Traitements psychologiques

Avancées montréalaises sur les drogues psychédéliques

Populaire dans les années 1960, l’idée que les drogues psychédéliques puissent appuyer les traitements psychologiques connaît une renaissance depuis une dizaine d’années. Deux études montréalaises viennent de paraître sur le sujet.

Microdoses

Des microdoses de LSD pendant sept jours ont un effet similaire à certains antidépresseurs. Telle est la conclusion d’une étude du Centre universitaire de santé McGill, la première à confirmer le mécanisme biologique de l’effet bénéfique du LSD. « On montre que les neurones affectés par le LSD sont bien impliqués dans le cycle de la sérotonine, et que le LSD favorise la formation de liens entre les neurones », explique Gabriella Gobbi, de l’Institut de recherche du CUSM. Elle cosigne l’étude publiée à la mi-mars dans la revue Neuropsychopharmacology.

« J’ai commencé à m’intéresser aux drogues psychédéliques il y a une dizaine d’années, après un colloque sur les neurosciences et la spiritualité », dit la psychiatre montréalaise. La sérotonine est un neuromodulateur qui favorise la communication entre les neurones. Elle est ciblée par beaucoup d’antidépresseurs.

Des doses supérieures de LSD, quant à elles, ont un effet sur le système de la dopamine, a montré en 2016 une étude de la Dre Gobbi. La dopamine est une autre molécule impliquée dans la communication entre les neurones, visée cette fois par les antipsychotiques. Tous ces travaux ont été réalisés chez une souris transgénique utilisée dans les études sur le stress et la dépression.

Psychothérapie

Si les drogues psychédéliques sont un jour utilisées pour traiter la dépression, ce sera probablement comme adjuvant pour accroître l’efficacité des psychothérapies, selon la Dre Gobbi.

« Le cerveau devient plus “spirituel”, plus empathique, plus “transcendant”. Ça facilite les thérapies qui visent à modifier le sens qu’une personne donne à sa douleur, pour que cette douleur ne la plonge plus dans la dépression, mais plutôt dans la compassion. »

— Gabriella Gobbi, chercheuse à l’Institut de recherche du CUSM, professeure et chef de l’unité de psychiatrie neurobiologique du département de psychiatrie de l’Université McGill

« L’an dernier, une autre de nos études a montré que les microdoses de LSD favorisaient le comportement social, ce qui a aussi un effet sur la psychothérapie, poursuit la chercheuse. Et il y a quelques années, une étude a montré que le LSD diminuait l’anxiété chez les patients en fin de vie. L’anxiété est un gros obstacle aux efforts pour changer notre perspective sur notre vie avec la psychothérapie. »

Témoignages

L’autre groupe de McGill qui a récemment publié sur les agents psychédéliques a utilisé l’intelligence artificielle pour analyser des témoignages écrits de personnes ayant pris l’une de ces drogues. « Les études sur les psychédéliques souffrent souvent de ne porter que sur de petits groupes d’humains ou d’être faites sur des animaux », explique l’auteur principal de l’étude publiée à la mi-mars dans la revue Science Advances, Danilo Bzdok, de l’Institut neurologique de Montréal.

« En analysant ces 6850 témoignages avec l’intelligence artificielle, nous avons pu identifier des mots liés à certaines zones du cerveau et voir comment les agents psychédéliques agissent sur le cerveau. Ensuite, on pourra utiliser ces informations pour la recherche de nouveaux médicaments. » Parmi les 27 agents étudiés se trouvaient le LSD, la mescaline et des composés de champignons hallucinogènes.

Études humaines

La prochaine étape est un essai clinique humain avec un nombre important. « Nous pensons être capables de lancer un essai humain d’ici un ou deux ans, dit la Dre Gobbi. Il y a beaucoup d’obstacles avec le LSD : le financement, les permis de Santé Canada nous autorisant à avoir la substance à l’hôpital pour l’administrer à des sujets humains. D’ici là, nous continuons avec l’animal, notamment pour comparer le LSD et d’autres substances psychédéliques, comme la kétamine. »

Doses récréatives

En quoi les microdoses se comparent-elles aux doses « récréatives » ? « Le métabolisme du LSD chez l’animal et l’humain est si différent que c’est difficile à comparer, dit la Dre Gobbi. Il y a eu très peu d’études humaines sur les microdoses. Un petit essai clinique vient de montrer qu’il n’y a pas d’effet, mais c’est préliminaire et contraire à d’autres résultats. L’étude sur l’anxiété en fin de vie portait sur de pleines doses de LSD. » La récente étude sur les microdoses, publiée en février dans la revue Addiction Biology par des psychiatres de l’Université de Chicago, portait sur des doses 10 fois inférieures aux doses à des fins récréatives.

Clivage

Se pourrait-il que le LSD permette de contourner le clivage, un phénomène psychologique où le patient s’interdit de réfléchir à certaines questions douloureuses ? « C’est très probable, dit la Dre Gobbi. Dans les années 1960, des psychanalystes utilisaient les psychédéliques pour éliminer les blocages des psychothérapies. L’idée est que le patient parvient à se voir de l’extérieur, dans un état dissocié, et donc à contempler ces questions douloureuses qui sont trop proches pour être approchées directement. » Le terme « clivage » a notamment été utilisé par Sigmund Freud.

3,8 %

Proportion de la population mondiale qui est affectée par la dépression

Source : Organisation mondiale de la santé

5 %

Proportion de la population adulte mondiale qui est affectée par la dépression

Source : Organisation mondiale de la santé

5,7 %

Proportion de la population mondiale de plus de 60 ans qui est affectée par la dépression

Source : Organisation mondiale de la santé

17 %

Proportion des adultes américains (21-64 ans) qui ont déjà utilisé des hallucinogènes

Source : F1000Research

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