Fauchés à la garderie

Un chauffeur d’autobus a tué deux enfants et en a blessé six autres en fonçant avec son véhicule sur une garderie de Laval, mercredi matin. L’attaque pour l’instant inexpliquée a bouleversé tout le Québec.

« C’est indescriptible, comment on se sent »

Ils sont partis à la garderie et n’en sont jamais revenus : mercredi, un chauffeur d’autobus a embouti une garderie d’un quartier paisible de Laval, fauchant la vie de deux enfants et en blessant six autres, créant une véritable onde de choc dans la province.

Mercredi matin, Pierre Ny St-Amand, un chauffeur de la Société de transport de Laval (STL) apparemment sans histoire, se serait dirigé vers le quartier Sainte-Rose, dans le nord de la ville. Au même moment, vers 8 h 30, des parents déposaient leurs enfants à la garderie éducative Ste-Rose, terrasse Dufferin, non loin de la rue Sénécal.

Il s’agit d’un quartier coquet, aux rues étroites bordées d’arbres matures. Paisible jusqu’à ce que le chauffeur, pour une raison encore inconnue, n’ait décidé de quitter la route pour traverser le stationnement et foncer de plein fouet dans la garderie.

Cacophonie et horreur. Le chauffeur serait descendu de l’autobus et aurait été maîtrisé par des parents et des voisins sur place. Les services d’urgence ont été appelés sur les lieux pour porter secours aux nombreuses petites victimes. Une cellule d’urgence a été mise sur pied, avec une série d’intervenants pouvant venir en aide aux enfants et aux parents touchés par le drame.

« C’est indescriptible, comment on se sent », a témoigné Mélanie Guérard en soirée. Sa fille Kelly-Ann, âgée de 2 ans et 10 mois, fréquente cette garderie. Elle se trouvait dans un autre groupe au moment de la tragédie et a évité le pire. « Depuis ce matin, on n’arrête pas de pleurer, a poursuivi la mère, encore sous le choc. On n’arrive pas à manger. Si c’était la mienne, je ne sais pas comment je pourrais survivre. »

« Comme père de famille, c’est très difficile, a souligné un homme âgé qui observait la scène, en larmes. C’est précieux, les enfants, c’est innocent. Les miens sont âgés, mais si je recule de 20 ans, c’était leur âge. Je n’ai jamais vu ça. »

Le bilan a fini par être dévoilé dans la journée : deux jeunes enfants sont morts. L’un d’eux allait avoir 5 ans dans 10 jours, l’autre était âgé de 4 ans. Six autres ont été transportés à l’hôpital, mais sans que l’on craigne pour leur vie.

« Mon fils a perdu deux grands amis avec qui il partageait des moments privilégiés tous les matins », a déploré Sébastien Courtois, père d’un enfant qui a été gravement blessé dans la collision, sur les ondes de Radio-Canada.

« Je pense à ce petit garçon et à cette petite fille qui vivront dans le souvenir de leurs parents, mais qui vivront très fort aussi dans notre esprit, a-t-il ajouté. Ce soir, nous avons la chance de ne pas être endeuillés, mais toutes nos pensées vont vers ces familles qui portent cette douleur et avec lesquelles on est solidaire. »

Motivations inconnues

La tragédie a créé une véritable onde de choc à travers le pays. La classe politique a réagi, du premier ministre du Québec, François Legault, à celui du Canada, Justin Trudeau. Sur place, un vaste périmètre de sécurité a été établi par le Service de police de Laval à des fins d’enquête.

Les motivations ayant mené au drame n’étaient pas encore connues en fin de soirée. Selon nos informations, M. Ny St-Amand était à l’horaire de la STL mercredi matin. Son circuit d’autobus passait à proximité de la garderie, et le rond-point où culmine la terrasse Dufferin est un endroit où les chauffeurs d’autobus ont l’habitude d’aller pour virer. Pour atteindre la garderie, il a toutefois dû traverser un long stationnement au bout duquel se trouvait l’établissement.

Il y avait au moins une caméra dans l’autobus qui aurait filmé la scène. Les policiers ont, selon nos sources, obtenu un mandat afin de pouvoir visionner cette vidéo.

Plusieurs heures après le drame, les policiers n’avaient toujours pas trouvé de lien entre le suspect et la garderie et ne comprenaient pas ce qui l’avait poussé à passer à l’acte. L’hypothèse privilégiée pour le moment serait liée à la santé mentale.

Des peluches et des fleurs

Au fur et à mesure que la journée avançait, des passants, des curieux et des familles se sont réunis dans le secteur à la mémoire des jeunes victimes. Les gens s’enlaçaient, se parlant à voix basse, malgré le va-et-vient des policiers et des journalistes.

