Lésions liées aux pesticides ou à d’autres produits agrochimiques

La CNESST a reconnu 13 cas depuis cinq ans

Après l’ex-ouvrier agricole mexicain Armando Lazo Bautista, récemment indemnisé pour un cancer développé au contact du glyphosate et du malathion, 13 autres cas de lésions professionnelles attribuables à une exposition à des pesticides ou à d’autres produits agrochimiques ont été reconnus depuis cinq ans au Québec, révèlent des données fournies à La Presse par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST).

Durant les cinq saisons où il a travaillé dans la culture de pommes et de bleuets au Québec, M. Bautista a été exposé à « de multiples pesticides, dont deux cancérogènes probables », a reconnu le Tribunal administratif du travail (TAT) en citant le glyphosate, un herbicide, et le malathion, un insecticide. Son lymphome non hodgkinien diagnostiqué en août 2016 est donc une maladie professionnelle, a tranché le TAT dans une décision marquante en décembre dernier.

Treize autres lésions professionnelles attribuables à une exposition à des « produits agrochimiques et autres pesticides » ont été reconnues par la CNESST entre 2017 et 2021. Cinq sont liées à des maladies respiratoires ou cutanées, sept à des brûlures, plaies ouvertes ou autres blessures, et une autre a été classée comme un symptôme ou un état mal défini.

Quant à M. Bautista, il a récemment touché un paiement rétroactif de 138 000 $. « Ça fait deux semaines à peu près, on vient tout juste de régler le dossier », nous a indiqué Michel Pilon, directeur général des Réseaux d’aide aux travailleuses et travailleurs migrants agricoles du Québec, qui l’a défendu.

L’homme de 53 ans, toujours traité au Mexique, reçoit maintenant des indemnités de remplacement du revenu de la CNESST, et fera l’objet d’une demande pour invalidité permanente.

La maladie de Parkinson a aussi été ajoutée l’automne dernier aux affections pour lesquelles les travailleurs manipulant des pesticides n’ont plus à démontrer de lien avec l’exposition pour être indemnisés. Les critères donnant droit à cette présomption sont toutefois exigeants (minimum de 10 ans d’exposition, diagnostic sept ans ou moins après l’exposition, etc.).

« La démarche de prévention préconise d’abord l’élimination du danger à la source. En d’autres termes, de ne pas utiliser de pesticides », a récemment prévenu la CNESST dans un communiqué, en reconnaissant toutefois que « si cela n’est pas possible, d’autres mesures de prévention peuvent être mises en place ».

D’autres maladies neurodégénératives

La maladie de Parkinson figure aussi parmi les trois maladies dégénératives dont l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST) examine actuellement les liens possibles avec les pesticides – les deux autres sont la maladie d’Alzheimer et la sclérose latérale amyotrophique.

« Les pesticides, surtout les insecticides, et certains herbicides ont des effets neurotoxiques connus », explique France Labrèche, chercheuse à l’IRSST et professeure au département de santé environnementale et santé au travail de l’Université de Montréal.

Le célèbre glyphosate, reconnu comme cancérogène probable par le Centre international de recherche sur le cancer depuis 2015, sera-t-il associé à d’autres maladies au terme de cette revue de la littérature ? La publication étant prévue en décembre ou janvier seulement, l’IRSST n’a pas encore de réponse.

« Je préfère dire : “Faites attention à tout pesticide”. Tout produit chimique dont le but est de tuer, ou d’annihiler, ou de faire du tort à quelque chose de vivant, il faut s’en méfier. »

— France Labrèche, chercheuse à l’IRSST et professeure au département de santé environnementale et santé au travail de l’Université de Montréal

Le glyphosate, commercialisé à l’origine par Monsanto, est l’ingrédient actif de pesticide le plus vendu au Québec. La quasi-totalité des herbicides (93 %) sont toutefois utilisés en milieu agricole, souligne le bilan du ministère de l’Environnement.

L’ARLA sur le gril

Cinq ans après avoir renouvelé l’homologation du glyphosate, l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA) de Santé Canada a récemment été rattrapée par sa décision.

Lorsqu’elle a redonné son feu vert pour 15 ans, en 2017, l’ARLA a reçu des avis d’opposition de huit groupes, mais a refusé d’instaurer une commission d’examen pour les entendre, sans une justification adéquate.

Une décision « déraisonnable », a tranché la Cour d’appel fédérale dans un jugement sans précédent rendu en février dernier.

L’ARLA doit réexaminer les arguments contenus dans l’avis d’opposition de l’organisme qui l’a poursuivie (Safe Food Matters), a ordonné le tribunal en lui dictant ses orientations pour procéder.

Si l’ARLA refuse encore de former une commission d’examen, « elle va avoir du mal à s’expliquer compte tenu des orientations données », a commenté la présidente de Safe Food Matters, Mary Lou McDonald, en entrevue téléphonique.

Cette autorisation pour 15 ans, « c’est une grosse affaire », a fait valoir Mme McDonald, rappelant que la Commission européenne, elle, avait prolongé l’autorisation du glyphosate de seulement cinq ans en 2017.

L’ARLA n’en a pas non plus fini avec le tollé provoqué l’été dernier par sa proposition d’augmenter la limite de résidus de glyphosate permise dans des légumineuses importées.

L’Agence « a utilisé des données de consommation américaines désuètes, même si des données canadiennes plus récentes étaient disponibles », a dénoncé récemment Safe Food Matters, en s’appuyant sur des données fournies par l’ARLA contre un engagement de confidentialité.

Beaucoup au Québec, dont le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ), l’Union des producteurs agricoles, le transformateur de porc duBreton et des groupes de scientifiques, avaient vertement dénoncé la tolérance envisagée par l’ARLA.

L’Agence n’a pas encore indiqué quand elle rendrait ses décisions sur la limite de résidus et la commission d’examen.

Autre consultation

L’ARLA sollicite actuellement les commentaires sur sa Loi sur les produits antiparasitaires, jusqu’au 20 mai prochain. Cet « examen ciblé » de ses processus est très technique, mais des participants pourraient en profiter pour ratisser plus large.

Le MAPAQ enverra des commentaires, indique-t-on au ministère.

Le site web Advancing Agriculture, géré notamment par CropLife Canada, l’association de l’industrie des pesticides, invite aussi agriculteurs et travailleurs de l’agriculture à envoyer sa lettre type, laquelle affirme notamment qu’il n’est pas « nécessaire de réviser la Loi ».

L’organisme québécois Vigilance OGM prévoit également fournir une lettre type aux citoyens sur son site.

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Nombre de plaintes à la CNESST pour non-respect des mesures de prévention dans le secteur de l’agriculture depuis cinq ans

Source : Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (2017-2021)

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