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Les femmes aux commandes

Justin Trudeau a dévoilé mardi son équipe ministérielle paritaire. Le premier ministre a confié les ficelles du pouvoir à des femmes, notamment à Mélanie Joly, aux Affaires étrangères, et à Anita Anand, à la Défense. De son côté, Steven Guilbeault décroche le titre de ministre de l'Environnement.

Joly aux Affaires étrangères, Guilbeault à l’Environnement

Ottawa — Le cabinet concocté par Justin Trudeau contient plusieurs ingrédients surprenants, dont la promotion, majeure, de Mélanie Joly au poste de ministre des Affaires étrangères, ainsi que l’arrivée de Steven Guilbeault à la barre du ministère de l’Environnement. Quant à Anita Anand, elle monte en grade et devient ministre de la Défense nationale – un signe indéniable que les femmes tirent désormais les ficelles du pouvoir à Ottawa, avec en tête la ministre des Finances et vice-première ministre, Chrystia Freeland.

Deux députés du Québec prennent du galon dans le nouveau Cabinet paritaire de 38 ministres formé par le premier ministre pour donner le coup d’envoi à son troisième mandat.

Mélanie Joly, qui a coprésidé la campagne électorale libérale victorieuse, est largement récompensée. Elle deviendra la cinquième diplomate en chef du Canada en l’espace de six ans environ, et remplace Marc Garneau, qui perd son siège au Cabinet. En coulisses, on chuchote qu’il décrocherait un poste d’ambassadeur en échange.

Son collègue Steven Guilbeault, pour sa part, fait son entrée au ministère où on l’a toujours vu : celui de l’Environnement. Il y remplace Jonathan Wilkinson, qui passe aux Ressources naturelles, un ministère connexe. Le Québécois devra donc faire ses valises rapidement, puisque la 26Conférence internationale sur le climat, qui se tient à Glasgow, en Écosse, s’ouvre le 31 octobre.

Parmi les autres ministres qui montent en grade, on retrouve Anita Anand, qui tiendra les rênes du ministère de la Défense nationale. Elle devient la première femme depuis Kim Campbell, en 1993, à être responsable de ce portfolio. Elle y remplace Harjit Sajjan, dont la gestion du fléau des inconduites sexuelles a été largement critiquée, et qui est rétrogradé au poste de ministre du Développement international et ministre responsable de l’Agence de développement économique du Canada pour le Pacifique.

Au Québec, Jean-Yves Duclos se retrouve avec le portfolio de la Santé, crucial, on le sait, depuis le début de la pandémie. Pablo Rodriguez renoue avec le ministère du Patrimoine canadien, qu’il avait occupé pendant environ un an et demi. Il conserve aussi le rôle de lieutenant politique au Québec. Il devrait travailler assez étroitement avec Pascale St-Onge, recrue élue dans Brome-Missisquoi, qui devient ministre des Sports et ministre responsable de l’Agence de développement économique du Canada pour les régions du Québec.

Les ministres québécois Diane Lebouthillier (Revenu national), Marie-Claude Bibeau (Agriculture et Agroalimentaire) et François-Philippe Champagne (Innovation, Sciences et Industrie), pour leur part, ne bougent pas. Même chose pour David Lametti, qui conserve le portefeuille de la Justice et son rôle de procureur général. Quant à Marc Miller, qui était aux Services aux Autochtones, il passe au ministère des Relations Couronne-Autochtones.

On savait déjà depuis environ un mois que Chrystia Freeland serait de retour à la table – Justin Trudeau n’a pas attendu au 26 octobre pour annoncer que sa joueuse étoile restait vice-première ministre et ministre des Finances.

Relever les grands défis

En conférence de presse en après-midi, Justin Trudeau a affirmé que l’équipe ministérielle qu’il avait réunie serait d’attaque pour relever les grands défis qui se profilent à l’horizon, notamment la lutte contre les changements climatiques, la réconciliation avec les Premières Nations et la relance économique.

« Les Canadiens s’attendent à ce que l’on réalise de grandes choses. Et c’est exactement ce que cette équipe va pouvoir livrer avec de la passion, de l’expertise dans bien des domaines et avec l’expérience de plusieurs années de service. »

— Justin Trudeau

Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il avait écarté Marc Garneau du Cabinet, M. Trudeau a répondu en saluant les années de service de son ancien ministre. Il a aussi relevé que former un cabinet était une délicate opération qui exige parfois des décisions difficiles.

