Opinion

Intelligence artificielle
Un succès du modèle québécois

Montréal et le Québec sont désormais des pionniers mondiaux dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA). L’écosystème québécois s’organise notamment autour de l’Institut des algorithmes d’apprentissage de Montréal (MILA), dirigé par Yoshua Bengio. Plus largement, le MILA et plusieurs autres groupes de recherche sont également membres de l’Institut de valorisation des données (IVADO), qui sert de courroie de transmission entre la recherche fondamentale en IA et dans le secteur connexe des « données massives » (big data), puis la R et D industrielle dans ces secteurs. Enfin, la jeune entreprise ElementAI, cofondée par le même Bengio, aura reçu en 2017 un financement de plus de 100 millions de dollars américains de la part de partenaires multiples afin de travailler à la commercialisation de l’IA, soit à ses applications concrètes en milieu corporatif.

En parallèle de cette concertation entre recherche, valorisation et commercialisation, la grappe de l’IA parvient désormais à se développer localement parce que l’argent est au rendez-vous. Seulement depuis 2015, les géants internationaux que sont Google, Facebook, Microsoft, IBM, Intel, NVIDIA, Samsung, Keolis et Thales auront allongé les millions afin de financer la recherche existante puis d’ouvrir leurs propres laboratoires de R et D et de transfert technologique. Le gouvernement canadien aura fait de même : en plus des 93 millions versés à l’IVADO par l’entremise de son fonds Apogée, le fédéral aura octroyé en début d’année 40 millions sur cinq ans au Québec dans le cadre de sa Stratégie pancanadienne en matière d’IA.

Or, en termes relatifs, c’est bien le gouvernement du Québec et l’écosystème québécois du financement corporatif qui font preuve de la plus grande ambition. 

En sus des 15 millions accordés à l’IVADO, 100 millions sur cinq ans seront investis par le gouvernement québécois pour consolider la grappe industrielle de l’IA, un « comité d’orientation » rassemblant gens d’affaires, investisseurs et universitaires ayant été mis sur pied dans ce but. Son objectif ultime ? Assurer le développement endogène d’innovations commercialisables, puis préserver à long terme la propriété québécoise des entreprises y travaillant. Les institutionnels québécois emboîteront d’ailleurs le pas : dès le début du mois d'octobre, la Caisse de dépôt et Desjardins annonçaient la création d’un nouveau fonds d’investissement de 50 à 75 millions, destiné à l’IA et aux technologies financières (fintechs).

Cet engagement de l’État et des grands investisseurs québécois met d’ailleurs en relief la véritable racine des succès de l’IA à Montréal : la construction préalable, sur des décennies, de multiples grappes industrielles à haute intensité technologique (aérospatiale, biotechnologies, multimédia, jeux vidéo, télécommunications, câblodistribution, logiciels, services informatiques, big data, etc.) à l’aide de deux piliers du « modèle québécois de développement » : l’investissement massif en capital patient (capital de risque et de développement), puis la prospection concertée d’investissements étrangers, par l’entremise d’un réseau international bien développé. Les multiples crédits d’impôt fédéraux et provinciaux jouent un rôle important, mais ce qui distingue, fondamentalement, le Québec et Montréal est bien la présence de ces réseaux d’entreprises qui rendent possibles, en amont, la recherche fondamentale en IA puis en aval, sa commercialisation.

Sur le long terme, on peut faire remonter la filière montréalaise des hautes technologies au Virage technologique (1982) et à la Loi constituant le Fonds de solidarité (1983) du gouvernement Lévesque, au Fonds de développement technologique (1988) et à la Société Innovatech du Grand Montréal (1992) du gouvernement Bourassa, aux stratégies multimédias (1996-1997) et à l’avènement d’Investissement Québec (1998) sous les gouvernements Bouchard et Landry, puis à la capitalisation des fonds Teralys (2009, 2014) sous les administrations Charest et Couillard. C’est même la doctrine Gérin-Lajoie (1965) et jusqu’à la Politique internationale du Québec (2006) qu’il faudrait invoquer par ailleurs, considérant l’indispensable travail de réseautage et de prospection qu’abattent aujourd’hui le ministère des Relations internationales et les agences telles qu’Investissement Québec et Montréal International, à l’origine de milliards en investissements étrangers chaque année. Dans tous ces cas, une constante : l’action structurante d’un État catalyseur.

Aujourd’hui, toutes proportions gardées, le Québec est une puissance mondiale du capital de risque et de développement grâce à ses fonds publics (Investissement Québec, Caisse de dépôt), fiscalisés (Fonds de solidarité, FondAction, Capital régional et coopératif Desjardins) et hybrides (Teralys, Anges Québec Capital, Capital Croissance PME, etc.), qui capitalisent à leur tour des dizaines de fonds privés dont certains se spécialisent désormais en IA. Depuis la fin des années 80, le Québec reçoit ainsi une part des investissements canadiens en capital de risque constamment supérieure à son poids économique. Il jouit également d’une présence et d’une réputation internationales parmi les plus étendues chez les États fédérés ou autonomes du monde. Le modèle québécois est un succès. À plusieurs égards, il est aussi à l’origine de celui du secteur de l’IA à Montréal.

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