Pratte, et le président du conseil d’administration, Michel Clair, dans une lettre envoyée mardi aux ministres Danielle McCann et Marguerite Blais.

L’Association réclame notamment qu’une mesure transitoire pour les RI soit prévue et annoncée en même temps que la conclusion d’une entente entre Québec et les syndicats, qui négocient actuellement le renouvellement des conventions collectives.

26 $

Salaire horaire que pourraient toucher les préposés aux bénéficiaires du secteur public au sommet de l’échelle, selon l’offre sur la table. Le salaire de base au premier échelon est de 20,55 $ et de 22,35 $ en haut de l’échelle.

Pour le Syndicat québécois des employés de service, affilié à la FTQ, il ne serait pas « étonnant » que les employés des résidences privées se « tournent vers cette formation et le réseau public de la santé ». On croit aussi que les travailleurs dans les entreprises d’économie sociale d’aide à domicile pourraient faire de même.

Cet effort du gouvernement pour recruter des préposés démontre d’ailleurs « l’urgence » d’augmenter aussi le salaire au privé, ajoute le Syndicat.

« Entre un salaire de 13 $ ou 14 $ l’heure et une formation payée à 21 $ l’heure avant d’obtenir un poste à 26 $ l’heure, le choix est simple. Le gouvernement doit être conséquent et imposer dès maintenant des salaires planchers avantageux dans les résidences pour personnes aînées et ceux qui offrent des soins à domicile », soutient la présidente, Sylvie Nelson.

Cette imposition pourrait se faire par l’adoption de décrets de convention collective dans ces secteurs, souligne le Syndicat qui représente quelque 25 000 membres dans le réseau de la santé.

Formés et prêts pour Septembre

Québec a dans la ligne de mire de recruter 10 000 travailleurs et de les former pour qu’ils puissent être à pied d’œuvre dès le mois de septembre. Ils pourront ainsi prendre en partie la relève des 1000 militaires des Forces armées canadiennes déployés dans les établissements du Grand Montréal.

M. Legault a demandé en ce sens à Ottawa de prolonger la présence de l’armée au Québec jusqu’au 15 septembre. Le gouvernement Trudeau réfléchit à cette possibilité (voir autre texte).

Cette nouvelle main-d’œuvre pourrait aussi donner du répit aux équipes en place et permettre au réseau d’être davantage prêt à affronter une seconde vague de contagion, qui pourrait survenir cet automne avec le retour de la saison de la grippe.

Le premier ministre rappelle que 10 000 postes étaient à pourvoir avant même que la crise de la COVID-19 n’éclate dans le réseau de la santé. À cela se sont ajoutés récemment les 10 000 employés absents, malades ou en isolement.

« Ils commencent un petit peu à revenir. Là, on est rendus à 9700 qui sont absents actuellement », a-t-il souligné. 

« On espère que dans les prochaines semaines, prochains mois, ces 10 000 employés vont revenir […], puis on a les 10 000 qui manquent depuis plusieurs années dans les CHSLD. Le problème reste entier. »

— François Legault

M. Legault estime qu’une partie de la solution pour endiguer la pénurie et faire de sa campagne de recrutement un succès consiste aussi à « améliorer l’image des CHSLD » et à « rendre le travail plus agréable » grâce à l’ajout d’employés. Il évoque même la possibilité de modifier le terme « préposé aux bénéficiaires ».

« On reconnaît qu’il y a des CHSLD qui sont vétustes, qui doivent être embellis, remplacés par des maisons des aînés dans certains cas, rénovés de façon importante dans d’autres cas. C’est ça, le défi qu’on a, là, de recruter dans un contexte qui n’est pas facile », a-t-il ajouté, se disant « ouvert » à faire plus de 10 000 embauches si nécessaire.

« On n’exclut pas […] d’augmenter les ratios. Mais il faut convenir qu’on a tout un défi devant nous de venir trouver 10 000 personnes à temps plein. On va s’attaquer à ça avant d’inclure quoi que ce soit dans les conventions collectives. Il faut quand même être capable de livrer la marchandise », a assuré M. Legault.

