CHSLD

Les médecins spécialistes ne gagneront pas 211 $ l’heure

Alors que 2000 médecins spécialistes se sont portés volontaires en 24 heures pour prêter main-forte en CHSLD, les modalités de leur rémunération sèment la confusion. L’idée qu’ils reçoivent plus de 200 $ l’heure en vertu de l’entente conclue mardi entre la Fédération des médecins spécialistes du Québec et le gouvernement en a fait sourciller plus d’un. Or, La Presse a appris que celle-ci ne s’applique pas au travail en CHSLD. 

Rémunération des médecins spécialistes

Il faut « trouver une solution raisonnable »

QUÉBEC — Les médecins spécialistes ne gagneront pas 211 $ l’heure pour faire le travail d’infirmières et de préposés aux bénéficiaires dans les CHSLD. Une autre entente sera négociée afin de fixer leur rémunération pour cette tâche, affirment le gouvernement Legault et la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ).

Une source gouvernementale a signalé que l’intention est de leur accorder un tarif horaire plus bas que celui annoncé mercredi et qui a soulevé la controverse.

De son côté, en entrevue avec La Presse, le président du Conseil du trésor, Christian Dubé, a expliqué qu’il y a eu « confusion » au sujet de la rémunération des médecins spécialistes appelés en renfort dans les CHSLD et que le tarif horaire de 211 $ l’heure, prévu dans une entente signée mardi soir, ne s’applique pas au travail effectué dans ces établissements.

« L’entente n’avait pas été prévue pour ça. Donc je ne crois pas que c’est fair de prendre le salaire qui a été convenu pour d’autres actes, d’autres façons de travailler, et de ramener ça à l’opération d’un CHSLD. »

— Christian Dubé, président du Conseil du trésor

Il a reçu le mandat du premier ministre François Legault de conclure une « entente spéciale » avec les médecins spécialistes portant sur le travail en CHSLD. Il faut « trouver une solution qui soit correcte pour tout le monde », « quelque chose de raisonnable », a-t-il plaidé.

La FMSQ a reconnu en soirée jeudi que « la lettre d’entente pour la rémunération pendant la pandémie n’a pas été prévue pour le travail des médecins spécialistes en CHSLD ». Selon son directeur des communications, Jacques Tétrault, « le premier ministre et la présidente de la FMSQ ont convenu que la question de la rémunération serait réglée plus tard. Entre-temps, les médecins spécialistes vont s’employer à sauver des vies et les parties s’occuperont ensuite de l’argent ».

La confusion

En conférence de presse mercredi, la ministre de la Santé et des Services sociaux, Danielle McCann, laissait pourtant entendre que l’entente signée mardi soir s’appliquait aux médecins répondant à l’appel du gouvernement pour travailler dans les CHSLD. « Elle vient d’être signée. Ça fait qu’avec les spécialistes, il n’y a aucun problème » au sujet de la rémunération, disait-elle.

« Est-ce qu’on demande à certains médecins spécialistes d’aller faire du travail d’infirmière et d’être payés plus cher qu’une infirmière pendant qu’ils font le travail d’une infirmière ? Bien oui, parce qu’il y a une urgence nationale », affirmait de son côté François Legault sans préciser de montant à ce moment.

La présidente de la FMSQ, Diane Francoeur, expliquait le même jour que le tarif était de 211 $ l’heure, pour un maximum de 12 heures, en vertu de l’entente. C’est donc jusqu’à environ 2500 $ par jour que les médecins spécialistes gagneraient dans les CHSLD pour faire les tâches d’infirmières et de préposés aux bénéficiaires, selon ce qui était véhiculé mercredi.

Or François Legault a rectifié le tir jeudi. « L’entente de rémunération dont vous parlez, ce n’était pas pour les CHSLD, c’était pour les médecins qui font des urgences dans les hôpitaux plutôt que d’opérer des patients à cause de la COVID-19. Donc, ce n’est même pas clair si ça s’applique ou non dans les CHSLD », a-t-il soutenu, soulignant que « beaucoup de médecins » s’étaient dits prêts à travailler dans ces établissements bénévolement, « de façon gratuite ».