Des bouquets de fleurs et des peluches ont commencé à s’accumuler sur une voiture de police, à l’orée de la scène, au-delà de laquelle le public n’était pas admis.

« C’est une tragédie qui touche tout le monde, surtout quand on a des enfants », a expliqué Chantal Yergeau, accompagnée de sa fille Katy Fernandez et de sa petite-fille Mila, âgée de 5 ans. La famille s’était déplacée de Montréal pour offrir son soutien et déposer peluche et fleurs sur place. « Ce matin, quand j’ai appris ça, ça m’a touchée, déboussolée, je voulais aller chercher ma fille à la garderie », a confié Mme Fernandez.

« On pense toujours que ça arrive loin de chez nous, mais là, c’est un quartier que je connais, je trouvais ça important d’apporter un petit toutou, une fleur », a aussi raconté Julie Fuoco, une ancienne résidante du secteur. « Si ça avait été un simple accident, ce serait plus facile à accepter », a-t-elle ajouté.

Neuf chefs d’accusation

Pierre Ny St-Amand, âgé de 51 ans et sans antécédents criminels, a été accusé mercredi de neuf chefs d’accusation, dont deux chefs de meurtre au premier degré. Il est aussi accusé de tentative de meurtre, de voies de fait graves et de voies de fait.

Après avoir été arrêté et interrogé par les enquêteurs, M. Ny St-Amand a comparu mercredi après-midi par visioconférence au palais de justice de Laval. Il était alors hospitalisé à l’hôpital du Sacré-Cœur-de-Montréal.

Sur son lit d’hôpital, M. Ny St-Amand semblait agité. Au début de sa comparution, un policier qui l’accompagnait a même affirmé que l’accusé venait de le frapper parce qu’il était « fâché ».

M. Ny St-Amand a été jugé apte à comparaître et devra subir une évaluation psychiatrique pour connaître son degré de dangerosité.

Il sera de retour devant le tribunal le 17 février et sera incarcéré pendant le processus judiciaire.

— Avec les informations de Daniel Renaud, La Presse

Hommages aux victimes

• Le premier ministre François Legault a indiqué sur Twitter qu’il se rendrait à Laval ce jeudi, en compagnie des chefs des partis de l’opposition, pour « offrir tout [son] soutien aux familles et au personnel affecté par ce terrible drame ».

• À Québec, le drapeau de la tour centrale de l’hôtel du Parlement sera mis en berne de l’aube au crépuscule, ce jeudi.

• À Montréal, la tour du Stade olympique était éteinte, mercredi soir, afin d’honorer la mémoire des victimes.

• À Toronto, la tour CN a cessé d’être éclairée cinq minutes par heure, mercredi soir.

— La Presse

Mobilisation complète à l’hôpital

Dans les minutes qui ont suivi la collision de l’autobus avec la garderie éducative Ste-Rose, trois petites victimes ont été transportées d’urgence à l’hôpital de la Cité-de-la-Santé de Laval, situé à une vingtaine de minutes de route du lieu de la tragédie. Quatre autres ont été transférées au CHU Sainte-Justine, à Montréal.

« Sur les trois patients, deux demeurent en observation à l’urgence et une victime est décédée malheureusement malgré les manœuvres de réanimation », a dit le Dr Patrick Tardif, chef du département de médecine d’urgence, en point de presse devant l’hôpital de la Cité-de-la-Santé, mercredi après-midi.

Dès qu’il a été informé du drame, l’ensemble du personnel médical et paramédical s’est mobilisé. « Des chirurgiens et des pédiatres sont venus à la salle d’urgence en prévision de l’arrivée des victimes », a noté le DTardif, ajoutant que les deux patients toujours hospitalisés étaient hors de danger.

Du soutien psychosocial a été offert aux employés et aux familles, a indiqué Sébastien Rocheleau, directeur adjoint à la direction des soins infirmiers. « On va être là dans les prochains jours aussi », a-t-il ajouté.

« Notre priorité était de les sauver »

Quatre enfants d’âge préscolaire, deux garçons et deux filles, ont été envoyés au Centre hospitalier universitaire (CHU) Sainte-Justine à Montréal, qui est le centre désigné de traumatologie pédiatrique. Un d’entre eux est aux soins intensifs, tandis que les trois autres sont en évaluation.

Les petits patients sont arrivés conscients au centre hospitalier, mais certains d’entre eux ont subi des traumatismes. « Leur santé est évidemment atteinte, mais leur vie n’est pas en jeu au moment où on se parle », a indiqué mercredi après-midi le DMarc Girard, directeur des services professionnels du CHU Sainte-Justine. Leur état psychologique devait être évalué dans les prochaines heures.

