« J’étais au bout de moi-même »

Caroline Côté raconte son expédition record en Antarctique

Être seule, totalement seule, pendant un peu plus de 33 jours. C’est ce que Caroline Côté a trouvé le plus difficile dans son aventure en Antarctique, un trajet en ski entre Hercules Inlet, près de la côte, et le pôle Sud qui a fracassé un record de vitesse féminin qui tenait depuis 2016.

« C’était dur pour moi de ne pas avoir un deuxième avis, de ne pas avoir quelqu’un qui me dit le matin : heille, c’est difficile pour vrai, mais on va y arriver ensemble », raconte Mme Côté, jointe à Punta Arenas, au Chili.

En 2018, l’aventurière et réalisatrice avait parcouru 2000 kilomètres en solitaire de Natashquan à Montréal en suivant les lignes électriques d’Hydro-Québec.

« Mais je voyais des gens quand je traversais de petits villages sur la route. »

L’anxiété a aussi été au rendez-vous.

« Chaque jour, je me sentais angoissée au sujet de la météo. Est-ce qu’il y aurait une tempête le lendemain ? Est-ce qu’il ferait -30, est-ce que les montées seraient énormes ? Chaque jour, il y avait quelque chose que m’empêchait de dire : ça a été facile aujourd’hui. »

Au cours de la première semaine, elle a dû faire face à deux problèmes : une fixation de ski décollée et un panneau solaire inopérant.

Elle a facilement réparé la fixation, mais le panneau solaire, essentiel pour alimenter les instruments de communication et de navigation, a été plus réfractaire.

« J’ai travaillé dur là-dessus, c’était loin de mes connaissances de réparer cela. Finalement, c’est de l’humidité qui était entrée à l’intérieur. J’ai fait de belles lacérations dans mon panneau solaire et j’ai tout fait sécher. »

Un orteil bleui lui a causé du souci. Heureusement, il ne s’agissait pas d’une engelure (« on ne veut pas aller là ! »), mais le résultat d’un frottement sur la botte.

Finalement, le vent ne lui a pas été trop défavorable : elle n’a dû demeurer à l’intérieur de la tente qu’une seule matinée en raison des vents.

« J’ai pu skier tous les jours, ça a aidé pour le record, même si on a dit que c’était une saison venteuse et qu’il y avait beaucoup de sastrugis. »

Les sastrugis sont des crêtes de neige formées par le vent qui peuvent être tranchantes et irrégulières. Or, Caroline Côté s’était entraînée dans les énormes amoncellements de glace sur la côte de l’île Bylot, dans l’Arctique canadien. Elle était prête.

« Certains sastrugis montaient à mi-cuisse. Il s’agissait de naviguer là-dedans, de trouver le meilleur chemin. »

Un ingrédient secret

La Québécoise avait également acquis beaucoup d’expérience polaire en réalisant une difficile traversée hivernale de l’île principale de l’archipel du Svalbard, au nord de la Norvège, avec son conjoint, Vincent Colliard. Les deux partenaires avaient manqué de nourriture pendant ce périple de 63 jours. Pas question de répéter la même erreur.

« J’ai pris le double de la nourriture, je me sentais rassasiée en fin de journée. »

Elle a apporté l’ingrédient secret des explorateurs polaires.

« J’ai mangé beaucoup de briques de beurre vers la fin de l’expédition pour refaire mes calories et mon taux de gras. »

— Caroline Côté

Un de ses moments préférés, c’est lorsque l’avion qui transportait son conjoint et le groupe que celui-ci devait guider vers le pôle Sud l’a survolée.

« Le pilote du Twin Otter a trouvé Caro au 86e degré et a volé deux fois autour d’elle alors qu’elle nous saluait, raconte Vincent Colliard sur Facebook. La voir seule dans cet immense environnement blanc m’a semblé le plus beau moment de couple que j’ai eu avec elle. Davantage même que le mariage. »

Après avoir guidé son groupe, Vincent Colliard a pu demeurer quelques jours au pôle Sud pour attendre Caroline.

« J’étais au bout de moi-même quand je suis arrivée, raconte la jeune femme. Je me sentais un peu en manque d’énergie. Vincent s’est bien occupé de moi. »

Dans l’excitation de l’arrivée, Caroline Côté et Vincent Colliard ont calculé que la Québécoise avait mis 34 jours, 2 heures et 53 minutes pour parcourir le trajet de 1100 kilomètres entre Hercules Inlet et le pôle Sud. Le record précédent, établi par la Suédoise Johanna Davidsson, était de 38 jours et 23 heures.

Or, le couple a fait une petite erreur de calcul : en réalité, la performance de Caroline Côté a été encore plus éclatante parce qu’elle a plutôt parcouru le trajet en 33 jours, 2 heures et 53 minutes.

La cheffe de la base scientifique Amundsen-Scott, la Britannique Hannah McKeand a tenu à accueillir Caroline Côté et lui a même fait visiter la base, un honneur réservé à bien peu de gens. Mme McKeand avait établi le premier record de vitesse pour le trajet entre Hercules Inlet et le pôle Sud, en 2006.

« Ça m’a permis de constater que les femmes se soutiennent dans le domaine de l’aventure », s’est réjouie Caroline Côté.

Après son arrivée, la Québécoise a pu bénéficier d’un repas chaud dans une tente chauffée.

« Je me sentais comme dans un cinq étoiles. »

Après deux jours, elle a pu quitter le camp du pôle Sud, à 2835 mètres d’altitude et -30 degrés Celsius, pour rejoindre le grand camp de base d’Union Glacier, toujours en Antarctique, mais plus près des côtes.

« À Union Glacier, il faisait entre -9 et -13 degrés, c’était magnifique. »

Caroline Côté devrait être de retour au Québec mercredi afin de fêter Noël avec sa famille. Elle n’a pas encore de plan défini pour l’avenir, mais on l’a invitée à guider une expédition à partir d’Hercules Inlet.

« À mon arrivée au pôle Sud, j’étais épuisée, je me disais, plus jamais, j’ai fait assez d’expéditions. Mais là, après avoir dormi, je redeviens moi-même. »

Mais pour cette expédition, elle prendrait plus de temps, peut-être une soixantaine de jours.

« Je vais prendre ça relax pour apprécier le fait d’être dans ce beau territoire. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.