Je vous salue salope : la misogynie au temps du numérique

« Ta gueule, salope »

« Si je te croise, je te viole », « sale pute », « as-tu songé au suicide ? ». Si vous pensiez que la misogynie en ligne était une petite affaire à prendre à la légère, détrompez-vous. La haine virtuelle existe, elle est insidieuse, et surtout archi-dangereuse.

Pas que sur l’internet, d’ailleurs, mais jusque dans le monde réel, dénonce le documentaire-choc Je vous salue salope : la misogynie au temps du numérique, en salle vendredi prochain. Et accrochez-vous, ça fesse.

Les deux réalisatrices, Léa Clermont-Dion et Guylaine Maroist, n’y vont d’ailleurs pas de main morte, mais nous proposent plutôt un film choral, monté comme un thriller, engagé de surcroît. Pensez musique de circonstance et, surtout, tension dramatique. Avertissement en introduction inclus : oui, ce film pourrait choquer. Parce que la réalité est tout aussi choquante, dit-on, en résumé. Et qu’il est temps d’agir.

Tour à tour nous arrivent à l’écran quatre femmes, de Montréal à Paris en passant par Rome et le Vermont (parce que non, ça n’est pas un problème local), lesquelles racontent ici leur vécu (calvaire ?) à coups de notifications et autres insultes, toutes plus glaçantes les unes que les autres. Comme si vous y étiez. En vrai. Et c’est effectivement angoissant.

Bip : « Pendez-la ». Bip : « Ferme-la, bitch ». Les insultes fusent et se suivent, en crescendo. Et le spectateur est littéralement bombardé. Non, ce ne sont pas là « quelques mauvais tweets ». À preuve : à 40 000 « menaces de mort et menaces de viol », l’une des protagonistes a arrêté de compter. Sans parler de ce politicien italien, qui a suggéré en ligne d’envoyer des violeurs chez Laura Boldrini, l’ex-présidente du Parlement de son pays. Si les mots (et le nombre !) sont glaçants à l’écran, imaginez dans la vraie vie.

Parlant de vraie vie, oui, les répercussions sont bel et bien concrètes. Et pas que pour les personnes visées, mais aussi tout leur entourage. On ne vous dira pas tout, mais ces « dommages collatéraux » sont symptomatiques du problème. Parce que l’on sort du coup du virtuel. Et c’est laid.

« C’est difficile à regarder », convient Léa Clermont-Dion, aussi chercheuse postdoctorale en radicalisation à l’Université Concordia. « On voulait faire un thriller, parce que c’est ça, la réalité. » La réalité, « quand la vraie vie est un film d’horreur », renchérit sa complice et coréalisatrice, Guylaine Maroist, également productrice.

« C’est vraiment un sujet banalisé, pas compris, pas considéré. Nous, on a voulu faire ressentir les émotions, l’anxiété, les pensées suicidaires… », expliquent les réalisatrices.

La parole aux victimes

Cela fait sept ans que les deux femmes planchent sur leur sujet. Sept ans qu’elles creusent la question, parcourent la planète, suivent leurs quatre protagonistes dans leur quotidien. Jamais elles n’auraient pu penser que le sujet serait autant d’actualité une fois le film enfin réalisé.

On le sait, le harcèlement des élus (un sujet plus vaste, quoique connexe) fait les manchettes (avec l’affaire Chrystia Freeland, puis la libérale Marwah Rizqy, ces jours-ci). Il y a quelques semaines à peine, en Autriche, une médecin victime de harcèlement sur les réseaux sociaux s’est suicidée.

« En ce moment, tous les jours, il y a une nouvelle d’une femme, d’une politicienne, harcelée. Ce qui est troublant, c’est à quel point cela a empiré avec la pandémie. »

— Léa Clermont-Dion et Guylaine Maroist, réalisatrices

Pourquoi, d’ailleurs ? « Pourquoi tant de haine ? », titrait jeudi la collègue et éditorialiste Nathalie Collard. Le film n’aborde pas du tout la question (« ce n’est pas un documentaire d’experts […], expliquer, c’est un autre film », nous dit-on), mais donne plutôt la parole aux victimes (qui ont pris de sacrés risques en s’affichant ainsi), dans le but avoué de conscientiser. Tout au plus comprend-on que les quatre femmes ont ce point en commun : elles ont pris la parole, justement, le plus naturellement du monde (en classe), jusqu’à publiquement (en ligne, ou en politique). Et visiblement, ça dérange.

Ce n’est pas un film d’experts, n’empêche qu’on y donne la parole à Donna Zuckerberg (oui, la sœur de Mark, fondateur de Facebook), autrice féministe spécialiste de la misogynie en ligne, qui se dit aussi « très préoccupée » par cette nouvelle réalité. Surtout : sa banalisation.

Parce que non, ça n’est pas banal, recevoir une photo de son crâne décapité. Un exemple (certes parmi les pires) entre combien d’autres, montré ici en gros plan à l’écran. Ce n’est pas banal et les conséquences sont aussi loin d’être triviales. Le film en fait la démonstration : prises pour cible, les femmes ne peuvent qu’être tentées de se taire. On le serait à moins. « Et le problème, au bout du compte, c’est la démocratie », signale Guylaine Maroist, qui a enseigné à l’UQAM et entendu nombre de jeunes femmes dire refuser d’entrer un jour en politique, de crainte de se faire aussi « achaler ». « C’est énorme ! »

Alors, que faire ? C’est la grande question qui se pose, et ce, pendant toute la durée du film. Où appeler à l’aide ? Comment porter plainte ? Comment, surtout, en finir avec cette nouvelle misogynie ? « Les policiers sont dépassés, répondent les réalisatrices, parce que le cyberharcèlement est difficile à démontrer, ce sont des cas complexes. » N’empêche qu’elles ont leur petite idée. C’est un film engagé après tout, et elles invitent aussi à l’engagement. Outre la sensibilisation, c’est légalement qu’il faut agir, travailler, s’activer, croient-elles. Comment ? En légiférant ce qui se dit sur les plateformes, pour que celles-ci soient tenues responsables de ce qu’elles diffusent. Et pénalisées, le cas échéant (comme en Allemagne, notamment). « On est convaincues qu’on peut changer les choses en conscientisant, en éduquant, et en légiférant. »

Je vous salue salope : la misogynie au temps du numérique sera en salle le 9 septembre.

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