Un « hasard »

Christian Dubé est catégorique : dans l’entente signée mardi soir, « il n’y avait rien de prévu pour ce qui est des CHSLD ». C’est un « hasard » si cette entente est intervenue juste avant que le premier ministre lance son appel aux médecins spécialistes pour travailler dans les CHSLD.

« [Au moment des négociations], personne n’avait imaginé qu’il y aurait cette demande-là, qu’on aurait ce besoin très ponctuel au niveau des CHSLD. »

— Christian Dubé, président du Conseil du trésor

L’entente visait plutôt, dans le contexte de la pandémie, à « ajuster le travail des médecins spécialistes qui ne sont pas habituellement rémunérés avec des blocs de temps », mais à l’acte. La FMSQ partage maintenant cette position.

Cette « lettre d’entente 238 » concerne « les modalités de rémunération des médecins spécialistes en période de pandémie de la COVID-19 ». On ne mentionne pas spécifiquement le travail en CHSLD. On parle des services rendus « dans un site non traditionnel ambulatoire ou non ambulatoire ainsi qu’en clinique désignée ». Il s’agit également de réaffecter un médecin « à des services médicaux ou à des réunions en lien avec la pandémie pour lesquels il est compétent et permettant de contribuer à l’effort collectif requis dans le contexte de pandémie ».

« Une fois réaffecté, ajoute-t-on, le médecin peut travailler sur les lieux de l’établissement [l’hôpital auquel il est rattaché normalement] ou se déplacer en dehors de l’établissement, notamment pour participer à des réunions en lien avec la pandémie ou effectuer de la télémédecine ».

On ajoute que le « mode de rémunération forfaitaire vise à rémunérer l’ensemble des activités médicales, des réunions en lien avec la pandémie et inclut, s’il y a lieu, les services de télémédecine que le médecin spécialiste accomplit dans un contexte de pandémie de la COVID-19 ». Le montant forfaitaire s’élève à « 844 $ qui [sont] versé[s] pour une période d’activité de quatre heures ».

Une autre entente pour le travail en CHSLD

La négociatrice en chef du gouvernement, Édith Lapointe, a déjà pris contact avec son vis-à-vis de la FMSQ, l’ancien premier ministre Lucien Bouchard, afin de négocier une autre entente, précisément sur le travail en CHSLD.

Christian Dubé n’a pas voulu s’avancer sur le salaire qui lui paraît convenable. Il s’est limité à dire que les sommes devront être puisées à même l’enveloppe totale de rémunération des médecins spécialistes, donc sans la dépasser. Cette enveloppe s’élève à près de 5 milliards par année.

Les parties ne sont pas pressées de trouver un terrain d’entente. Pour François Legault, ce n’est pas le moment de « faire des gros débats sur la rémunération », l’essentiel est d’avoir « des paires de bras de médecins qui savent comment mettre un équipement de protection puis qui vont venir aider à reprendre le contrôle dans les CHSLD ». L’urgence est de « sauver des vies », insiste la FMSQ.

CHSLD

Médecins en renfort, volontaires de la première heure en attente

En seulement 24 heures, 2000 médecins spécialistes se sont manifestés pour prêter main-forte, dès aujourd’hui, aux équipes des CHSLD. Et après avoir demandé l’aide des Forces armées canadiennes, Québec sollicite maintenant les finissants québécois des secteurs de la santé. Cependant, de nombreux volontaires se désolent de ne pas encore avoir été appelés en renfort.

« Je suis très content, très touché, puis je remercie les médecins de venir nous donner un coup de main dans les CHSLD », a lancé jeudi le premier ministre, lors de son point de presse quotidien.