— Avec Tommy Chouinard, La Presse

89 nouvelles victimes

Le Québec a enregistré mercredi 541 nouveaux cas de personnes infectées par la COVID-19, ce qui porte le bilan à 49 139 cas déclarés depuis le début de la pandémie. La province déplore désormais 4228 morts causées par la COVID-19, une augmentation de 89 morts enregistrées en 24 heures. Un total de 15 319 personnes sont aussi guéries de la maladie (+ 320). On dénombre 1378 personnes hospitalisées (- 25), dont 184 aux soins intensifs (+ 3). Un peu plus de 10 000 cas sont toujours sous investigation.

Toronto, l’exception ?

Le premier ministre Legault a lancé « un défi » au directeur national de santé publique, le Dr Horacio Arruda, de lui expliquer pourquoi « Toronto se trouve dans une situation complètement différente que les autres villes d’Amérique du Nord » avec un taux de morts « beaucoup moins » élevé par million d’habitants. « Dans la plupart des grandes villes en Europe, on a un nombre de décès par million d’habitants qui est comparable au Québec, même dans certains cas pire qu’au Québec. Je parle entre autres des villes comme New York, Boston, Chicago… », a énuméré M. Legault. « Si vous allez voir les chiffres dans ces villes-là, c’est comparable ou pire que ce qu’on a vécu à Montréal. Il y a une exception : c’est Toronto », a-t-il ajouté.

R0 « en bas de 1 » à Montréal

Le Dr Horacio Arruda a indiqué mercredi que le R0 (taux de reproduction du virus) était « encore en bas de 1 » dans la région métropolitaine. « Je dirais que les discussions que j’ai eues avec la [directrice de santé publique de Montréal, la Dre Mylène Drouin], notamment en lien avec certains quartiers chauds dans le nord de Montréal, démontraient qu’il y a une tendance à la baisse de la transmission communautaire. Donc, on est dans la bonne perspective », s’est réjoui le Dr Arruda, en rappelant que Québec testait par ailleurs plus. Mais comme le R0 est « juste un petit peu en bas » du 1, il faut demeurer très prudents parce que la situation peut « changer rapidement ». Dans cette guerre au coronavirus, il est primordial, selon les experts, d’abaisser le R0 sous la barre de 1 parce que, si chaque personne atteinte infecte moins d’une personne en moyenne, l’épidémie décroît et finit par s’estomper.

Préposés aux bénéficiaires

Le privé redoute un exode

Alors que Québec lance une « grande campagne de promotion » pour attirer pas moins de 10 000 nouveaux préposés aux bénéficiaires, le secteur privé craint une vague de départs de ses employés vers les CHSLD. « C’est un énorme défi », a admis François Legault, dont l’initiative suscite des réactions contrastées.

COVID-19

« On risque de déshabiller Pierre pour habiller Paul »

Le secteur privé craint que la campagne de recrutement de Québec entraîne une vague de départs 

QUÉBEC — Québec lancera une « grosse campagne de promotion », avec formation payée 21 $ l’heure, pour attirer dans le réseau de la santé pas moins de 10 000 nouveaux préposés aux bénéficiaires. Une grande séduction qui fait craindre le pire au secteur privé, qui anticipe déjà l’exode de ses travailleurs vers le public.

Dans moins d’un mois, le gouvernement Legault déploiera une formation express de trois mois destinée à ses recrues qui accepteront de faire carrière dans le secteur de la santé, à titre de préposé aux bénéficiaires en CHSLD. Les étudiants seront payés le temps de la formation et obtiendront un emploi ensuite.

« C’est un énorme défi », a admis d’emblée le premier ministre, François Legault, lors de son point de presse traditionnel, mercredi.

Le gouvernement doit démarrer à la mi-juin sa toute nouvelle formation, qui sera offerte « sur le terrain », mais aussi dans une quarantaine de centres de formation professionnelle. Une personne inscrite au programme recevra un salaire équivalent à celui versé à une « aide de service », c’est-à-dire 21 $ l’heure.

« C’est 760 $ par semaine », souligne M. Legault.

« Et s’ils réussissent leurs cours, après trois mois, bien, ils vont gagner le nouveau salaire que l’on donne, soit via les primes temporaires ou ce qu’on offre dans les conventions collectives [une fois la négociation terminée], qui commence à 26 $ l’heure, donc 940 $ par semaine, 49 000 $ par année », a-t-il énuméré.