Quant à la nomination de Steven Guilbeault à l’Environnement, M. Trudeau a indiqué qu’il fallait donner un solide coup de barre pour que le Canada réduise ses émissions de gaz à effet de serre. Il a indiqué que l’industrie pétrolière, qui se retrouve principalement en Alberta, devrait en faire davantage et que le gouvernement fédéral apporterait aussi sa contribution pour soutenir les travailleurs de cette industrie durant cette nécessaire transition écologique.

En réponse à une question d’une journaliste au sujet de son avenir, M. Trudeau a affirmé, sans équivoque, qu’il comptait diriger les troupes libérales aux prochaines élections.

De nouveaux visages et de l’expérience

Les ministres ont déambulé tour à tour sous la pluie à Ottawa, mardi matin, sur l’avenue qui mène aux portes de Rideau Hall, la résidence officielle de la gouverneure générale du Canada, Mary May Simon, pour cette cérémonie de prestation de serment.

Sous les masques, on a pu discerner des visages ministériels connus, mais aussi les bouilles de certains qui accèdent au Cabinet après avoir fait leurs preuves dans les banquettes arrière comme simples députés. Parmi eux, les élues ontariennes Marci Ien (Femmes et Égalité des genres et Jeunesse) et Kamal Khera (Aînés).

Accèdent également au saint des saints les députés Gudie Hutchings, de Terre-Neuve-et-Labrador, ainsi que Sean Fraser, de la Nouvelle-Écosse. La première devient ministre du Développement économique rural, tandis que le second obtient un portefeuille d’importance, celui de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté.

D’autres encore effectuent un retour en force.

C’est le cas de Ginette Petitpas Taylor, qui avait été éjectée du Cabinet en 2019 après avoir brièvement été ministre de la Santé. Elle prend le contrôle du dossier des Langues officielles, qui appartenait à Mélanie Joly depuis 2015.

Quant à Randy Boissonnault, qui avait été battu dans sa circonscription d’Edmonton-Centre en 2019, il revient à Ottawa, et il se voit confier le ministère du Tourisme, en plus d’occuper le rôle de ministre associé des Finances.

Et alors que les rumeurs les envoyaient hors Cabinet, les politiciens d’expérience Lawrence MacAulay, Joyce Murray et Carolyn Bennett ont prêté serment. À l’inverse, des ministres ont perdu leur limousine. C’est notamment le cas de Bardish Chagger et de Jim Carr.

Réactions de l’opposition à Ottawa

« Le premier ministre a nommé un groupe de personnes très inexpérimentées et motivées par l’idéologie, qui posent un risque bien réel pour notre prospérité économique et l’unité nationale. [...] Il est clair, d’après les nominations d’aujourd’hui, que le gouvernement Trudeau n’est pas prêt à relever les défis économiques du Canada. »

— Le chef du Parti conservateur, Erin O’Toole, dans un communiqué

« La décision de garder ces gens dans le cabinet, malgré leurs [échecs] dans des dossiers importants, montre que le premier ministre Justin Trudeau est d’accord avec leur approche. »

— Le chef néo-démocrate Jagmeet Singh

« M. Trudeau et ses 38 ministres ont maintenant un devoir de résultats. Après plus d’un mois à attendre ces nominations, le gouvernement devra agir rapidement sur plusieurs points, notamment en Environnement, au Patrimoine et en Santé. »

— Alain Therrien, leader parlementaire du Bloc québécois, dans un communiqué.

(La Presse Canadienne)

Les ficelles du pouvoir aux femmes

Ottawa — Finances. Affaires étrangères. Défense. Commerce international. Conseil du Trésor. Développement social. Emploi et Développement de la main-d’œuvre. Services publics et Approvisionnement. Agriculture. Des ministères de la plus haute importance à Ottawa. Des ministères qui sont maintenant tous dirigés par des femmes.

En dévoilant l’équipe ministérielle qui l’épaulera dans la gestion des affaires de l’État, à Rideau Hall mardi, le premier ministre Justin Trudeau a décidé de confier les ficelles du pouvoir à des femmes dans la capitale fédérale. La liste est impressionnante.

De toute évidence, M. Trudeau a choisi ce moment déterminant dans les premiers jours de son nouveau mandat – la formation de son cabinet – pour marquer le coup. Il a ainsi renouvelé sans mot dire sa profession de foi féministe. Cette image qu’il cultive depuis son arrivée au pouvoir en 2015, quand il avait formé pour la première fois de l’histoire du pays un cabinet paritaire sur la scène fédérale, a été égratignée par l’affaire SNC-Lavalin et l’expulsion qui a suivi des anciennes ministres Jody Wilson-Raybould et Jane Philpott du caucus libéral au printemps 2019.

