France Margaret Bélanger

Comme un poisson dans l’eau du boys club

Nommée présidente « sports et divertissement » du groupe CH l’été dernier, France Margaret Bélanger est une des rares femmes à occuper un poste aussi prestigieux dans le monde du sport professionnel. Comme les cafés sont encore fermés, nous l’avons rencontrée au Centre Bell.

Chaque fois que France Margaret Bélanger accorde une entrevue, elle doit répondre à cette fameuse question : c’est comment être une des rares femmes dans un monde d’hommes ?

Elle balaie le sujet d’un revers de main. « Honnêtement, ça n’a jamais été mon cheval de bataille, répond-elle. Au fur et à mesure que tu avances dans les cabinets d’avocats, il y a moins de femmes que d’hommes, mais je ne me suis pas arrêtée à ça. Et dans le monde du hockey c’est encore plus vrai. J’ai toujours essayé d’être au meilleur de mes capacités, j’ai gagné le respect de mes collègues en faisant mon travail, parce que j’étais préparée. »

J’insiste quand même un peu. Quand elle a assisté la première fois à une réunion des gouverneurs de la LNH, en 2013, elle n’était même pas un peu intimidée ? « C’est vrai que j’étais pas mal la seule », reconnaît-elle en riant.

« J’avais assisté à beaucoup de meetings dans ma vie, mais là… cette salle gigantesque avec une immense table au milieu. Imagine, il y a 90 personnes autour. Visuellement, il n’y avait pas de femmes là. Je reconnaissais quelques visages, mais je ne connaissais personne. Disons que je ressortais du lot [rires]. »

— France Margaret Bélanger

« Geoff venait de me nommer gouverneure suppléante deux mois auparavant. Il m’avait dit : “Tu viens avec moi à cette rencontre”. Les gens devaient se dire : “C’est qui, elle ?” Moi j’essayais de ne pas suivre Geoff aux deux pas, j’allais parler aux gens. Mais quand je disais mon nom au complet, on ne comprenait rien. “What ? France ? French ?” [rires]. Aujourd’hui je peux dire que j’ai fait ma place. »

Il faut dire que France Margaret Bélanger dégage une confiance et une énergie assez irrésistibles. C’est cette « drive » qui l’a conduite de Matane, où elle a grandi, jusqu’à Montréal, où elle a décroché son premier emploi en droit, en passant par Québec, où elle a fait ses études collégiales. Si elle avait suivi le chemin que son père avait tracé pour elle, la présidente du CH travaillerait aujourd’hui au sein de l’entreprise familiale, Béton Provincial, aux côtés de ses frères et sœurs. Mais la cadette de quatre enfants a plutôt choisi de faire son stage chez Stikeman Elliott, où elle est devenue associée alors qu’elle n’avait même pas 30 ans. C’est là qu’elle a eu ses premiers contacts avec le Canadien de Montréal, en négociant l’achat puis la vente du club de hockey en l’espace de huit ans. Elle a connu le règne de George Gillett puis celui de Geoff Molson, qui l’a finalement embauchée en 2013 pour diriger les affaires juridiques.

Est-ce que ça a été difficile d’annoncer à son père qu’elle ne rejoindrait pas l’entreprise familiale ? « Ça ne s’est pas passé comme ça, m’explique-t-elle. Je n’ai jamais eu à l’exprimer. En fait, je travaillais tout le temps et je ne parlais jamais de revenir, alors je les ai mis devant un fait accompli. Peut-être que de cette façon, j’ai évité d’avoir la conversation. »

Les femmes et le sport

Le monde du sport est un des derniers bastions de la masculinité, mais on voit de plus en plus de fissures dans la forteresse. À commencer par la nomination, au baseball majeur, de Kim Ng à la tête des Marlins de Miami, en novembre 2020. « C’était un grand coup de théâtre, observe Mme Bélanger. C’était la première fois qu’une femme était nommée à la tête des opérations sportives. » Une autre avancée remarquée : la nomination d’Émilie Castonguay, nommée directrice générale adjointe des Canucks de Vancouver la semaine dernière.

Je lui demande pourquoi le Canadien – qui avait pourtant annoncé plus de diversité – vient de nommer deux hommes blancs cisgenres – un adjectif que j’utilise avec un sourire en coin car je sais qu’il fera sans doute grincer des dents quelques amateurs de sport. Plus sérieusement, quelle est la latitude pour faire plus de place aux femmes au sein de l’organisation ?