« Je pense que c’est une offre qui est intéressante », a lancé M. Legault.

Inquiétudes

Une offre intéressante, oui, mais qui sème l’inquiétude dans le secteur privé. Le président du Regroupement québécois des résidences pour aînés, Yves Desjardins, dit craindre que l’annonce du gouvernement provoque un exode des préposés aux bénéficiaires vers le réseau public. Dans le privé, les préposés gagnent environ 14 $ l’heure.

« Je suis inquiet. On risque de déshabiller Pierre pour habiller Paul », a-t-il lancé.

Des CISSS et des CIUSSS font déjà du maraudage dans les résidences pour embaucher leurs préposés. Une résidence de l’Estrie en a perdu trois récemment au profit du réseau public, a raconté M. Desjardins.

Selon lui, le gouvernement est conscient de la situation, et « des discussions sont en cours pour essayer de trouver des solutions ».

L’Association des ressources intermédiaires d’hébergement du Québec se dit aussi inquiète que les offres du gouvernement viennent « creuser encore davantage le fossé entre les ressources intermédiaires (RI), pour qui les employés gagnent en moyenne près de 14 $ l’heure » en excluant les primes COVID-19.

« Soyons clairs, une telle situation accélérerait inévitablement la vague de départs que nous constatons depuis plus d’un an déjà », écrivent la directrice générale, Johanne Pratte, et le président du conseil d’administration, Michel Clair, dans une lettre envoyée mardi aux ministres Danielle McCann et Marguerite Blais.

L’Association réclame notamment qu’une mesure transitoire pour les RI soit prévue et annoncée en même temps que la conclusion d’une entente entre Québec et les syndicats, qui négocient actuellement le renouvellement des conventions collectives.

26 $

Salaire horaire que pourraient toucher les préposés aux bénéficiaires du secteur public au sommet de l’échelle, selon l’offre sur la table. Le salaire de base au premier échelon est de 20,55 $ et de 22,35 $ en haut de l’échelle.

Pour le Syndicat québécois des employés de service, affilié à la FTQ, il ne serait pas « étonnant » que les employés des résidences privées se « tournent vers cette formation et le réseau public de la santé ». On croit aussi que les travailleurs dans les entreprises d’économie sociale d’aide à domicile pourraient faire de même.

Cet effort du gouvernement pour recruter des préposés démontre d’ailleurs « l’urgence » d’augmenter aussi le salaire au privé, ajoute le Syndicat.

« Entre un salaire de 13 $ ou 14 $ l’heure et une formation payée à 21 $ l’heure avant d’obtenir un poste à 26 $ l’heure, le choix est simple. Le gouvernement doit être conséquent et imposer dès maintenant des salaires planchers avantageux dans les résidences pour personnes aînées et ceux qui offrent des soins à domicile », soutient la présidente, Sylvie Nelson.

Cette imposition pourrait se faire par l’adoption de décrets de convention collective dans ces secteurs, souligne le Syndicat qui représente quelque 25 000 membres dans le réseau de la santé.

Formés et prêts pour Septembre

Québec a dans la ligne de mire de recruter 10 000 travailleurs et de les former pour qu’ils puissent être à pied d’œuvre dès le mois de septembre. Ils pourront ainsi prendre en partie la relève des 1000 militaires des Forces armées canadiennes déployés dans les établissements du Grand Montréal.

M. Legault a demandé en ce sens à Ottawa de prolonger la présence de l’armée au Québec jusqu’au 15 septembre. Le gouvernement Trudeau réfléchit à cette possibilité (voir autre texte).

Cette nouvelle main-d’œuvre pourrait aussi donner du répit aux équipes en place et permettre au réseau d’être davantage prêt à affronter une seconde vague de contagion, qui pourrait survenir cet automne avec le retour de la saison de la grippe.

Le premier ministre rappelle que 10 000 postes étaient à pourvoir avant même que la crise de la COVID-19 n’éclate dans le réseau de la santé. À cela se sont ajoutés récemment les 10 000 employés absents, malades ou en isolement.

« Ils commencent un petit peu à revenir. Là, on est rendus à 9700 qui sont absents actuellement », a-t-il souligné. 