Mercredi, M. Legault avait été particulièrement dur envers les médecins spécialistes, affirmant « ne plus savoir » comment leur demander de l’aide. La sortie avait d’ailleurs fait tiquer la présidente de la Fédération des médecins spécialistes du Québec, la Dre Diane Francoeur. « Il voulait de l’aide, il va en avoir », avait-elle confié à La Presse.

Certains médecins étaient déjà à l’œuvre dans le réseau jeudi, pour pallier la pénurie de personnel en CHSLD, où près de 1400 employés sont absents, a confirmé M. Legault, admettant que « ça ne sera pas facile » de faire atterrir autant de nouvelles ressources rapidement.

La ministre de la Santé et des Services sociaux, Danielle McCann, a souligné que 7000 employés du réseau sont absents du travail à l’heure actuelle, notamment parce qu’ils sont malades ou en isolement préventif. 

« Nous avons besoin de milliers et de milliers de personnes. »

— Danielle McCann, ministre de la Santé et des Services sociaux

Toujours en attente

Pendant ce redéploiement des médecins, la majorité des 40 000 personnes inscrites sur le site « Je contribue » attendent encore sur les lignes de côté : seulement 3000 candidatures ont été retenues.

Selon le premier ministre Legault, le système, mis en place à la mi-mars, fonctionne bien. « La majorité des gens qui répondent à nos besoins sont déjà dans le réseau », a-t-il déclaré.

« Je vois comme vous sur Twitter et ailleurs des personnes qui disent : “J’ai déposé mon CV et je n’ai pas eu de nouvelles.” Ça se peut qu’il y ait quelques cas qui sont tombés entre deux chaises, entre le ministère qui a reçu des CV et qui les a envoyés aux établissements, a reconnu M. Legault. Mais on ne fait pas exprès pour refuser des gens qualifiés, on en a besoin plus que jamais. »

Mme McCann a donné l’exemple du Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de la Montérégie-Est, où les autorités ont contacté 1668 personnes s’étant manifestées. « On a fait des entrevues avec 538 personnes, qui ont mené à 256 confirmations d’embauches, il y a 80 personnes qui se sont désistées, et on a embauché 176 personnes », a-t-elle détaillé.

« Il doit y avoir une équivalence entre ce qu’on peut offrir et les besoins sur le terrain », a souligné la ministre.

Pour Laval, les embauches ont été plus nombreuses, selon un compte rendu du CISSS de cette région : 1472 personnes se sont inscrites et 613 ont été embauchées temporairement par contrat, tandis que 109 bénévoles ont aussi été affectés à l’accueil des établissements et dans les CHSLD comme aides de service.

Autre exemple : au Cente intégré universaitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) du Nord-de-l’Île-de-Montréal, sur 1401 candidatures reçues, 251 personnes ont été embauchées, à la suite de démarches auprès de 630 personnes. « Les titres d’emploi où il y a eu le plus d’embauches sont : aides de service, préposés aux bénéficiaires, infirmières et infirmières auxiliaires », précise la porte-parole du CIUSSS, Séléna Champagne.

« Nous sommes face à des conditions d’embauche exceptionnelles et il est possible que certaines personnes n’aient pas eu de suivi, mais nous essayons de contacter tous ceux qui nous font parvenir leur candidature. »

— Catherine Dion, porte-parole du CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal, où 575 personnes ont été embauchées

« Ne pas laisser la bureaucratie prendre le dessus »

Parmi ceux qui se sont portés volontaires, plusieurs s’impatientent, convaincus qu’ils pourraient être utiles, alors que c’est l’hécatombe dans les CHSLD.

« On est dans une situation d’urgence ! Il ne faut pas laisser la bureaucratie prendre le dessus », s’indigne Marie-Sophie L’Heureux, rédactrice en chef du magazine de l’Association médicale canadienne, Santé inc., qui est aussi infirmière bachelière, en plus d’être titulaire d’une maîtrise en administration de la santé.

