ENTREVUE AVEC LE Dr STANLEY VOLLANT

SANTÉ DES PREMIÈRES NATIONS

Comprendre… pour aider

Pendant un siècle, plus de 150 000 enfants autochtones ont été déracinés de leur milieu pour être envoyés dans des pensionnats. Le traumatisme que cet épisode a engendré explique en partie le portrait de l’état de santé des autochtones, qui ne s’améliore guère, selon le Dr Stanley Vollant, premier chirurgien autochtone au Québec. Entrevue.

En 2015, comment va la santé des personnes autochtones au Québec ?

Le portrait de santé des Premières Nations du Québec ne s’est guère amélioré par rapport aux comparatifs d’il y a cinq, six ans ; il s’est peut-être même légèrement détérioré.

Pourquoi ?

L’épidémie de diabète est en croissance de façon constante. C’est une question de démographie : la population étant très jeune, il y a une grosse cohorte de gens qui arrivent à l’âge de prédisposition au diabète, vers 35-40 ans. Par ailleurs, peu d’initiatives ont été mises en place sur le plan de la santé mentale, qui ne s’est guère améliorée. Bien qu’il n’y ait pas de statistiques claires, des chiffres montrent une hausse des problèmes de dépendance à l’alcool, aux drogues et au jeu. Il y a un potentiel que ça empire dans les prochaines années si l’on ne fait rien pour agir.

Début juin, la Commission de vérité et réconciliation du Canada a rendu public son rapport sur les pensionnats autochtones. Cette époque explique-t-elle les problématiques actuelles en santé ?

Oui, beaucoup. L’épisode des pensionnats a laissé des séquelles, un traumatisme transgénérationnel, qu’on vit encore de façon très importante dans les communautés. Pour se départir du traumatisme physique, psychologique et souvent sexuel qu’ils ont subi, pour tenter d’oublier la honte et la déculturation, des gens ont trouvé dans l’alcool et les drogues une façon de s’automédicamenter. Les gens qui ont fréquenté ces écoles-là ont souvent développé des pathologies psychologiques et n’ont pas eu la chance de développer des habiletés parentales. Ce qu’ils ont connu, c’est la violence.

Avez-vous fréquenté un pensionnat ?

Dans les années 70, j’ai été au pensionnat de La Tuque. J’y ai été quelques semaines seulement, assez longtemps pour me rendre compte que ce n’était pas une bonne place. Au bout de quelques jours, j’ai dit à ma mère : « Retourne-moi chez nous. » Je n’ai pas subi de sévices psychologiques ni physiques, mais j’ai pu sentir une violence institutionnelle. Pour survivre, les gens avaient adopté la loi du plus fort. […] Ma mère, qui a été dans plusieurs pensionnats, a eu des troubles de toxicomanie. Elle en est morte à l’âge de 52 ans. Jeune, j’ai condamné ses actions, mais aujourd’hui, je les comprends et je lui pardonne.

Maintenant que les pensionnats sont fermés, la nouvelle génération s’en tire-t-elle mieux ?

Aujourd’hui, on vit un autre drame : le système de protection de l’enfance, où plus de 200 000 jeunes autochtones ont passé dans les 10 dernières années. Au Canada, il y a un taux de placement d’environ 15 % à 20 % des enfants autochtones. Dans certaines communautés, ça atteint 60 % à 70 %. Les enfants grandissent donc en majorité ailleurs que dans leur maison. Ces jeunes-là vont augmenter les problématiques sociales dans les prochaines années : des gens déracinés de leur famille, qui vont devenir tout croches.

C’est un portrait bien sombre. Que peut-on faire pour en sortir ?

De l’argent devra nécessairement être investi dans le développement social – centres de jour pour les enfants, centres de jour pour les aînés, programmes de réinsertion, etc. – et dans le développement éducatif. Actuellement, les écoles autochtones ont un budget par élève de 50 % inférieur à celui des écoles non autochtones. Il est aussi important que les communautés et les individus s’engagent et démontrent une volonté d’agir. On peut investir, mais si la communauté ne s’est pas prise en charge, l’argent va passer d’un bord et sortir de l’autre, sans avoir d’effet marqué.

Et que peut faire le système de soins pour mieux accueillir les patients autochtones ?

Ce qui est important, c’est de former du personnel soignant sensible et respectueux des différences culturelles et qui développe des compétences à travailler auprès des Premières Nations. C’est-à-dire mieux connaître leur histoire, leur état de santé, le phénomène des pensionnats et de la colonisation. En voyant plein de monde avec des problématiques de santé mentale, un infirmier ou un médecin qui n’a jamais eu de formation historico-sociale des Premières Nations va développer des préjugés, et peut-être même être ostracisant dans son approche. Quand on connaît la situation, ça n’excuse pas, mais ça permet de comprendre et de mieux aider les patients à cheminer dans leur problématique.

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