« On espère que dans les prochaines semaines, prochains mois, ces 10 000 employés vont revenir […], puis on a les 10 000 qui manquent depuis plusieurs années dans les CHSLD. Le problème reste entier. »

— François Legault

M. Legault estime qu’une partie de la solution pour endiguer la pénurie et faire de sa campagne de recrutement un succès consiste aussi à « améliorer l’image des CHSLD » et à « rendre le travail plus agréable » grâce à l’ajout d’employés. Il évoque même la possibilité de modifier le terme « préposé aux bénéficiaires ».

« On reconnaît qu’il y a des CHSLD qui sont vétustes, qui doivent être embellis, remplacés par des maisons des aînés dans certains cas, rénovés de façon importante dans d’autres cas. C’est ça, le défi qu’on a, là, de recruter dans un contexte qui n’est pas facile », a-t-il ajouté, se disant « ouvert » à faire plus de 10 000 embauches si nécessaire.

« On n’exclut pas […] d’augmenter les ratios. Mais il faut convenir qu’on a tout un défi devant nous de venir trouver 10 000 personnes à temps plein. On va s’attaquer à ça avant d’inclure quoi que ce soit dans les conventions collectives. Il faut quand même être capable de livrer la marchandise », a assuré M. Legault.

— Avec Tommy Chouinard, La Presse

89 nouvelles victimes

Le Québec a enregistré mercredi 541 nouveaux cas de personnes infectées par la COVID-19, ce qui porte le bilan à 49 139 cas déclarés depuis le début de la pandémie. La province déplore désormais 4228 morts causées par la COVID-19, une augmentation de 89 morts enregistrées en 24 heures. Un total de 15 319 personnes sont aussi guéries de la maladie (+ 320). On dénombre 1378 personnes hospitalisées (- 25), dont 184 aux soins intensifs (+ 3). Un peu plus de 10 000 cas sont toujours sous investigation.

Toronto, l’exception ?

Le premier ministre Legault a lancé « un défi » au directeur national de santé publique, le Dr Horacio Arruda, de lui expliquer pourquoi « Toronto se trouve dans une situation complètement différente que les autres villes d’Amérique du Nord » avec un taux de morts « beaucoup moins » élevé par million d’habitants. « Dans la plupart des grandes villes en Europe, on a un nombre de décès par million d’habitants qui est comparable au Québec, même dans certains cas pire qu’au Québec. Je parle entre autres des villes comme New York, Boston, Chicago… », a énuméré M. Legault. « Si vous allez voir les chiffres dans ces villes-là, c’est comparable ou pire que ce qu’on a vécu à Montréal. Il y a une exception : c’est Toronto », a-t-il ajouté.

R0 « en bas de 1 » à Montréal

Le Dr Horacio Arruda a indiqué mercredi que le R0 (taux de reproduction du virus) était « encore en bas de 1 » dans la région métropolitaine. « Je dirais que les discussions que j’ai eues avec la [directrice de santé publique de Montréal, la Dre Mylène Drouin], notamment en lien avec certains quartiers chauds dans le nord de Montréal, démontraient qu’il y a une tendance à la baisse de la transmission communautaire. Donc, on est dans la bonne perspective », s’est réjoui le Dr Arruda, en rappelant que Québec testait par ailleurs plus. Mais comme le R0 est « juste un petit peu en bas » du 1, il faut demeurer très prudents parce que la situation peut « changer rapidement ». Dans cette guerre au coronavirus, il est primordial, selon les experts, d’abaisser le R0 sous la barre de 1 parce que, si chaque personne atteinte infecte moins d’une personne en moyenne, l’épidémie décroît et finit par s’estomper.

COVID-19

« J’ai découvert une vocation »

Directeur de vol chez Air Canada, Roberto Garca compte répondre à l’appel du gouvernement Legault

Former 10 000 futurs préposés aux bénéficiaires en trois mois ne sera pas chose simple. D’abord, il faut les trouver. Il y aura des volontaires, comme l’agent de bord Roberto Garca. Mais il faudra aussi adapter la formation professionnelle, qui dure normalement neuf mois. Un défi qui laisse une enseignante au DEP dubitative.

