La route de la relance

Le manufacturier est bien reparti en Beauce

Le Québec tout entier est engagé vers la reprise économique et chacune de ses régions, chacun de ses secteurs industriels la vivent de différentes façons. Notre chroniqueur est parti sur la route pour témoigner de la vitalité de nos régions et des difficultés avec lesquelles elles doivent composer.

SAINT-GEORGES — Véritable bastion de l’industrie manufacturière et de l’entrepreneuriat québécois avec ses 550 entreprises du secteur exploitées par leur propriétaire, la Beauce a rapidement repris le dessus après l’arrêt forcé des activités en raison de l’urgence sanitaire. Si la grande majorité des usines ont redémarré en force, on se demande ici combien de temps durera encore la reprise.

La Beauce, on le sait, est la plus importante région productrice de poutrelles d’acier en Amérique du Nord grâce au noyau dur d’entreprises – dont évidemment le leader Canam – qui y gravitent dans un rayon de 75 kilomètres entre Saint-Gédéon, Beauceville, Sainte-Marie, Saint-Joseph et La Guadeloupe.

Mais la Beauce, c’est aussi une myriade d’entreprises manufacturières qui sont actives dans les secteurs du textile, de la machinerie, de l’alimentation et beaucoup qui sont liées à ceux de la construction résidentielle et de la transformation du bois.

« On voit que toutes les entreprises ont repris où elles étaient avant le déclenchement de la crise, mais une fois que les commandes pour les mises en chantier en cours auront été complétées, quel va être le portrait de l’industrie ? On ne le sait pas », souligne Bastien Lapierre, commissaire industriel au Conseil économique de Beauce.

Le spécialiste s’interroge aussi sur le sort des entreprises qui ont opéré un changement de cap avec la crise. Beauce Jeans, de Saint-Côme–Linière, la plus grande usine de jeans au Canada, s’est réorientée dans la fabrication de vêtements médicaux et a créé 140 emplois.

« On a fabriqué des blouses pour les médecins et là, on va se lancer dans les vêtements d’hôpitaux, me confirme Eric Wazana, PDG de Second Clothing et de la marque Yoga Jeans. On prévoit reprendre la production de jeans en novembre prochain. D’ici là, on a encore besoin de main-d’œuvre pour pouvoir livrer nos commandes. »

Le baromètre Manac

Pour avoir une meilleure idée de ce que l’avenir réserve au secteur manufacturier québécois, je suis allé rencontrer Charles Dutil, PDG de Manac, le fabricant de semi-remorques qui emploie 850 personnes à son usine de Saint-Georges et 1300 avec son usine américaine du Missouri et ses centres d’entretien.

Manac est un véritable baromètre de l’activité industrielle puisque l’économie roule sur ses produits. Quand l’activité manufacturière est forte, la production de semi-remorques l’est également ; quand l’activité baisse, c’est évidemment l’inverse qui se produit.

« Notre activité aujourd’hui est revenue en termes de cadence de production annuelle à peu près à l’équivalent de celle que l’on avait en mars, avant la pandémie. Mais depuis le début de 2020, on voyait bien que l’industrie avait amorcé un cycle plus lent et plus tranquille que les niveaux records que l’on a connus en 2018-2019 », observe Charles Dutil.

Pour bien comprendre la fonction baromètre de Manac, il faut savoir que lorsque la production manufacturière fonctionne à plein régime, le carnet de commandes de l’entreprise représente de 15 à 20 semaines de production. C’était le cas en 2018-2019, mais depuis le début de l’année, le carnet de commandes est retombé à 10 semaines de production.

« On n’a pas fait de mises à pied, mais le temps supplémentaire, qui était très élevé l’an dernier, a été réduit considérablement. C’est la meilleure façon de passer à travers des périodes plus tranquilles.  »

— Charles Dutil, PDG de Manac

L’industrie nord-américaine a absorbé au cours des deux dernières années une production annuelle de 275 000 à 300 000 nouvelles semi-remorques. En période de ralentissement, la production pourrait décliner et, en récession, tomber à 150 000 semi-remorques.

Lorsque le gouvernement québécois a ordonné l’arrêt de la production industrielle en mars, Manac a cessé ses activités durant une période de deux semaines et demie avant de reprendre de façon très graduelle, de nombreux employés préférant ne pas précipiter leur retour.

« On a respecté leur décision, même si des mesures d’hygiène et de distanciation très strictes ont été mises en place dès le départ. Depuis la mi-mai, tout le monde est revenu au travail, et on opère de façon normale, mais on reste très vigilants. On a imposé les mêmes mesures sanitaires à notre usine du Missouri, bien avant que le gouvernement local ne les impose. Nos employés américains nous trouvaient zélés, mais ils ont compris que les “socialistes canadiens” avaient raison », constate avec satisfaction le PDG.

La résilience beauceronne

Je ne pouvais pas venir en Beauce sans faire un arrêt à Sainte-Marie à l’usine de gâteaux Vachon, une entreprise emblématique de l’entrepreneuriat de la région qui est aussi devenue un modèle de résilience.

En avril 2019, l’usine de 500 employés a dû fermer ses portes durant trois mois à la suite des pires inondations à frapper ses installations depuis sa fondation en 1923.

« Il nous reste encore des conteneurs qui témoignent des rénovations que l’on a faites au cours de la dernière année. C’est bien fini. On a tout monté les équipements qui étaient au sous-sol pour les amener au premier étage, à l’abri des prochaines inondations », explique Johnny Lorenzo, directeur général de l’usine de Sainte-Marie.

Marie-Ève Royer, vice-présidente principale, transformation, de Groupe Bimbo, la multinationale mexicaine qui a racheté Canada Bread – et sa division Gâteaux Vachon – de Maple Leaf Foods, est bien formelle.

« Il n’a jamais été question de relocaliser la production. On a rénové l’usine et sécurisé les équipements. S’il y a une inondation, on va cesser la production quelques jours et on va être en mesure de relancer les opérations rapidement.  »

— Marie-Ève Royer, vice-présidente principale, transformation, de Groupe Bimbo

Heureuse coïncidence. Marie-Ève Royer était chez Maple Leaf Foods lorsque Groupe Bimbo a racheté les activités de boulangerie. Originaire de Sainte-Marie, elle se retrouve aujourd’hui à diriger l’usine où sa grand-mère et sa mère ont déjà travaillé.

L’usine de Sainte-Marie n’a jamais cessé la production lorsque la crise du coronavirus est devenue pandémique puisque la transformation alimentaire était un service essentiel. Il s’est d’ailleurs mangé beaucoup de petits gâteaux Vachon durant le confinement… Certains le regrettent peut-être un peu.

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