Cette affaire a de nouveau fait surface durant la dernière campagne électorale à la suite de la publication en septembre d’un livre coup de poing de Jody Wilson-Raybould sur son passage en politique. Dans ce livre, elle a accusé M. Trudeau de l’avoir invitée à mentir sur les pressions qu’elle dit avoir subies du bureau du premier ministre pour éviter un procès à SNC-Lavalin relativement à des accusations de fraude et de corruption en lien avec des contrats en Libye.

Mais la nomination de femmes à de nombreux ministères clés au sein de son cabinet permet de tourner la page sur cette période difficile de son règne. Les femmes auront une influence réelle et durable dans les grandes décisions que prendra son gouvernement dans le prochain mandat.

Justin Trudeau avait d’ailleurs donné un avant-goût de ses intentions quand il a annoncé, une dizaine de jours après la victoire des libéraux aux élections du 20 septembre, que Chrystia Freeland restait à la barre du ministère des Finances et qu’elle conservait aussi ses fonctions de vice-première ministre.

Le visage de la diplomatie canadienne

Mardi, le premier ministre a causé une surprise en confiant le ministère des Affaires étrangères à Mélanie Joly, écartant au passage celui qui dirigeait la diplomatie canadienne depuis 10 mois, Marc Garneau, du Cabinet. Mme Joly a résolument la cote au bureau du premier ministre. Elle a tiré son épingle du jeu en tant que ministre du Développement économique durant la pandémie. Elle a aussi permis aux troupes libérales de maintenir in extremis leurs acquis au Québec durant la dernière campagne électorale à titre de coprésidente de la campagne nationale.

Mme Joly devra s’imposer une rude courbe d’apprentissage. Elle sera désormais le visage et la voix de la diplomatie canadienne. Elle devra apprendre à naviguer dans des eaux périlleuses. Les relations qu’entretient le Canada avec la Chine, la Russie, l’Arabie saoudite, entre autres pays, sont loin d’être au beau fixe. Malgré le changement d’administration à Washington, le Canada doit encore soigner ses relations avec les États-Unis pour éviter de subir les contrecoups des politiques protectionnistes du président Joe Biden.

Devant les journalistes, mardi, Mme Joly avait démontré qu’elle a entrepris de faire ses devoirs en citant l’un des plus illustres ministres des Affaires étrangères de l’histoire du pays. « Je m’inspire beaucoup de ce que Lester B. Pearson a déjà dit, c’est-à-dire que par son pouvoir d’influence très fort, le Canada est capable de jouer dans la cour des grands au niveau international. »

« C’est sûr que le monde a changé depuis Lester B. Pearson. Mais l’objectif, c’est d’avoir une approche en matière d’affaires étrangères qui va allier humilité et audace. »

— Mélanie Joly, ministre des Affaires étrangères

Elle demeure néanmoins lucide face à certains pays. « Nos yeux sont grands ouverts sur la question de la Chine et nous n’avons aucune illusion. »

Étoile montante

À la Défense, la ministre Anita Anand hérite d’un ministère opaque où l’idée de rendre des comptes est un concept étranger. Un ménage s’impose dans les plus hauts échelons des Forces armées canadiennes en raison de la multiplication des allégations d’inconduite sexuelle qui ont éclaboussé plusieurs hauts gradés depuis le début de l’année. Étoile montante du gouvernement libéral, Mme Anand s’est illustrée durant la pandémie lorsqu’elle était ministre des Services publics et de l’Approvisionnement. Elle a obtenu des résultats spectaculaires dans la course planétaire pour mettre la main sur suffisamment de doses pour vacciner toute la population canadienne. Et cela, deux mois avant l’échéancier fixé par le gouvernement.

« Je veux m’assurer que le ministère de la Défense et les Forces armées canadiennes continuent d’être très respectés dans le monde. C’est une institution très importante dans notre pays », a dit Mme Anand avant de se rendre au quartier général de la Défense.

« Comme vous avez vu avec les vaccins, je suis déterminée, je travaille très fort et je suis axée sur les résultats. Donc, ce sont des qualités que je vais apporter à ce dossier. »

— Anita Anand, ministre de la Défense

Dorénavant, des hommes nommés au Cabinet se rapporteront aussi à des femmes. C’est notamment le cas de Randy Boissonnault, ministre du Tourisme et ministre associé des Finances, qui travaillera sous les ordres de Chrystia Freeland. C’est aussi le cas d’Harjit Sajjan, passé de la Défense au Développement international, qui prendra ses directives de Mélanie Joly. Le même sort attend le ministre des Anciens Combattants et ministre associé à la Défense, Laurence MacAulay, qui devra se rapporter à Anita Anand.