Mme L’Heureux s’est inscrite au site Je contribue dès qu’il a été mis en place, à la mi-mars. Sans nouvelles, elle s’est réinscrite la semaine dernière. Ce n’est que jeudi, en fin de journée, qu’elle a finalement reçu un appel. Mais on n’avait toujours pas de mission concrète à lui confier.

« Bien sûr, il y a des règles à respecter, ça prend des gens compétents, mais on a tellement besoin de bras qu’il faudrait faire appel à tous ceux qui se manifestent ! » 

— Marie-Sophie L’Heureux, qui s’est portée volontaire à la mi-mars

Même exaspération chez Andréanne St-Gelais, qui s’est aussi portée volontaire dès la mise en place du site web gouvernemental consacré au recrutement, prête à faire n’importe quelle tâche, mais dont les services n’ont pas été sollicités.

Titulaire d’une maîtrise en physiothérapie, elle préside maintenant un organisme à but non lucratif, et n’est plus membre de son ordre professionnel. « Mais en entendant le premier ministre faire appel à des proches aidants, il y a quelques jours, je reste un peu étonnée de ne pas avoir été mise à contribution pour le moment, dit-elle. Je pense que mes compétences peuvent être utiles dans le réseau pour combler la pénurie actuelle de personnel. »

Infirmière retraitée depuis sept ans, Carole Pronovost a donné son nom pour aller donner un coup de main dans les CHSLD. Elle a commencé sa carrière comme infirmière en salle d’opération, mais l’a terminée en exerçant dans un centre de soins de longue durée. Mme Pronovost n’a jamais eu de réponse à son offre. Elle a aussi appelé à deux reprises dans un CHSLD de la Mauricie, région où elle habite, pour offrir son aide. « Mais on n’a jamais retourné mon appel. Où doit-on aller si on veut aider ? À qui demander ? », demande-t-elle.

Appel aux étudiants 

Par arrêté ministériel, mercredi, Québec a donné un nouveau pouvoir aux ordres professionnels : celui de délivrer une « autorisation spéciale d’état d’urgence sanitaire » aux finissants en soins infirmiers, par exemple, afin de leur permettre d’être exceptionnellement déployés dans le réseau, sans diplôme. « Les infirmières, les infirmières auxiliaires, les travailleurs sociaux, les inhalothérapeutes, les technologues médicaux… on voulait qu’ils ne perdent pas leur année. Il leur restait un stage alors on s’est entendu avec [le ministère de] l’Éducation. […] Ils vont pouvoir venir nous aider », s’est réjouie Mme McCann.

Ce décret s’ajoute à celui qui permet à Québec de réquisitionner du personnel du réseau de l’éducation pour le déployer dans le réseau de la santé. François Legault estime qu’au moins 2000 enseignants de programmes de santé pourraient être mis à contribution, mais les demandes se font encore attendre, selon nos informations. « Le manque de clarté, voire l’improvisation, des directives reçues dans les collèges ne sont pas sans provoquer certaines tensions et frustrations », a déploré la présidente de la Fédération des enseignants de cégep, Lucie Piché.

L’aide de l’armée demandée 

Québec a aussi demandé officiellement l’aide d’Ottawa pour obtenir du personnel médical des Forces armées canadiennes. « Nous travaillons de près avec Québec pour finaliser un plan d’assistance […] Mais je peux vous dire que nous allons leur donner toute l’aide possible, y compris avec la Croix-Rouge canadienne, les Forces armées canadiennes et les bénévoles spécialisés qui se sont inscrits auprès de Santé Canada », a confirmé Justin Trudeau. Selon François Legault, l’armée canadienne compterait entre 60 et 100 militaires formés en santé au Québec.

