Shopify

La nouvelle reine de la Bourse

Coup d’éclat quelques minutes avant que ne sonne la cloche à Toronto, mercredi, alors que l’entreprise spécialiste des solutions en commerce électronique Shopify a détrôné la Banque Royale pour la capitalisation boursière. La géante d’Ottawa se moque de la crise actuelle et poursuit son année folle en Bourse.

Valorisation boursière 

Shopify coiffe la Royale

L’entreprise canadienne de technologie de commerce en ligne Shopify a terminé la séance boursière de mercredi avec une valorisation totale de 121 milliards, ravissant à la Banque Royale le premier rang des grandes capitalisations sur la Bourse canadienne.

Pour la troisième séance consécutive, les actions de Shopify se sont appréciées de plusieurs dizaines de dollars pour franchir le seuil des 1000 $, clôturant en hausse de 6,9 % à 1034 $.

C’est deux fois plus que la valeur boursière de 516 $ par action en toute fin d’année 2019, et presque trois fois plus que la valeur boursière de 357 $ par action d’il y a un an.

« Il y a quelques mois, nous parlions du succès qu’était Shopify. Ils ont simplement dépassé toutes les attentes. Et, même en plein cœur de cette pandémie, certaines entreprises réussissent à nous dire : “Les affaires sont bonnes.” Shopify est l’une d’elles. »

— Michael Currie, vice-président et conseiller aux investisseurs chez Gestion de patrimoine TD

« Cette valeur boursière des actions de Shopify m’apparaît excessivement chère en comparaison de ses résultats connus », a commenté Marc L’Écuyer, gestionnaire de portefeuille principal chez la firme Cote-100, qui gère un milliard de dollars en actifs de ses clients.

« Manifestement, les investisseurs achètent des actions de Shopify surtout pour leur potentiel de croissance. Mais de mon point de vue, de Cote-100, l’achat d’actions de Shopify ne serait pas justifiable dans la gestion de nos portefeuilles d’actions, qui est surtout orientée vers les titres de valeur éprouvée. »

Mais pour l’analyste Richard Tse, spécialiste des entreprises technologiques à la Financière Banque Nationale, « Shopify a publié de solides résultats au premier trimestre, qui indiquent une accélération de la tendance de changement des entreprises vers le commerce en ligne. Aussi, Shopify a réajusté ses priorités de développement par rapport aux besoins croissants de sa clientèle de commerçants, ce qui démontre qu’elle est toujours sur la bonne voie d’accélération ».

Établie à Ottawa, Shopify propose des plateformes infonuagiques de commerce en ligne pour les entreprises et les commerçants. Cette technologie leur permet de développer et d’opérer plus facilement toutes les fonctions de gestion de leur commerce électronique par l’internet et les réseaux sociaux.

Dans ses résultats trimestriels publiés mercredi, Shopify affiche des revenus en hausse de 47 % par rapport à la même période l’an dernier. Cette croissance découle du nombre accru de commerçants qui ont fait appel à ses services pour développer ou hausser leur capacité de commerce en ligne, avec la forte demande suscitée par la pandémie.

Selon Shopify, le rythme de création de magasins en ligne parmi ses nouveaux clients a bondi de 62 % entre le 13 mars et le 24 avril par rapport aux six semaines précédentes. Cette croissance résulte en partie de son offre d’essais gratuits de 90 jours des comptes de base pour ses nouveaux clients.

D’ailleurs, le chef de la direction de Shopify, Tobi Lutke, a indiqué que l’entreprise travaillait « aussi rapidement qu’elle le pouvait » pour soutenir ses clients-marchands en réoutillant ses produits pour les aider à s’adapter à la forte croissance de leur commerce en ligne.

Parmi ses autres résultats divulgués hier, Shopify a fait état de revenus de 470 millions US pour le premier trimestre, alors qu’ils avaient été de 320,5 millions US à la même période l’an dernier.

Les analystes sondés par la firme de données financières Refinitiv s’attendaient en moyenne à des revenus de 442,9 millions US au 1er trimestre.