« On est dans le premier 24 heures. Bien entendu, l’évolution est difficile à prévoir chez des enfants, mais nous comptons offrir les meilleurs soins à ces enfants-là et leur permettre de récupérer le plus rapidement pour qu’ils puissent reprendre leur vie normale. »

— Le Dr Marc Girard, directeur des services professionnels du CHU Sainte-Justine

Une mobilisation complète du personnel a eu lieu en matinée dans le centre hospitalier pour être en mesure de recevoir les jeunes blessés. Les urgences, le bloc opératoire ainsi que les unités d’hospitalisation et d’imagerie étaient prêts à recevoir les victimes. « Notre priorité était de sauver ces patients-là », dit le DGirard.

Des employés du CHU Sainte-Justine, rencontrés à la sortie de l’hôpital lors de leur pause, étaient bouleversés par la nouvelle. « On vient d’apprendre ça, c’est épouvantable. Ce sont des enfants », a laissé tomber une employée. « En 25 ans, je n’ai jamais vu ça. Ils ont appelé tous les bénévoles de l’établissement pour qu’ils se rendent à l’urgence », a renchéri un collègue à ses côtés.

Le voisinage sous le choc

Des voisins de Pierre Ny St-Amand n’auraient jamais pu l’imaginer commettre l’irréparable. Ils espèrent mieux comprendre ce qui a poussé ce père de famille à foncer avec un autobus dans une garderie, faisant plusieurs victimes.

L’homme derrière le volant de l’autobus qui a embouti la garderie éducative Ste-Rose, mercredi, n’avait pas le profil d’un homme troublé, ont raconté plusieurs de ses voisins à La Presse.

Selon nos informations, Pierre Ny St-Amand a étudié au collège Montmorency, à Laval. Âgé de 51 ans, le chauffeur était employé de la Société de transport de Laval (STL) depuis une dizaine d’années déjà. Il a deux enfants avec sa conjointe. Il n’a aucun antécédent judiciaire et n’était pas connu des services de police.

Cambodgien d’origine et orphelin, il aurait eu une enfance difficile, parsemée d’embûches, ont confié d’anciens camarades de classe mercredi. À l’époque, le directeur du Service des affaires étudiantes du collège Montmorency l’avait « pris sous son aile », a raconté l’un d’eux.

« Je me suis dit : c’est impossible que ce soit lui », a raconté Thanh-Ry Tran, un voisin de M. Ny St-Amand, rencontré chez lui mercredi. M. Tran et sa conjointe avaient une relation de bon voisinage avec l’accusé et sa famille, a-t-il expliqué.

Ils partageaient des repas une ou deux fois par an, s’entraidaient, participaient mutuellement aux fêtes de leurs enfants. La conjointe de M. Ny St-Amand avait l’habitude de prendre leur fille en amenant la sienne à l’école, raconte-t-il. « Comment ça a pu arriver ? C’est un homme calme, gentil, qui fait ses affaires, il parle à tout le monde. Je n’arrive toujours pas à le croire. »

« Pourquoi il a fait ça ? »

Dans la maison d’à côté, le discours était similaire. « Comment une personne avec des enfants peut faire ça ? se demandait Nader Abou-Said. Il n’y avait pas de symptômes, quelque chose d’anormal, un divorce, des problèmes dans la famille. Ça fait des années qu’il est conducteur. Pourquoi il a fait ça ? Comment mon voisin a pu devenir fou en une seconde ? »

Quelques portes plus loin, la famille de Sara-Maria Chehade a une cour adjacente à celle de la famille de M. Ny St-Amand. « Honnêtement, on est sous le choc, a-t-elle confié. Ils sont super gentils. »

« On ne les a jamais entendus crier, ils prennent des marches en famille dans le quartier, on le voit jouer avec ses enfants, il leur a posé une balançoire. C’est une famille super calme, collaborative, ils ne sont pas isolés, ils reçoivent des gens. »

— Sara-Maria Chehade, qui habite près de chez Pierre Ny St-Amand

Encore récemment, lors d’une tempête de neige, le père de Mme Chehade a pelleté son entrée en même temps que M. Ny St-Amand. « Ils se sont dit “allô”, et il n’y avait rien d’anormal », se rappelle-t-elle.

« Je n’en reviens pas. Je me dis : si tu as des problèmes, va chercher de l’aide. Mais ne fais pas ça à des enfants », a dit pour sa part un homme qui habite à deux pas de chez Pierre Ny St-Amand.