— Avec Mélanie Marquis et Ariane Lacoursière, La Presse

« Faisons-le bénévolement », disent des médecins spécialistes

La Dre Mélissa Ranger se remet d’une sévère infection au nouveau coronavirus, après un séjour aux soins intensifs et 10 jours d’hospitalisation. Qu’à cela ne tienne, l’urgentologue spécialiste de l’hôpital Charles-Le Moyne, à Longueuil, sera de retour au front dès la semaine prochaine… dans un CHSLD. Comme elle, d’autres médecins spécialistes changeront temporairement de tâche pour lutter contre la COVID-19, et pas question pour eux de facturer le moindre cent.

« Dans cette crise-là, on demande l’entraide de tout le monde. Tout le monde est affecté. La très grosse majorité des gens perdent leur emploi, ont une diminution de revenus ou feront faillite. […] Les [médecins spécialistes] ne sont pas obligés de le faire. Alors je pense que si on décide d’y aller, faisons-le bénévolement. »

La Dre Mélissa Ranger n’est pas encore complètement rétablie de son infection au nouveau coronavirus, qui l’a menée jusqu’aux soins intensifs il y a deux semaines, qu’elle est déjà inscrite pour prêter main-forte dès qu’elle le pourra en CHSLD. Son retour au travail est prévu la semaine prochaine et, malgré une tâche pleine à l’urgence, elle s’est portée volontaire pour quelques quarts en tant qu’« infirmière » à la résidence Henriette-Céré, à Saint-Hubert. Elle fera ce qu’on lui demandera, peu importe la tâche, tant qu’elle est utile.

« Si je peux distribuer des médicaments, apporter des cabarets, prendre des signes vitaux, je vais le faire. Avant d’être médecins, du bénévolat, on en faisait, et on en fait encore à travers notre rôle de médecins. On est capables de donner ce temps-là », plaide la spécialiste.

Elle croit toutefois que les médecins spécialistes « ne possèdent pas la plupart des compétences des infirmières » et des préposés aux bénéficiaires, et ne sont pas les mieux placés pour les remplacer.

« Je ne pense pas qu’un orthopédiste devrait aller shooter de la morphine dans un CHSLD. Je ne pense pas que c’est une bonne gestion des ressources. »

— La Dre Mélissa Ranger, urgentologue

« Je ne sais pas comment fonctionnent les pompes, je ne sais pas préparer les médicaments, je ne sais pas comment mobiliser un patient de façon sécuritaire comme les préposés savent faire », expose-t-elle. 

« Tout le monde veut aider »

De nombreux médecins spécialistes disent que le Québec est « en guerre » contre le nouveau coronavirus, et sont prêts à être redéployés là où le réseau de la santé a le plus besoin d’eux.

« S’ils veulent que je lave le plancher dans un CHSLD, je lave le plancher, ça ne se discute pas », dit le DZoheir Ferdjioui, pédiatre à Sainte-Dorothée, à Laval.

« Quand il y a un incendie chez le voisin, on sort la nuit, on commence à jeter de l’eau, du sable, n’importe quoi. On veut aider. »

— Le DZoheir Ferdjioui

Comme près de 2000 de ses collègues médecins spécialistes, le DFerdjioui s’est porté volontaire auprès du gouvernement pour aller travailler à combattre la pandémie de COVID-19.

« Tout le monde veut aider. Nous, on a la chance d’avoir accès à la profession qui permet de donner cette aide-là. C’est naturel, ce n’est pas du courage ou quoi que ce soit », dit-il, ajoutant que l’Association des pédiatres du Québec (APQ) a sondé ses membres dès le 19 mars pour savoir qui pouvait être réaffecté ailleurs dans le système de santé en raison des besoins liés à la pandémie.

La Dre Marie-Chantal Audelin, cardiologue qui travaille en clinique privée, a offert son aide il y a plusieurs semaines auprès des directions de santé publique et hôpitaux de l’île de Montréal et de la Rive-Sud.