« Ma conjointe me disait que j’allais apprécier plus la vie. Elle avait raison. Je suis devenu une autre personne. Je veux donner, donner, et il n’y a pas de limite. Je suis fatigué, je suis brûlé quand j’arrive le soir, mais ça passe vite, ça s’oublie, parce que c’est tellement gratifiant. »

Roberto Garca a hésité avant de s’inscrire à Je contribue ! pour donner un coup de main en CHSLD comme aide de service. Le directeur de vol chez Air Canada est habitué à être au service des gens. Mais entre veiller au confort de voyageurs et changer des couches ou donner des bains, on ne parle pas du même genre de services. Il a tout de même foncé, et trois semaines plus tard, il se sent heureux dans ses fonctions au point de ne plus vouloir quitter la résidence Le Renoir, à Laval.

« Si jamais je suis mis à pied chez Air Canada – ce qui risque d’arriver –, oui, je veux rester, dit M. Garcia. L’infirmière en chef veut me garder à temps plein. Si je suis mis à pied longtemps, j’aimerais suivre le cours. J’ai découvert ma vocation. »

« Je vois la vie d’une autre façon. Et si je retourne chez Air Canada, je veux garder un pied dans la place, une ou deux journées par semaine. » 

— Roberto Garca, agent de bord et aide-préposé aux bénéficiaires pour la COVID-19

M. Garca salue l’intention du gouvernement de recruter 10 000 préposés aux bénéficiaires, en payant la formation et en augmentant les salaires, et espère que « du bon monde, qui le fera pour les bonnes raisons », répondra à l’appel.

« Dans le domaine, il y en a beaucoup qui n’ont pas rapport là. Ils ne l’ont pas pantoute. Ils ne donnent pas leur 100 %. […] Et les aides qui viennent, la majorité “toffent” trois ou quatre jours. Ce n’est pas fait pour tout le monde. C’est vraiment une vocation », observe-t-il.

« Sur quoi on va couper ? »

Infirmière de 20 ans d’expérience, Nadia Lambert donne depuis neuf ans le cours « Situations à risques » aux futurs préposés aux bénéficiaires qui étudient au Centre de formation Compétences 2000, à Laval. Le programme s’échelonne sur 870 heures. Elle a appris la mise en place d’une formation accélérée de trois mois en même temps que tout le monde, lors du point de presse des autorités gouvernementales, mercredi.

« Je vois mal comment préparer mes élèves à aller travailler en milieu COVID en trois mois, dit-elle. Ce cours-là dure habituellement 870 heures, sur environ 9 mois. Je me demande sur quoi on va couper. » 

« Je comprends que le besoin est criant, je comprends très bien. Mais d’un autre côté, ce personnel-là va être là pour longtemps après. » 

— Nadia Lambert, enseignante au DEP Assistance à la personne en établissement et à domicile

Elle donne l’exemple du cours « Prodiguer des soins d’assistance liés aux activités de la vie quotidienne » (PDSB), qui à lui seul occupe 120 heures du programme.

« Les cours qu’on donne ne sont pas moins importants parce qu’on est en pandémie, la prévention des infections, le RCR, établir une relation aidante, etc. Tous les autres cours sont tout autant importants. J’ai vu en unité COVID des aides de service déplacer de patients sans aucune formation PDSB. Les risques de blessures sont grands », témoigne celle qui a aussi offert son aide sur le terrain, au détriment de sa propre santé.

Elle craint aussi que cette offre alléchante d’offrir une formation raccourcie, payée et un salaire bonifié ait un effet pervers sur le reste du réseau de la santé.

« On leur donne la possibilité de suivre un cours en étant payés 21 $ l’heure, ils vont sortir de là avec 26 $ l’heure et ils vont travailler avec des infirmières auxiliaires qui sont à peine payées 22 $ l’heure, soulève Mme Lambert. Je suis super contente qu’on augmente les préposés, ils le méritent, mais qu’est-ce qui va arriver avec les autres ? Les infirmières auxiliaires, présentement, elles se disent qu’elles vont aller la faire, la formation ! »

Le gouvernement devrait annoncer d’ici les prochains jours la quarantaine de centres de formation professionnelle qui vont accepter des demandes. Mme Lambert saura à ce moment si elle devra revoir l’ensemble de son plan de cours et le réduire des deux tiers pour cette cohorte spéciale qui commencera à la mi-juin.