Ces trois femmes, de concert avec Mary Ng au Commerce international, Mona Fortier au Conseil du Trésor, Karina Gould au Développement social, Carla Qualtrough à l’Emploi et au Développement de la main-d’œuvre, Filomena Tassi aux Services publics et à l’Approvisionnement et Marie-Claude Bibeau à l’Agriculture, ainsi que Diane Lebouthillier au Revenu national, sont en train d’écrire une nouvelle page d’histoire en politique canadienne.

Tunnel Québec-Lévis

Un projet « gagnant pour l’environnement », dit LeBel à Guilbeault

Québec a bon espoir de convaincre le nouveau ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault, d’appuyer le troisième lien, car ce projet de tunnel Québec-Lévis est « gagnant pour l’environnement », selon la ministre responsable des Relations canadiennes et de la Francophonie canadienne, Sonia LeBel.

Lors d’une mêlée de presse pour commenter le nouveau cabinet Trudeau, mardi, Mme LeBel a réitéré que Québec comptait sur un appui financier du gouvernement Trudeau pour ce projet dont le coût est estimé jusqu’à 10 milliards de dollars.

Questionnée pour savoir de quelle façon elle allait s’y prendre pour convaincre l’ex-militant écologiste Steven Guilbeault qu’il s’agit d’un bon projet, elle a répondu que ce tunnel « [servirait] également le transport collectif » et que le gouvernement québécois « [avait] une grande volonté d’aller vers l’électrification des transports ».

« Pour moi, c’est gagnant pour l’environnement. Je pense que c’est le genre de conversations que M. Guilbeault va pouvoir avoir avec nous. »

— Sonia LeBel, ministre responsable des Relations canadiennes et de la Francophonie canadienne

Le gouvernement Legault se montre satisfait que le poids du Québec soit maintenu au sein du cabinet Trudeau avec la nomination de 10 ministres québécois. Sonia LeBel a profité de l’occasion pour rappeler que son gouvernement s’opposait au prochain scénario de redécoupage de la carte électorale fédérale, qui ferait passer le nombre de sièges au Québec de 78 à 77, en 2024.

Relations Québec-Ottawa

Les sorties de François Legault contre le Parti libéral du Canada et favorables aux conservateurs, en pleine campagne électorale, ne nuiront pas aux relations Québec-Ottawa, selon Mme LeBel.

« Je m’attends à ce que la collaboration demeure. »

— Sonia LeBel, ministre responsable des Relations canadiennes et de la Francophonie canadienne

La ministre a d’ailleurs salué le retour de Pablo Rodriguez comme lieutenant pour le Québec.

Quant à Jean-Yves Duclos, nouveau ministre de la Santé, « c’est un représentant du Québec au gouvernement fédéral, autour de la table des ministres. Donc, je m’attends à ce qu’il soit là pour nous dans les mêmes objectifs de défendre les intérêts du Québec », a-t-elle soutenu. Le gouvernement Legault réclame une importante hausse des transferts fédéraux en santé, sans condition. Il veut que les libéraux renoncent à empiéter dans ce champ de compétence du Québec.

Réactions à québec

« Lorsque François Legault nous a dit, à tous les Québécois et Québécoises, d’aller voter pour le Parti conservateur et qu’il était dangereux de voter pour d’autres partis, il a décidé de mettre ses intérêts partisans avant les intérêts du Québec, ses intérêts partisans étant le tunnel caquiste. Il a définitivement affaibli la position du Québec avec le gouvernement Trudeau. [Au Parti libéral du Québec], nous souhaitons pouvoir entretenir un climat de collaboration pour défendre les intérêts du Québec, créer des ponts avec les ministres et lutter contre les changements climatiques. »

— Dominique Anglade, cheffe du Parti libéral du Québec

« Ce n’est pas tous les jours qu’un ancien militant écologiste devient ministre de l’Environnement d’un pays du G7. Mais justement, il doit prouver qu’il n’est pas seulement le petit soldat vert de Justin Trudeau au Québec, mais qu’il a encore des convictions écologistes. Si Steven Guilbeault souhaite démontrer qu’il est capable de défendre le Québec et qu’il est capable de défendre la planète, il doit, à titre de premier geste comme ministre de l’Environnement, annoncer que les subventions aux entreprises gazières et pétrolières vont s’interrompre dès le prochain budget fédéral. »

— Gabriel Nadeau-Dubois, co-porte-parole de Québec solidaire

« Il y a quelques petites exceptions auxquelles le gouvernement se raccroche, mais dans les faits, c’est un échec, les demandes du Québec [au gouvernement fédéral]. Est-ce qu’un rebrassage des ministres va changer quoi que ce soit à ça ? Je ne pense pas. »

— Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois

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