COVID-19 Opinion

Quelles sont les règles du jeu ?

Les actions prises pour vaincre la COVID-19 sont-elles insuffisantes, proportionnées ou exagérées ?

C’est une question que plusieurs se posent et qui en soulève une autre : les gouvernements ont-ils carte blanche pour agir ? Non. Des règles du jeu existent et sont mises à l’épreuve ces jours-ci. Les connaître permet d’ailleurs de mieux identifier les points de dérapage possibles.

Au niveau international, 196 États dont le Canada ont adhéré au Règlement sanitaire international, texte juridique phare en matière de prévention de la propagation internationale de maladies. La règle d’or du Règlement est la suivante : l’action prise pour faire face à une menace internationale doit être « proportionnée et limitée aux risques qu’elle présente pour la santé publique, en évitant de créer des entraves inutiles au trafic et au commerce internationaux ». Autrement dit, les États ne peuvent pas tuer une mouche avec un canon ni, sous prétexte de protéger leur population, satisfaire des intérêts économiques.

De plus, c’est le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui détermine, sur la base des informations qu’il reçoit, s’il y a une « urgence sanitaire de portée internationale », comme il l’a fait le 30 janvier dernier. Lorsqu’il fait une telle déclaration, il publie des recommandations temporaires concernant les mesures sanitaires à mettre en œuvre par l’État principalement touché ou par d’autres États, eu égard aux personnes, bagages, moyens de transport et marchandises.

On peut donc se demander, d’une part, si les décisions prises par le directeur général de l’OMS sont justifiées.

Cette question relève surtout du niveau de confiance que l’on porte à l’institution de l’OMS et aux experts internationaux qui la composent. Certes, les décisions de l’OMS ont déjà fait l’objet de critiques. Par exemple, elle a été critiquée pour avoir trop tardé à déclarer une urgence sanitaire de portée internationale lors de la flambée de l’Ebola en Afrique de l’Ouest en 2014, se reprenant ensuite avec une déclaration rapide dans le cas du Zika en 2016. Les décisions en santé publique se prenant souvent en contexte d’incertitude, il est toutefois facile de les critiquer après coup. 

D’autre part, les États respectent-ils les recommandations de l’OMS ? Cette question concerne la solidarité des États les uns envers les autres. Dans le cas de la COVID-19, elle est ébranlée. En effet, le 11 mars dernier, le directeur général de l’OMS se disait profondément préoccupé par les niveaux alarmants d’inaction dans le monde, certains États n’agissant pas de manière suffisamment agressive. En revanche, des pays comme les États-Unis et l’Australie auraient outrepassé les recommandations de l’OMS, entravant le trafic international de manière injustifiée par l’interdiction d’entrée aux ressortissants ou aux visiteurs étrangers ayant séjourné en Chine.

Enfin, les entreprises prennent-elles des décisions qui nuisent aux recommandations de l’OMS ? Contrairement aux États, elles ne sont pas liées par le Règlement sanitaire international. Néanmoins, si certaines entreprises annulent leurs activités et perturbent le trafic international de manière injustifiée, elles affaiblissent la portée du Règlement.

La responsabilité des États

Au niveau national, chaque État est doté de lois pour prévenir la propagation de maladies sur son territoire. Au Canada, la Loi sur la mise en quarantaine comporte des mesures très coercitives à l’endroit des voyageurs traversant la frontière, pouvant inclure la mise en isolement, l’obligation de se soumettre à un examen médical et même à un traitement.

Ces mesures exceptionnelles, qui briment les droits individuels au nom de l’intérêt collectif, peuvent être appliquées si un agent de contrôle ou de quarantaine a des « motifs raisonnables » de croire qu’un voyageur pourrait être atteint d’une maladie transmissible ou qu’il a récemment été en contact avec une personne qui pourrait en être atteinte.

La loi définit une maladie transmissible comme étant causée par un agent infectieux ou une toxine biologique transmissible à l’être humain et présentant un « danger grave » pour la santé publique ; en outre, le SRAS et l’influenza de type A pandémique en font partie. Dans ce contexte, les voyageurs ont des obligations légales, dont celle de se conformer à « toute mesure raisonnable » ordonnée par l’agent de contrôle ou de quarantaine, au risque d’être arrêtés s’ils refusent.

Or, la COVID-19 présente-t-elle un « danger grave » pour la santé publique ?

La loi ne définit pas cette expression, bien qu’elle constitue l’élément déclencheur des mesures coercitives. Ainsi, les autorités publiques bénéficient d’une discrétion à cet égard, et il faut leur faire confiance pour prendre une décision à la lumière des données scientifiques dont elles disposent en temps et lieu.

De plus, chaque province administre sa propre loi sur la santé publique pour limiter la propagation de maladies sur son territoire. Au Québec, la Loi sur la santé publique accorde aux autorités de santé publique des pouvoirs extrêmement coercitifs si la santé de la population est menacée.

Encore ici, la protection de la santé publique, considérée comme un bien commun de la plus haute importance, justifie de porter atteinte aux droits et libertés individuels. Pour déclencher l’application de mesures de protection, les directeurs de santé publique doivent avoir des « motifs sérieux » de croire que la santé de la population est menacée ou pourrait l’être, ou encore être d’avis qu’il existe effectivement une menace réelle à la santé.

Au sens de la Loi, une « menace à la santé de la population » s’entend de la présence, au sein de celle-ci, d’un agent biologique, chimique ou physique susceptible de causer une épidémie si sa présence n’est pas contrôlée. La Loi ne précise pas les effets sur la santé que peut avoir un tel agent.

Le cas échéant, les autorités bénéficient d’un pouvoir discrétionnaire dans le choix des mesures nécessaires à la protection de la population.

Entre autres, elles peuvent ordonner la fermeture d’un lieu et la cessation d’une activité, ordonner à une personne de ne pas fréquenter un établissement d’enseignement ou un milieu de travail. À certaines conditions, les autorités peuvent ordonner l’isolement d’une personne ou exiger qu’elle subisse un examen médical ou qu’elle fournisse un échantillon de substance corporelle. La Loi prévoit même qu’un directeur qui constate l’existence réelle d’une menace peut ordonner « toute autre mesure qu’il estime nécessaire » pour empêcher que ne s’aggrave une menace à la santé de la population, en diminuer les effets ou l’éliminer.

Enfin, dans des circonstances exceptionnelles où il y aurait cette fois une menace « grave » à la santé de la population (et non pas seulement une « menace »), le gouvernement du Québec peut déclarer un état d’urgence sanitaire, ce qu’il a fait samedi, et appliquer des mesures à cette hauteur, par exemple interdire l’accès à une partie du territoire concerné ou ordonner la vaccination de toute la population. Pendant l’épisode du H1N1, cette possibilité a été considérée mais n’a pas été appliquée.

En somme, la loi québécoise accorde un large pouvoir discrétionnaire aux autorités de santé publique. Dès lors, on peut se demander si elles prennent des décisions fondées plus ou moins sur des données scientifiques ou des considérations politiques. Fait intéressant : la Loi sur la mise en quarantaine et la Loi sur la santé publique ne font pas allusion aux considérations d’ordre économique, contrairement au Règlement sanitaire international.

Finalement, les organisations privées et publiques et les citoyens adoptent-ils des comportements conformes aux décisions et aux recommandations des autorités ? Leur solidarité envers ces dernières est cruciale, autant pour prendre les actions nécessaires que pour éviter d’alarmer et de déstabiliser inutilement la collectivité. L’existence de règles n’en garantit pas le respect, mais il importe de se les rappeler.

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