Un état d’urgence démocratique

Le gouvernement Legault a proclamé l’état d’urgence sanitaire le 13 mars 2020. À cette époque, tous les gouvernements au Canada avaient fait la même chose, bien qu’avec des modalités d’application différentes.

Il y a quelques semaines, le premier ministre François Legault envisageait de lever l’état d’urgence en même temps que la plupart des mesures sanitaires quelque part au début de 2022, quand les enfants de 6 à 12 ans auraient été vaccinés.

Mais cette campagne de vaccination tarde à se mettre en branle. Le directeur national de santé publique, le DHoracio Arruda, a indiqué que ce pourrait être « autour de Noël ». Ce qui fait que, si ça continue, l’état d’urgence risque bien de ne pas être levé avant le 13 mars 2022.

Ce qui voudra dire que la moitié du mandat du gouvernement actuel se sera déroulée sous un état d’urgence qui augmentait considérablement les pouvoirs du gouvernement et réduisait en conséquence ses obligations de transparence.

Si on se rend à cet anniversaire, il ne restera qu’un peu plus de six mois avant les prochaines élections. Or, par leur nature même, la pandémie et l’état d’urgence sanitaire qu’elle a entraîné créent un déséquilibre considérable dans le débat démocratique.

Qu’on se comprenne bien, on ne vit pas dans une dictature, l’Assemblée nationale siège et légifère, et de ce qu’on sait, le gouvernement n’a pas abusé de ses pouvoirs.

Mais ces pouvoirs sont considérables, y compris le droit de conclure des ententes de gré à gré sans appel d’offres, dont on ne connaît pas les détails à l’heure actuelle. La loi prévoit qu’à la fin de l’état d’urgence, le gouvernement doit fournir un rapport sur l’utilisation des pouvoirs spéciaux, mais ce sera nécessairement après le fait.

En attendant, des professeurs de droit et d’autres observateurs commencent à dire que le gouvernement contourne l’esprit de la loi sur la santé publique. À ses articles 118 et 119, la loi donne au gouvernement le droit d’imposer l’état d’urgence sanitaire pour une période de 10 jours, renouvelable par simple décision du Conseil des ministres. C’est ce que le gouvernement a fait systématiquement depuis mars 2020.

Mais la loi indique aussi que l’état d’urgence peut être renouvelé pour 30 jours « avec l’assentiment de l’Assemblée nationale ». L’esprit de la loi est clair : si on doit imposer l’état d’urgence quand l’Assemblée ne siège pas, on le fait pour 10 jours. Quand l’Assemblée nationale siège, on le fait pour 30 jours avec un vote de l’Assemblée.

Le gouvernement ne veut pas s’embêter avec une telle procédure qui l’obligerait à justifier le maintien de l’état d’urgence.

Il est à noter que les deux grandes provinces canadiennes qui ont une situation sanitaire assez similaire à celle du Québec ont abandonné l’état d’urgence il y a longtemps : le 9 juin dernier pour l’Ontario et le 30 juin pour la Colombie-Britannique.

Mais ce qui est particulier au Québec, c’est la fâcheuse tendance du gouvernement à lier constamment le maintien de l’état d’urgence à la lutte contre la COVID-19. Interrogé à ce sujet par le député libéral Marc Tanguay, le leader en chambre du gouvernement, Simon Jolin-Barrette, l’a d’abord qualifié de complotiste avant de dire, plus posément : « La solution du député, c’est de dire : bien, écoutez, on ne devrait pas avoir d’état d’urgence sanitaire, donc on ne pourrait pas donner les soins qui sont requis et nécessaires dans nos hôpitaux, pour organiser le réseau de la santé, notamment. »

Pas d’état d’urgence, donc pas de soins dans les hôpitaux ? M. Jolin-Barrette doit le croire puisque, immédiatement, il en a remis une couche : « On prend le décret d’urgence sanitaire parce que ça nous permet de mettre en place des mesures pour protéger la vie des Québécoises et des Québécois. »

C’est l’amalgame que sert, directement ou implicitement, le gouvernement depuis le début de la pandémie. Comme si l’état d’urgence était le seul moyen de donner des services de santé, de lutter contre la pandémie et, tant qu’à y être, de sauver des vies. Ça coupe court au débat et ça permet de prendre toutes les décisions que l’on veut sans en référer à quiconque.

Alors qu’on est entrés dans l’année électorale, c’est une attitude qui devrait nous inquiéter. Parce que le gouvernement s’est maintenant habitué à gouverner par décret et avec un minimum de transparence.

Ce qui fait qu’il entretient sciemment une confusion entre la fin de la pandémie et la fin de l’état d’urgence. Mais la véritable question qu’on peut et doit se poser, c’est : est-ce que le gouvernement a encore besoin des pouvoirs d’urgence ? Le gouvernement refuse systématiquement tout débat sur cette question.

Le résultat, c’est que le débat démocratique auquel on serait en droit de s’attendre pendant une année électorale risque d’être déséquilibré, sinon faussé : parce qu’il y aura un des partis qui aura eu, pendant presque la moitié de son mandat, toutes les cartes dans son jeu.

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