Vacances dans le milieu de la santé

« On veut retrouver nos droits ! »

Des employés du milieu de la santé ont manifesté mercredi pour avoir droit à leurs vacances. Pour faire face à la pandémie, le gouvernement Legault a suspendu en mars dernier des dispositions de leur convention collective, dont leurs congés. Mais après deux mois et demi au front, les infirmières disent avoir maintenant besoin de repos.

L’arrêté ministériel annoncé il y a deux mois a modifié certaines conditions de travail des employés de la santé dans le but de répondre plus efficacement à la crise sanitaire. Cela a permis notamment aux employeurs du réseau de la santé de modifier les horaires de travail, mais également de refuser, d’annuler ou de suspendre les congés et les vacances.

« Plusieurs PDG n’ont pas attendu la fin des arrêtés pour appliquer la convention et donner des vacances aux travailleurs », reconnaît Nancy Bédard, présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ). « Mais bien d’autres continuent d’agir comme si nous étions en plein cœur de la crise. Ce n’est pas le cas, et rien ne justifie donc qu’ils agissent ainsi. »

Devant le CHSLD Notre-Dame-de-la-Merci, dans le nord de Montréal, établissement durement touché par la COVID-19, les manifestants ont fait un bed-in mercredi pour démontrer combien ils étaient épuisés et méritaient leurs vacances.

« Je suis épuisée »

En racontant ce à quoi ressemble sa vie depuis le début de la crise, de grosses larmes coulaient sur les joues d’Isabelle Roy. Mère monoparentale, elle doit gérer les rencontres en vidéoconférence et les devoirs de ses filles de 9 et de 11 ans, tout en jonglant avec un horaire instable comme infirmière d’une équipe de dépistage dans les CHSLD. Or, regrette-t-elle, ses patrons n’ont pas encore approuvé les dates de ses vacances ni celles de ses collègues.

« Je suis épuisée, c’est tellement difficile. En ce moment, mes filles se gardent seules. Et le camp de jour nous a dit que seulement le tiers des jeunes inscrits auraient une place. Et moi, je ne sais même pas si je peux avoir mes deux semaines de vacances », a déploré l’infirmière en pleurant.

« C’est quoi, mon plan B, s’il n’y a pas de camps de jour ? »

— Isabelle Roy

Après plus de deux mois et demi à avoir travaillé au front, l’infirmière Kathleen Bertrand croit qu’il est grand temps que ses collègues et elle obtiennent enfin quelques semaines de vacances. « On comprenait au début de la crise. Mais là, on ne voit pas pourquoi on n’aurait pas le droit au minimum contenu dans nos conventions collectives », évoque la présidente de la FIQ-syndicat des professionnels en soins du Nord-de-l’Île-de-Montréal.

« Des histoires d'horreur »

Devant l’hôpital Pierre-Le Gardeur, à Terrebonne, des centaines de personnes, en majorité des femmes, ont manifesté mercredi en fin d’après-midi. Stéphane Cormier, président du syndicat interprofessionnel de la santé de Lanaudière Sud (FIQ), explique que les vacances sont, aux yeux de ses 3400 membres, « la goutte qui fait déborder le vase ». Ils ont droit à deux semaines, mais c’est loin d’être suffisant, selon lui. « J’entends des histoires d’horreur chaque jour. Les patrons changent leur horaire continuellement. Avec cet arrêté ministériel, il y a un abus de pouvoir incroyable », lance avec force M. Cormier.

C’est rien de moins qu’une « dictature », aux yeux de l’infirmière auxiliaire Danielle Duquette. « Je le sais que le terme est trop fort, mais il n’en reste pas moins que nous sommes des humains. Nous avons fourni un effort, mais là, il ne faut pas abuser du pouvoir », confie-t-elle.

« On a été malmenés. On nous a amenés au combat sans équipement. Et on a répondu à l’attente. Mais là, il y a des limites à ne pas être respectés. On veut récupérer le minimum de droits que nous avions », s’indigne Nancy Bédard, présidente de la FIQ.

