À la mémoire des résistants allemands
Berlin — De la rue Stauffenbergstraße, une entrée découpée dans le mur donne sur une cour austère au centre de laquelle trône la sculpture d’un homme nu et mains liées. Derrière celle-ci sont alignés cinq arbres décharnés de feuilles en cet après-midi gris de février.
Le complexe immobilier de quelques étages cerne la cour sur trois côtés. Des militaires affairés y entrent ou en sortent, au fond à droite, marchant d’un pas rapide sur le pavé de pierres. Les visiteurs se font rares. Le silence règne. En fait, il s’impose. Car à Berlin, le Bendlerblock est un lieu de commémoration, de recueillement.
C’est ici qu’a été aménagé le Mémorial de la résistance allemande, un site consacré à la mémoire d’individus qui, de 1933 à 1945, ont combattu de toutes les manières le national-socialisme. Cette doctrine politique du parti nazi dirigé par Adolf Hitler s’est traduite par la mort de millions de personnes, dont 6 millions de Juifs, en Europe.
L’endroit abrite non seulement deux expositions permanentes, mais il est aussi voué à la recherche et à l’éducation.
On y accède par une toute petite porte se profilant du côté gauche de la cour. Le centre se décline sur trois étages au-dessus. Le premier étage compte une pièce destinée aux expositions temporaires. Le deuxième abrite le Mémorial de la résistance allemande, tandis que le troisième accueille une autre exposition permanente où l’on rend hommage aux héros silencieux (Silent Heroes), des individus de toutes les origines qui ont aidé des Juifs à se cacher et à survivre à l’Holocauste.
Ici, les mots mémorial, centre ou site définissent mieux le lieu que « musée ». C’est instructif, mais pas du tout ludique.
Le design des salles est, à l’image de la cour extérieure, austère, sans être froid. Il y a beaucoup de textes et de photos (jamais insupportables à regarder), mais très peu d’objets. Le visiteur est donc invité à lire, beaucoup si possible, pour bien cerner les histoires, toujours émouvantes, de ces personnes qui ont dit non au national-socialisme.
Comme la députée Antonie (Toni) Pfülf plusieurs fois élue au Reichstag durant la République de Weimar et qui défendait les droits des femmes. Face à la montée du national-socialisme, elle s’est donné la mort le 18 juin 1933. Ou celle de Georg Elser, un menuisier qui a tenté d’assassiner Hitler dans l’espoir d’arrêter la guerre. Il est mort à Dachau un mois avant la capitulation de l’Allemagne.
De fait, des tentatives d’assassinat contre le Führer, il y en a eu quelques-unes durant la Seconde Guerre mondiale. La plus célèbre étant survenue le 20 juillet 1944 lorsque le colonel Claus von Stauffenberg a posé une bombe dans la Wolfschanze (tanière du loup) de Prusse occidentale où Hitler était réuni avec son état-major.
La tentative de coup, mieux connue sous le nom d’opération Walkyrie, a raté. Or, c’est dans l’édifice du mémorial que le plan d’action avait été fomenté. À l’époque, cette bâtisse abritait le siège du commandement en chef de la Wehrmacht. La bâtisse, dont une section abrite des bureaux du ministère de la Défense (de là les militaires croisés), a donc une grande portée historique. Et la rue où elle se trouve a été rebaptisée Stauffenberg, en hommage au colonel dissident.
Quelque 150 personnes, dont von Stauffenberg, ont payé de leur vie dans les jours et les semaines qui ont suivi la tentative ratée. Et en tout, quelque 2800 personnes, dont 1439 Allemands, ont été exécutées entre 1933 et 1945, en majorité pour avoir résisté au régime nazi.
Les héros silencieux
L’étage consacré aux héros silencieux évoque le travail fait dans toute l’Europe par des individus et des groupes ayant caché et sauvé des Juifs d’une mort certaine. L’exemple le plus connu étant celui de l’industriel Oskar Schindler, qui a inspiré le film La liste de Schindler.
Mais il y en a beaucoup d’autres, comme on l’apprend en parcourant cette deuxième exposition permanente. C’est le cas de Varian Fry, un journaliste américain qui a aidé entre 2000 et 4000 Juifs à fuir l’Europe ou à passer de la France de Vichy à l’Espagne neutre par des sentiers dans les Pyrénées. Son histoire est racontée dans la série Transatlantique (sur Netflix).
Parmi les nombreuses histoires ici racontées, notons celle d’Otto Weidt qui a sauvé des collaborateurs de son entreprise en leur fournissant de faux papiers d’identité. Ou celle de ces pêcheurs danois qui ont fait passer des Juifs en Suède.
On ressort de cette visite avec un sentiment revivifié de foi en l’humanité.
German Resistance Memorial Center, rue Stauffenbergstraße 13-14, porte D-1. Entrée gratuite.
À noter : À Berlin comme ailleurs en Europe, le rez-de-chaussée est identifié comme l’étage 0. Par ailleurs, le symbole ß est une contraction des lettres ss. Donc, toutes les rues (strasse) se lisent straße. Stauffenbergstraße signifie donc rue Stauffenberg. Enfin, en anglais, Bendlerblock se lit Bendler Block.