Les analystes s’attendaient en moyenne à une perte ajustée de 18 cents US par action pour le trimestre, selon les prévisions recueillies par Refinitiv.

Par ailleurs, Shopify a indiqué avoir réalisé un profit ajusté (des éléments comparables) de 22,3 millions US ou 19 cents US par action pour le premier trimestre, en comparaison d’un profit ajusté de 7,1 millions US, ou six cents US par action, un an plus tôt.

 — Avec La Presse canadienne

La malédiction de la Royale

Voyez ce qui est arrivé à quelques entreprises qui avaient osé dépasser la vénérable banque. Shopify saura-t-elle échapper à la malédiction ?

Nortel Networks

À la fin de l’été 2000, en pleine folie spéculative, la valeur de l’entreprise frôle 400 milliards de dollars. Nortel représente alors plus du tiers de la Bourse canadienne. Puis, en 12 mois, le titre se dégonfle de 90 %… alors que le patron empoche une rémunération de 135 millions. Quelques années plus tard, les investisseurs ont tout perdu.

EnCana

À la fin de l’été 2005, l’ouragan Katrina fait des ravages. Les dégâts dans le golfe du Mexique font exploser les prix de l’énergie. Les producteurs canadiens en profitent. EnCana Corp., qui pèse 55 milliards, prend la tête de la Bourse canadienne. Mais les honneurs seront de courte durée. La compagnie se scinde en 2009 pour se concentrer sur le gaz naturel, puis entreprend des ventes d’actifs. Elle vient de déménager aux États-Unis, porte le nom d’Ovintiv et vaut moins de 2 milliards US.

BlackBerry

En 2007-2008, c’est au tour de Reseach In Motion (RIM), l’inventeur des téléphones BlackBerry, de monter sur la plus haute marche de la Bourse, avec une capitalisation de 67 milliards. On connaît la suite : Apple contre-attaque avec l’iPhone. RIM, qui peine à se renouveler, tombe en disgrâce. Valeur de l’entreprise aujourd’hui : 3,5 milliards.

Valeant

La société Valeant Pharmaceuticals International, qui avait momentanément détrôné la Banque Royale en juillet 2015, s’est écroulée dans les mois suivants à la suite de soupçons de ventes virtuelles de médicaments par l’entremise du distributeur par voie postale Philidor. La société établie à Laval valait 116 milliards en 2015. Aujourd’hui nommée Bausch Health Companies, elle vaut 8,5 milliards.

Une crise salvatrice pour Mediagrif

Comme Shopify, l’entreprise développe des plateformes de commerce électronique

Après avoir vu sa rentabilité s’effriter, l’entreprise de Longueuil Mediagrif constate que la crise de la COVID-19 a des effets positifs inespérés sur ses activités.

« La pandémie, c’est juste du positif pour Mediagrif », lance Luc Filiatreault, PDG de l’entreprise spécialisée dans le commerce électronique.

« On a renoué avec une très forte rentabilité depuis le mois de mars. Et le mois d’avril a été encore mieux », ajoute-t-il. 

« On enregistre une croissance drôlement intéressante avec la pandémie. »

— Luc Filiatreault, PDG de Mediagrif

Non seulement Mediagrif n’a procédé à aucune mise à pied, mais du personnel additionnel a été engagé dans les dernières semaines.

Le commerce en ligne, dans le secteur de l’épicerie notamment, et l’approvisionnement stratégique des différents gouvernements et agences gouvernementales – par l’entremise du service en ligne de publication d’appels d’offres MERX – fonctionnent de façon extrêmement forte actuellement, soutient Luc Filiatreault.

Il rappelle que le site de la Société québécoise du cannabis est propulsé par Mediagrif et que les ventes en ligne de la SQDC sont en augmentation « faramineuse ». « Plus nos sites fonctionnent, plus on fait de l’argent », dit-il.

