Pékin 2022

Un boycottage des Jeux olympiques est-il la solution pour aider les Ouïghours ?

De plus en plus de voix s’élèvent pour contester la tenue des Jeux olympiques d’hiver à Pékin, en février prochain.

La raison invoquée est le traitement réservé depuis plusieurs années par le régime chinois à la minorité musulmane ouïghours du Xinjiang, dans l’ouest de la Chine, qualifié par certains de génocide. Au-delà des débats sur l’usage du terme lui-même, il se dégage un consensus, au moins en Occident, pour critiquer vigoureusement la politique du gouvernement chinois à ce sujet. Avec la tenue, dans moins d’un an, des Jeux d’hiver à Pékin, l’idée d’un boycottage refait surface ; faut-il rester silencieux face à ce qui semble être à tout le moins une répression de grande envergure ?

Boycotter Pékin 2022 est-il pour autant la solution pour aider les Ouïghours ? L’Histoire semble montrer qu’il ne s’agit peut-être pas toujours de l’outil idoine, mais les pro-boycottage arguent qu’il s’agit d’un geste parfois nécessaire. Ils prennent pour exemple les Jeux de Berlin en 1936, consécration internationale du régime nazi. Ne pas avoir boycotté les Jeux aura donc été une occasion manquée d’empêcher Hitler de les utiliser pour promouvoir son régime. Un boycottage avait pourtant été évoqué, mais jamais appliqué, et il est difficile de savoir quelle en aurait été la portée.

Le simple fait de débattre des conséquences politiques de Berlin 1936 et de dire que ne pas s’y opposer aurait contribué indirectement à la propagande nazie est toutefois une nouvelle preuve que le leitmotiv du Comité international olympique (CIO) selon lequel les Jeux sont apolitiques relève de l’aveuglement.

Attribuer l’organisation des Jeux olympiques à une ville, à un pays, à un régime est bien un signe d’approbation internationale (les Jeux de Berlin avaient été attribués à l’Allemagne avant la prise de pouvoir par les nazis). Le pays qui l’obtient dispose alors d’une visibilité de premier ordre, mais s’expose aussi à d’éventuelles contestations. Lors des Jeux d’été de Pékin (déjà) en 2008, la situation des droits humains en Chine avait fait l’objet de controverses et d’appels au boycottage.

Un argument évoqué à l’époque était que l’organisation d’un évènement d’envergure internationale allait permettre à la Chine d’en profiter pour améliorer la situation à l’interne. Treize ans plus tard, force est de constater que cela n’a pas été le cas, loin s’en faut.

Outre le fait que l’efficacité politique des boycottages est sujette à caution, un des arguments qui leur est souvent opposé est que ce sont d’abord les athlètes qui en font les frais. C’est indéniable car nombre d’entre eux sont des amateurs, qui ont consenti des efforts colossaux pour participer aux Jeux olympiques, et pour beaucoup, il n’y aura qu’une occasion. Un boycottage, geste politique fort, revient à les sacrifier sur l’autel des relations internationales et les priver de leur rêve. C’est d’autant plus ironique que la Charte olympique est impitoyable face à tout geste politique de la part des athlètes durant les Jeux. En d’autres termes, les États le font souvent, mais les individus risquent de fortes sanctions sportives.

Impact limité

Que faire si les boycottages sont plus ou moins efficaces et s’ils finissent par atteindre les mauvaises cibles ? Le 6 février dernier, une lettre signée par une trentaine de députés canadiens et québécois a proposé au CIO de déplacer les Jeux dans une autre ville, les signataires de la lettre précisant justement qu’ils ne voulaient pas nuire aux athlètes et demandant donc un déplacement dans un pays non totalitaire. Le CIO n’a pas donné suite à cette idée, mais il est douteux qu’elle soit appliquée, ne serait-ce que pour des raisons pratiques. À un an des Olympiques, changer de ville est une gageure quasi insurmontable en termes d’organisation, à commencer par l’absence de candidature pour accueillir l’évènement.

Si les boycottages n’ont pas fonctionné, c’est peut-être aussi parce qu’ils n’ont jamais été appliqués de manière massive. Plusieurs puissances sportives (et politiques) n’y ayant pas adhéré, leur impact était forcément limité. L’endossement quasi unanime d’un boycottage est devenu illusoire, au vu des divisions de l’ordre mondial. Chaque pays assez riche pour organiser des Jeux peut compter sur suffisamment d’appuis politiques pour diluer les effets d’un boycottage. Le coût prohibitif de cette organisation est de plus en plus rédhibitoire pour beaucoup de démocraties et on voit de plus en plus de candidatures émanant de pays qui se préoccupent peu de l’avis de leurs populations.

De toute manière, comme le soulignent régulièrement les gouvernements chinois et russe, les pays dits démocratiques ont eux-mêmes leur lot de choses à se reprocher et ne peuvent pas vraiment se poser en donneurs de leçons.

Le cas des Jeux d’hiver est toutefois particulier, car ils sont bien moins universels que ceux d’été, les pays les plus compétitifs se résumant à l’Europe, l’Amérique du Nord et une poignée de pays d’Asie. Pas besoin, donc, d’en convaincre un nombre très important pour faire pression sur le régime chinois. Une majorité d’entre eux sont pro-occidentaux, à l’exception notable de la Russie. Mais même une démarche coordonnée est peu probable, la crainte de représailles diplomatiques, voire économiques de la part de la Chine pouvant en faire hésiter plus d’un. Avec l’organisation des Jeux olympiques en 2024 à Paris, il est par exemple douteux que la France soit partisane de la ligne dure. Quant à l’Italie, elle se ferait sans doute rappeler que la Chine l’a aidée, notamment sur le plan logistique, au plus fort de la crise de la COVID-19 du printemps 2020.

Déplacement, boycottage, participation « avec message » ou « business as usual », difficile de prédire ce qui va se passer. Si la situation des Ouïghours ne semble pas faire de doute et que les Jeux de Pékin représentent une des rares occasions de passer un message au régime chinois, aucune solution ne semble idéale, et le dilemme est terrible. Quelles que soient l’issue et la solution retenue, le mouvement olympique pourrait en être durablement altéré. L’essentiel est de participer, disait le baron Pierre de Coubertin. On en est maintenant très loin.

*Yann Roche est professeur au département de géographie de l’Université du Québec à Montréal.

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