« Quand Geoff s’est adressé aux médias, le 29 novembre dernier, il a dit qu’il voulait plus de diversité, reconnaît France Margaret Bélanger. C’est vrai qu’ensuite, deux gars ont été nommés. Mais on a aussi nommé Chantal [Chantal Machabée, la nouvelle vice-présidente des communications] qui est près de l’équipe. Et il reste plusieurs postes ouverts dans les opérations hockey, des postes de recrutement, de développement de joueurs, d’appui en santé et en santé mentale. Je ne dis pas qu’il y aura des annonces dans les prochaines semaines, mais il y en aura avant longtemps. »

« Mais, si je peux me permettre un petit commentaire éditorial… J’ai tellement hâte qu’on dise tout simplement que la présidente, c’est France Margaret, ou que la directrice générale adjointe, c’est Émilie, plutôt que “c’est une femme”. On ne dira jamais : tel DG, c’est un homme. J’ai hâte qu’on y arrive. »

— France Margaret Bélanger

« Je pense qu’on va voir beaucoup d’évolution prochainement. C’est prouvé qu’à tous les niveaux, une diversité d’opinions et d’expériences est une richesse dans une organisation. Je suis convaincue de cela. »

Une fille de Matane

De Logan Mailloux à Carey Price en passant par Jonathan Drouin, l’organisation du Canadien a dû gérer dernièrement des crises médiatiques qui n’avaient pas grand-chose à voir avec le hockey. Un crime à caractère sexuel, des cas de santé mentale. L’organisation était-elle prête à faire face à ce genre de discussion publique ? « C’est sûr que les athlètes sont vus comme des êtres invincibles. Les problèmes de santé mentale, ça affecte les performances au même titre que les blessures physiques, c’est extrêmement sérieux. Il y a cinq ans, on n’en aurait probablement pas parlé publiquement parce que le joueur ne l’aurait pas dit, ça se serait passé entre lui et le personnel médical. Maintenant, on en parle sur la place publique. On ne souhaite jamais que les joueurs vivent de telles choses, mais s’il y a un aspect positif à tout ça, c’est que les gens en parlent. »

« Les joueurs sont des modèles pour les jeunes. Quand Jonathan est sorti, on a reçu beaucoup d’appels d’entreprises qui voulaient l’inviter à aller parler. Et pour Carey Price, il y a eu une énorme réaction. J’ai reçu beaucoup d’appels, tous respectueux. Ça a vraiment créé une vague. »

— France Margaret Bélanger

Notre entrevue tire à sa fin et France Margaret Bélanger est déjà en retard pour son prochain rendez-vous. Avant de la laisser partir, je lui demande ce qu’il reste de Matane dans la femme qu’elle est devenue. « Matane, c’est la connexion à la famille. Mes parents et ma sœur Nicole habitent toujours là. C’est notre ancrage. Tous les Noël se passent là-bas. La maison familiale, c’est la base de tout. Mais c’est loin, c’est à six heures d’auto. J’essaie d’y aller aux six semaines. Ce qui me reste de Matane sur le plan personnel ? Je dirais que quand tu grandis dans une ville de 15 000 personnes, tu apprends le respect des gens. Tu connais tout le monde et tout le monde te connait. Tu as une façon d’être, une parole. Les gens sont authentiques. »

* Les réponses ont été reformulées par souci de concision.

Questionnaire sans filtre

Le café et moi : J’adore le café. C’est une motivation pour me lever le matin. Avant la pandémie, je buvais un latte chez moi et un autre au bureau. J’aime le bon café et j’ai découvert un torréfacteur montréalais, Narval… quand tu ouvres la boîte de café, tu veux juste le sentir tellement il sent bon.

Une personne qui m’inspire : Mon père, Walter Bélanger. Pour sa résilience, sa détermination, sa fierté dans le travail. Quand mon père donne sa parole, ça ne prend pas un bout de papier, c’est fait. Et j’ai énormément de respect pour ça.

Les gens que j’aimerais réunir pour un souper : Mes parents sont âgés, ils ont au-delà de 90 ans et ils ont des problèmes de santé. Si je pouvais, j’organiserais un souper avec mes parents en parfaite santé et mes filles, pour qu’elles voient qui sont vraiment mes parents.

Le spectacle de rêve sur scène : Ah ça c’est difficile, j’ai tellement de groupes préférés. J’aime beaucoup Radiohead, The Killers, et les Red Hot Chili Peppers. J’adore Eminem aussi. Il y a aussi The Boss [Bruce Springsteen].

Qui est France Margaret Bélanger ?

• Née à Matane, cadette de quatre enfants

• Diplômée en droit de l’Université d’Ottawa et titulaire d’un MBA dans le cadre du programme EMBA McGill – HEC Montréal

• Avocate en droit des affaires chez Stikeman Elliott de 1995 à 2013

• Nommée vice-présidente principale et chef des affaires juridiques du Canadien de Montréal en 2013

• Nommée présidente « sports et divertissement » du Groupe CH en août 2021

• Gouverneure suppléante du Canadien à la LNH depuis novembre 2020, et membre du conseil exécutif d’inclusion de la ligue.

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