Rapport de la situation en CHSLD 

« Des situations exceptionnellement difficiles », selon les militaires

QUÉBEC — Formés pour la guerre et les pires tragédies, des militaires ont vu et vécu des « situations exceptionnellement difficiles » dans des CHSLD du Québec. Il y a un manque de personnel et d’équipement de protection, un contrôle déficient des éclosions et des problèmes de gestion dans ces établissements, dénonce l’armée dans un rapport transmis à Québec.

Le premier ministre François Legault reconnaît que la situation est « difficile » et a demandé à son homologue fédéral Justin Trudeau que les militaires restent plus longtemps, jusqu’au 15 septembre.

Or, le ministre de la Défense, Harjit Sajjan, a fait savoir que l’armée ne serait pas en mesure de prolonger une telle intervention avec la même intensité pour près de quatre mois. Mais Ottawa ne dit pas non à une prolongation de l’implication des militaires dans les CHSLD. « On va être là pour aider le Québec. Il n’est toutefois pas réaliste de penser que la totalité des troupes médicales de l’armée peuvent rester en CHSLD à long terme », a affirmé une source gouvernementale. La demande de Québec sera étudiée afin de déterminer « ce que ça implique ».

Dans un rapport que Québec a rendu public mercredi, les Forces armées canadiennes dressent un portrait de la situation dans 25 CHSLD où un millier de militaires ont été déployés à compter du 20 avril.

Elles ne détaillent pas des conditions « horribles » pour les personnes âgées comme dans leur rapport sur cinq centres de soins de longue durée de l’Ontario. Elles signalent néanmoins assez clairement que des aînés ont été négligés. 

Le manque de préposés aux bénéficiaires « avait une incidence directe sur l’hygiène des résidants » dans plusieurs CHSLD, précise le rapport à maintes reprises.

Le colonel T.M. Arsenault souligne que plusieurs membres des Forces « ont été témoins et [ont] vécu des situations exceptionnellement difficiles dans les CHSLD ». Au point que l’armée devra « enclencher les mécanismes nécessaires pour favoriser le maintien de la bonne santé mentale de la force ».

Dans certains CHSLD, la quantité d’équipements de protection est toujours insuffisante. Le personnel ne respecte pas toujours les consignes sur le port de ce matériel. Les protocoles sur les zones chaudes et froides ne sont pas toujours suivis. Il y a ainsi des lacunes dans la prévention et le contrôle des éclosions de COVID-19. La gestion de certains centres est également déficiente, toujours selon l’armée.

« Les défis de taille se retrouvent principalement au niveau de la surveillance des zones, l’utilisation de l’équipement de protection individuelle (EPI) et la dotation en personnel, résume le colonel Arsenault. Selon nos observations, le besoin criant des CHSLD est au niveau du personnel avec formation médicale. »

« Pas beaucoup de surprises »

Pour le premier ministre François Legault, il n’y a « pas beaucoup de surprises » dans ce rapport. « Évidemment, ça ne veut pas dire que la situation n’est pas difficile », a-t-il ajouté en conférence de presse. Il a réitéré son intention de combler la pénurie de personnel.

Il s’est dit étonné qu’un manque d’équipement de protection subsiste dans certains CHSLD. « On n’a jamais manqué d’équipement » au Québec depuis le début de la pandémie, il y a plutôt eu « un problème de distribution », selon lui. « Il y a quelques endroits où il y a probablement encore un problème de logistique, et on le règle actuellement », a souligné la ministre de la Santé et des Services sociaux, Danielle McCann.

François Legault a attribué aux libéraux la responsabilité des problèmes de gestion des CHSLD soulevés dans le rapport. Il a rappelé les « coupures de l’ancien gouvernement » dans les postes de cadres. « C’est vrai qu’il y avait peut-être trop de bureaucratie, puis qu’une partie, c’était normal de l’enlever, mais on est peut-être allés trop fort. » Selon lui, « dans chaque établissement, il devrait y avoir un patron ou une patronne ». « Ça va faire partie des changements qu’on va faire dans les prochains mois », a-t-il ajouté.