« C’est un homme discret. On ne savait même pas qu’il était chauffeur de bus, donc encore moins s’il avait des problèmes de santé mentale », avait affirmé plus tôt dans la journée une passante, qui habite dans la même rue.

— Avec la collaboration d’Henri Ouellette-Vézina, La Presse

Drame à Laval

La classe politique bouleversée

Les élus étaient sous le choc, mercredi, après la tragédie à Laval, envoyant un message de solidarité devant ce drame « horrible »

« On va offrir aux parents toute l’aide qu’on est capables de leur donner. Comme père de famille, je suis ébranlé et je trouve ça dur. Je peux comprendre l’angoisse [que les parents] vivent actuellement. Mes pensées sont vraiment avec les enfants, les parents et les employés. Il n’y a rien de plus cruel que de s’en prendre à nos enfants. »

— François Legault, premier ministre du Québec, qui se rendra à Laval jeudi avec tous les chefs des partis de l’opposition

« En ce moment, on vit beaucoup de crises : il y a eu la pandémie, on parle beaucoup de l’inflation, du contexte de la guerre en Europe. Tout ça met beaucoup de pression psychologique sur les individus. »

— Stéphane Boyer, maire de Laval

« Je suis moi-même père de famille, et je ne peux imaginer l’ampleur du désarroi de ces pères et mères. Nous sommes heureux d’apprendre que des services de soutien sont dépêchés sur les lieux pour les familles et employés. »

— Achille Cifelli, conseiller municipal de Val-des-Arbres et chef par intérim de l’opposition officielle à la Ville de Laval

« C’est bouleversant de voir ce qui s’est passé [mercredi] matin. Une tragédie […]. Nous voulons envoyer notre solidarité, nos prières également accompagnent les victimes et leurs proches. »

— Marc Tanguay, chef du Parti libéral du Québec

« On a un rôle comme Assemblée nationale de parler à l’unisson et de dire ce qu’on peut faire, ce qu’on peut amener comme soutien. On l’a tous fait. On va aider comme on peut. […] On est très bouleversés. »

— Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois

« Des parents [mercredi] matin sont allés porter leur enfant à la garderie. Ils pensaient les laisser dans un milieu sécuritaire et ils ont en ce moment des nouvelles terribles. Je pense aux enfants, à leurs parents, aux travailleuses de la garderie et aux premiers répondants qui sont sur les lieux. »

— Gabriel Nadeau-Dubois, chef parlementaire de Québec solidaire

« J’ai le cœur brisé en pensant aux tout-petits, à leur famille et aux éducatrices qui vivent une horrible épreuve. Il faut que la lumière soit faite sur ce drame. Courage. »

— Valérie Plante, mairesse de Montréal

« Quel cauchemar ! Toutes nos pensées sont dirigées vers Laval. Une pensée spéciale aux familles des blessés, aux enfants et au personnel de la garderie. C’est horrible, ce qui se passe. Le cœur de tous les parents de Québec s’est serré en pensant à ce que ces gens peuvent vivre. »

— Bruno Marchand, maire de Québec

« On est avec les parents. On pense aux enfants qui sont au service de garde. On laisse nos enfants en toute sécurité au service de garde. On est extrêmement bouleversés par l’évènement. On va offrir les services nécessaires, que ce soit aux éducatrices, aux parents, et on est de tout cœur avec les familles. »

— Suzanne Roy, ministre de la Famille

« Je ne peux pas imaginer ce que ces parents sont en train de vivre. On va être là si on peut aider, mais je sais que toutes les autorités et les premiers répondants sont en train de faire leur travail. »

— Justin Trudeau, premier ministre du Canada

« Pour l’instant, ce que la situation commande est beaucoup de compassion, beaucoup d’empathie pour les gens de Laval en général, mais singulièrement pour les familles. Il n’y a rien de plus précieux dans nos cœurs à tous que les enfants. »

— Yves-François Blanchet, chef du Bloc québécois

« J’ai le cœur brisé par la violente attaque de bus à la garderie de Laval. Je suis de tout cœur avec les familles qui ont perdu des proches et avec les personnes blessées dans cette tragédie. Aucun parent ne devrait jamais s’inquiéter de la sécurité de son enfant. »

— Pierre Poilievre, chef du Parti conservateur du Canada

« C’est une tragédie horrible. Je n’ai pas de mots pour exprimer comment c’est horrible. Mes pensées sont avec les familles des victimes, mais aussi je veux reconnaître le travail des premiers répondants. »

— Jagmeet Singh, chef du Nouveau Parti démocratique

Propos recueillis par Henri Ouellette-Vézina, Hugo Pilon-Larose, Mélanie Marquis et Mylène Crête, La Presse

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