L’épicier Sobeys/IGA, la Société des alcools du Québec et le Groupe Forzani (Sports Experts) sont quelques entreprises bien connues qui utilisent les systèmes de Mediagrif.

Il faudra attendre encore un mois avant de pouvoir mesurer l’impact de la pandémie sur la performance financière de Mediagrif. Les résultats des mois de janvier, février et mars seront publiés le 9 juin.

L’effet Shopify

Luc Filiatreault se réjouit par ailleurs de l’analogie avec Shopify faite la semaine dernière par un gestionnaire de portefeuille montréalais sur les ondes de la chaîne financière BNN Bloomberg.

« L’effet Shopify est une image très forte qui aide à faire comprendre ce qu’on fait chez Mediagrif. C’est une bonne analogie », dit Luc Filiatreault.

« C’est très juste d’un point de vue technologique. Ce que l’on fait sert à faire la même chose que Shopify. La différence est que Shopify le fait pour de petits commerces, alors que Mediagrif le fait pour de grandes entreprises et pour les gouvernements. »

Il explique que Mediagrif travaille avec des systèmes plus importants, plus complexes, qui doivent se connecter, par exemple, à des systèmes de gestion des stocks, de livraison, s’amalgamer à différentes méthodes de paiement, communiquer avec des systèmes financiers, etc. « Shopify le fait à plus petite échelle, mais avec évidemment un nombre beaucoup plus élevé de clients. »

En poste depuis septembre, Luc Filiatreault ne manque pas d’ambition. Son objectif d’ici cinq ans est de tripler le chiffre d’affaires à 250 millions, doubler le nombre d’employés à près de 1500 afin de multiplier par 10 la valeur boursière et la pousser à 1 milliard.

« Si on atteint les 250 millions de ventes, une rentabilité et une croissance supérieure à 40 %, et qu’on applique les multiples moyens qu’on observe dans le marché, ça donne 1 milliard », dit-il.

Selon lui, le marché accorde à Mediagrif un multiple d’évaluation nettement inférieur à la moyenne des entreprises comparables en raison d’un manque de communication.

« On est méconnus. On a réalisé que les gens ne savent pas trop ce que fait Mediagrif. La direction n’organisait jamais de conférences avec les analystes et investisseurs, opérait comme une entreprise privée, restait dans son coin. C’est quelque chose qu’on est en train de changer. »

— Luc Filiatreault, PDG de Mediagrif

Luc Filiatreault reconnaît toutefois la « décroissance » de la performance financière. « Malheureusement, dit-il, il n’y a pas eu de réinvestissement dans l’entreprise. Il n’y a pas eu de modernisation. Très peu d’argent a été injecté dans la force de vente. Mediagrif a fait des acquisitions au fil des ans qui n’avaient à peu près pas été intégrées. L’entreprise avait réussi à réduire ses coûts, mais à un moment donné, ça ne fonctionne plus. »

« Mediagrif a connu des moments de très grande rentabilité, mais j’irais jusqu’à dire de trop grande rentabilité. »

Un exemple qu’il cite souvent est celui d’un restaurant St-Hubert. « Si tu possèdes un St-Hubert brun et orange comme à l’époque, et que tu ne l’as jamais rénové, jamais mis au goût du jour, tu vends encore du poulet et c’est toujours la même recette. Mais aujourd’hui, les St-Hubert ont un bar, de la musique et un coin pour enfants. Il est évident que sans améliorations à travers le temps, le restaurant ne performera pas très bien. Une partie des profits doit être réinvestie dans l’entreprise de façon à la garder en vie. »

C’est pourquoi il importe que Mediagrif maintienne sa technologie au goût du jour, comme il le dit lui-même. « On vient de relâcher une nouvelle version de notre site Merx.com. Ce site opérait avec la même interface depuis 17 ans et ne fonctionnait même pas sur mobile. C’est le site numéro un d’approvisionnement stratégique au Canada. C’est un des investissements qu’on vient de faire et qui explique pourquoi notre rentabilité a récemment baissé. »

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