— Avec la collaboration de Mélanie Marquis, La Presse

COVID-19

Des extraits du rapport

CHSLD Vigi Mont-Royal

« Lors de la première semaine de soutien, les réserves d’EPI [équipement de protection individuelle] disparaissaient (une commande de 20 boîtes de masques chirurgicaux était introuvable). […] Une livraison de narcotiques semble avoir disparu et l’approvisionnement au sein des unités de soins est difficile. Un manque d’équipement médical est souvent noté lors des changements de quart. […] Nous avons remarqué que les consignes [sur la prévention des infections] ne sont pas respectées par certains employés civils malgré les rappels constants faits par nos militaires. Nous sommes témoins quotidiennement d’employés ne respectant pas les protocoles mis en place par l’établissement […]. Le centre semble éprouver certains défis au niveau de la gestion de son personnel et de leur assiduité. Il est rare qu’il n’y ait un jour où une situation ne perturbe pas la routine opérationnelle quotidienne de l’établissement. »

Centre d’hébergement de Saint-Laurent

« Nous avons remarqué que certains employés ne respectent pas les mesures en matière d’EPI et ne se changent pas entre les chambres chaudes et froides. […] Nous avons remarqué qu’il semble y avoir eu des conflits entre les employés civils réguliers et ceux qui proviennent des autres centres. Ces conflits portaient principalement sur le nombre d’heures de travail, la gestion de l’établissement, l’assiduité des employés et le manque important d’infirmières. Un coordonnateur a menacé d’arrêter de travailler si des infirmières supplémentaires n’étaient pas embauchées. Nous avons remarqué que des employés s’absentaient sans préavis pendant leur quart de travail. »

Centre de soins Grace Dart

L’augmentation du taux de contamination des résidants et des employés « semble due à une mauvaise discipline au niveau du port des EPI, du respect des zones et des consignes de sécurité pour le port des EPI entre ces zones. […] Initialement, nous avons évalué que la prévention et le contrôle de la contamination ne respectaient pas les normes établies par le CIUSSS. Le port des EPI était, à notre arrivée, une problématique majeure. […] Il y a encore quelques employés qui ne respectent pas [les] consignes […] Nous avons remarqué au début un manque d’assiduité de la part de certains employés, où plusieurs arrivaient en retard pour leur quart et s’absentaient pendant de longues périodes (30 minutes à deux heures). »

CHSLD de la Rive

« La hausse [du taux de propagation de la COVID-19] semble due à la circulation des résidants entre les zones sans protection adéquate. […] Avant notre arrivée, il semble qu’il y avait un manque de personnel et un haut taux d’absentéisme général. Maintenant, nous observons que le manque de personnel est toujours présent puisqu’il y a eu de nombreuses démissions sans nouvelles embauches. Le défi observé auquel fait face ce CHSLD est essentiellement centré sur sa capacité à engager du nouveau personnel. Il a été remarqué que la plupart des gens qui travaillent au centre sont des bénévoles avec peu ou pas d’expérience en CHSLD. La direction du centre est pleinement consciente de l’importance du recrutement et met les efforts adéquats pour pallier ce problème. »

CHSLD Argyle

« L’équipement de protection individuelle (EPI) semble être en quantité insuffisante. L’approvisionnement en masques est particulièrement difficile. Les quantités semblent suffire à peine pour équiper tous les employés […] Nous évaluons la prévention des infections et la gestion des zones comme étant légèrement insuffisantes. »

CHSLD Denis-Benjamin-Viger

« Le soutien logistique n’est pas toujours disponible dans les zones chaudes. Le matériel ne semble pas être disponible sur les étages et les employés se retrouvent à faire le tour des étages afin de se procurer l’équipement requis. Le point a été soulevé à la direction et le personnel devrait noter des améliorations prochainement. »

Centre d’hébergement Saint-Andrew

« Le centre semble avoir parfois besoin d’un coup de main dans la gestion de l’établissement, par exemple, pour les questions de prévention et de contrôle [d’éclosions]. Nous avons observé quelques difficultés quant au passage efficient de l’information entre employés. Il appert que les gestionnaires du centre sont partagés sur plusieurs centres, ce qui rend la tâche de gestion particulièrement difficile en temps de crise. »

Centre d’hébergement Réal-Morel

« La prévention et le contrôle [des éclosions] seraient à améliorer. Le mouvement du personnel médical d’un quart à l’autre fait en sorte de mettre en place des conditions propices à une éclosion. »

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