Éditorial Laura-Julie Perreault

Les leçons urgentes du vaccin contre l’Ebola

L’Ervebo, vous connaissez ? Non ? C’est dommage. En tant que contribuable canadien, vous avez financé l’élaboration de ce vaccin pour contrer la terrible maladie de l’Ebola qui a tué 11 300 personnes en Afrique de l’Ouest de 2014 à 2016 ainsi que 2600 autres au Congo en 2018 et 2019. Un vaccin qui, depuis peu, sauve des vies.

Le gouvernement fédéral canadien a subventionné la recherche pour ce vaccin, mais aussi des essais cliniques. Des investissements de plusieurs millions de dollars en 10 ans. En 2010, la licence du vaccin a été cédée pour quelque 205 000 $ à la société NewLink de l’Iowa. Cette dernière devait terminer les essais cliniques et assurer la mise en marché, mais au lieu de ça, elle mis le vaccin sur les tablettes pendant de longues années, selon une enquête de la CBC.

Quand l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest a débuté, plusieurs se sont demandé où était passé le fameux vaccin « canadien », qui avait pourtant prouvé son efficacité à 100 % lors de tests sur des macaques. Dans les mois qui ont suivi, la société NewLink s’est associée à Merck. Cette dernière a déboursé 50 millions de dollars US, soit plus de 200 fois ce que NewLink avait initialement payé pour acquérir une sous-licence. Depuis, c’est la grande société pharmaceutique américaine qui peut commercialiser le vaccin. L’Ervebo a reçu le feu vert des autorités américaines en décembre dernier.

Pourquoi en parler maintenant alors que la dernière épidémie d’Ebola en République démocratique du Congo est maîtrisée et que c’est la pandémie du coronavirus, pour lequel il n’existe pas de vaccin, qui monopolise l’attention ?

Parce que l’Ervebo est une importante mise en garde. Le gouvernement fédéral vient d’annoncer qu’il investira au moins 275 millions supplémentaires dans la recherche pour mettre au point et tester des outils de diagnostic, des traitements et des vaccins pour faire face à la COVID-19. Plusieurs provinces, dont le Québec, ont aussi bonifié leur aide à la recherche.

Tout ça est une excellente nouvelle qu’il faut applaudir. Cette pandémie nous fait tous réaliser l’importance cruciale de la science dans nos propres vies. Si nous voulons venir à bout du coronavirus qu’ont déjà contracté plus de 1 million de personnes dans le monde, la science est notre meilleur espoir à moyen et à long terme.

Cependant, alors que les gouvernements délient les cordons de la bourse, il est impératif de mettre en pratique immédiatement les leçons apprises dans le dossier de l’Ervebo. Et elles sont nombreuses.

Dans une lettre envoyée au gouvernement fédéral cette semaine, plusieurs organisations, dont Médecins sans frontières et Médecins du monde, demandent au gouvernement canadien d’inclure des garde-fous dans les contrats de recherche pour s’assurer que lorsque l’élaboration d’un nouveau vaccin ou médicament est financée par les deniers publics, le résultat de ces recherches restera accessible au plus grand nombre et à un prix raisonnable plutôt que d’être soumis aux règles du marché. Ça semble logique, mais ça ne se fait pas automatiquement.

La recherche entourant cette pandémie est une excellente occasion de changer la donne. Il est temps de voir les découvertes scientifiques réalisées grâce aux fonds publics comme un bien commun et de revoir la formule quasi automatique du « financé par le public, cédé au privé ».

Le ministre de l’Économie et de l’Innovation du Québec, Pierre Fitzgibbon, songe à faire du gouvernement un partenaire d’affaires d’entreprises qui mettent en marché de nouveaux traitements. Ainsi, si des découvertes financées par l’État engendrent des profits, une partie reviendrait dans les coffres du gouvernement et serait réinvestie en santé. C’est une avenue prometteuse.

Plusieurs experts croient aussi que l’État pourrait éventuellement devenir le producteur des médicaments et vaccins dont il finance la recherche. Ou encore, qu’il devrait s’assurer que les licences liées aux nouveaux médicaments élaborés avec des subventions ne sont pas accordées en exclusivité à une seule société pharmaceutique.

Voilà beaucoup de bonnes idées sur lesquelles les gouvernements fédéral et provincial doivent se pencher le plus rapidement possible. Il n’est pas trop tard.

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