Carte blanche à Olivier Niquet

Libres dans nous

Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, des artistes nous présentent leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche à Olivier Niquet.

Un article de La Presse1 sur ces jeunes de nos jours qui préfèrent ne pas avoir d’enfant et qui optent pour la stérilisation me trotte dans la tête depuis l’été. J’ai toujours su que je voulais des enfants et je ne me suis jamais vraiment demandé comment serait ma vie sans eux.

Je sais juste que j’aurais beaucoup plus de temps à consacrer à ma carrière internationale. Je serais probablement sur toutes les tribunes à étendre les opinions que je ne savais pas que j’avais, ou bien, ambitieux comme je suis, je serais peut-être un influenceur de renommée métropolitaine.

Je sais surtout que je m’ennuierais un peu. Je ne me sens jamais aussi vivant que lorsque je gueule après mes enfants pour qu’ils ferment leur tabarnique de PlayStation parce que le souper est prêt. Que ferais-je de tout ce temps libre ? Je comblerais sans aucun doute ce vide en achetant compulsivement des objets inutiles. Un cuiseur sous vide, un air fryer ou un ustensile à avocats (ah non, c’est vrai, j’ai déjà tout ça). Plutôt que de lire un bon livre dans un aréna glacial un samedi matin à 8 h, je lirais un bon livre dans un bain chaud entouré de chandelles à l’odeur de Gwyneth Paltrow. Quelle différence ?

Avoir des enfants a fait de moi un homme meilleur. Tellement meilleur que je suis maintenant capable de très bien comprendre que pour certains, c’est le fait de ne pas avoir eu d’enfants qui les a rendus meilleurs.

Que ce soit pour des raisons très personnelles ou parce qu’on s’inquiète du sort de la planète, il n’y a pas de mauvaises raisons de ne pas vouloir d’enfants. En France, on parle même d’une génération « Big quit » (évidemment) pour évoquer ces jeunes qui ne votent plus, ne suivent plus l’actualité, ne s’impliquent plus au travail, et évitent de faire des enfants2.

Le recours à la vasectomie serait en hausse aux États-Unis selon ce que rapporte le New York Times3 après avoir parlé à plusieurs urologues qui se font aller le ciseau davantage qu’avant. Il est trop tôt pour dire si les récentes décisions de la Cour suprême en matière d’avortement y sont pour quelque chose, mais on évoque encore ici l’avenir pas très radieux de la planète. Ou trop radieux dans ce cas-ci. En 2020, des sondages américains estimaient que 40 % des millénariaux jugeaient qu’il en coûtait trop cher de faire des enfants, en plus de noter que l’écoanxiété motivait les choix en ce sens. C’est même devenu une tendance sur TikTok que de mettre en scène sa vasectomie. Quelques pessimistes engrangent des millions de visionnements en y faisant un spectacle du deuil de leur virilité.

Les tenants de la décroissance verront peut-être ce phénomène d’un bon œil. Si on ne met pas quelqu’un au monde, on n’aura pas à l’écouter agoniser sous un soleil brûlant, aurait pu chanter une version plus désillusionnée d’Harmonium.

Ces démissionnaires de la société pourraient peut-être retrouver l’espoir s’ils faisaient des enfants. Guillaume Beauregard des Vulgaires Machins, interviewé récemment en ces pages disait que « le nihilisme, c’est une bonne avenue pour ne pas virer fou, mais ça devient impossible quand t’as des enfants ». On n’a pas le choix de croire en l’avenir quand l’avenir habite sous notre toit.

En marge de cet optimisme relatif, le côté irréversible de la stérilisation dans la fleur de l’âge en titille certains. C’est un peu comme de se faire tatouer un signe chinois que-tu-sais-pas-ce-que-ça-veut-dire dans le front à 18 ans. Les risques de le regretter plus tard sont élevés. Il me semble que si j’avais moi-même décidé de ne pas avoir d’enfants, j’aurais opté pour quelque chose qui ne coupe pas l’accès à mes gamètes définitivement.

Pourtant, selon une étude de la Michigan State University4 (que j’ai lue dans un aréna froid à 8 h un samedi matin), les adultes qui avaient décidé de ne pas avoir d’enfants alors qu’elles étaient adolescentes ont rarement changé d’idée au courant de leur vie. Elles sont maintenant des quarantenaires nullipares (très fier d’avoir réussi à insérer ce mot) et heureuses.

J’ai écrit « adolescentes » parce que ce sont presque uniquement les propriétaires d’utérus qui souffrent de discrimination face à leurs choix de non-parentalité. Il y a la pression de nos propres parents qui rêvent de devenir grands-mamans et grands-papas, un rôle idéal puisque l’on peut bénéficier de l’amour de nos bambins tout mignons et prétexter qu’on a quelque chose sur le feu pour quitter les lieux lorsqu’une couche a besoin d’être changée.

Il y a aussi les médecins qui reçoivent les demandes pour une hystérectomie et qui estiment justifié de convaincre les femmes de ne pas subir la grande opération. Il est relativement facile pour un homme de se faire vasectomiser, mais on conteste l’équivalent aux femmes. Évidemment, l’opération est plus lourde et coûteuse et on peut se demander si c’est vraiment au gouvernement de payer pour ça. Comme je disais, je n’ai pas réussi à développer cette faculté d’avoir une opinion sur tout. Je vais laisser aux fiscalistes de sous-sol le soin de se prononcer là-dessus.

Comme j’ai toujours su que je voulais des enfants et qu’on ne m’a jamais dit de ne pas en faire, je pense que ceux qui ont toujours eu la certitude qu’il n’en voudraient pas devraient aussi être pris au sérieux. Je suis un libertarien du corps (ce n’est pas la même chose que libertin, en passant). Avortement, ligature des trompes, tatouage à l’orée du derrière, vous faites ce que vous voulez. On trouvera d’autres façons de sauver l’humanité.

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