« Je voyais le bateau passer et je me sentais coupable de ne pas contribuer, dit-elle. À ce jour, je n’ai pas eu de réponse. Je suis en train de les relancer au moment où on se parle. »

La Dre Julie St-Pierre, pédiatre qui travaille en clinique communautaire, a elle aussi donné son nom il y a quelques semaines, lorsque l’initiative « Je contribue » a été mise en place. Le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal l’a rapidement envoyée dans un CHSLD afin qu’elle puisse prêter main-forte à un médecin de famille.

« J’y suis allée quelques jours pour établir la “zone chaude”, et je peux vous dire que tout le monde au centre était préparé dès le départ. »

Responsable de l’unité de soir COVID-19 du Centre universitaire de santé McGill (CUSM), la Dre St-Pierre sera réaffectée dans quelques jours aux services essentiels de santé publique d’urgence. « Je vais m’assurer de la santé et de la sécurité des travailleurs en bioagronomie et des chaînes d’approvisionnement pour nourrir les Québécois. »

La Dre Sylvie Thédore, cheffe du service de neurologie au Saguenay–Lac-Saint-Jean, a elle aussi levé la main.

La Dre Théodore était de garde à l’hôpital de Chicoutimi lorsque François Legault a lancé son appel aux spécialistes mercredi… à sa grande surprise. « Ça fait trois semaines qu’on a plein de webinaires, qu’on nous dit qu’il va y avoir des réaffectations, il n’a jamais été question des CHSLD », dit-elle.

Elle s’est portée volontaire le soir même en remplissant le questionnaire de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ). Étant de garde cette semaine, elle s’est offerte à partir de lundi prochain même si ça l’obligerait à reporter des rendez-vous, et qu’elle n’a aucune idée de ce qu’on lui demandera. « On va l’apprendre : on apprend tout le temps dans la vie. » Seule certitude : elle le fera bénévolement. « Cet argent-là devrait être réorienté vers ceux qui en ont besoin dans ces milieux. »

La question du salaire

La Dre Julie St-Pierre dit que la question de la rémunération est « très personnelle ». Elle dit avoir choisi de travailler bénévolement lorsqu’elle est allée offrir ses services quelques jours dans un CHSLD le mois dernier. 

« Ça dépend de nos valeurs, de notre culture. En ce moment, je pense qu’il faut se concentrer sur l’altruisme, c’est la plus belle valeur que j’ai enseignée à mes enfants. »

— La Dre Julie St-Pierre

Le Dr Zoheir Ferdjioui est aussi d’avis que la question de la rémunération est propre à chacun. « Personnellement, je ne vais pas envoyer une facture au gouvernement si on me demande de faire un travail non médical. On est en temps de crise. »

Pour la Dre Ranger, la question ne se pose pas. « S’ils veulent des bras, s’ils veulent notre cœur le temps qu’ils s’organisent et gèrent leurs ressources de façon adéquate, OK, on peut apporter cette aide-là. La situation est critique. Mais on n’est pas des docteurs là-bas et on ne devrait pas avoir un salaire de docteur si on va aider. »

CHSLD

Des députés montent au front

Québec — Vendredi, 7 h 30 tapantes. Le député libéral de Marquette et ex-hockeyeur professionnel Enrico Ciccone amorce la formation nécessaire pour être envoyé dans le réseau des CHSLD. Son affectation ? Nourrir les résidants, appeler les familles et faire la lessive. Il n’est pas le seul député appelé au front aujourd’hui.

Au bout du fil, M. Ciccone explique avoir levé la main quelques jours avant l’appel « d’urgence nationale » lancé mercredi par le premier ministre François Legault. « C’était le soir de mon anniversaire vendredi dernier. J’ai eu 50 ans. Et quand j’ai appris pour la résidence Herron vers 17 h 30 ou 18 h, ç’a été comme un coup de pelle en plein visage », admet-il.

La résidence Herron, où 31 personnes âgées sont mortes depuis le 13 mars, dont au moins 5 à cause de la COVID-19, se situe dans sa circonscription. « J’ai demandé à aller à Herron. On m’est revenu en me disant que c’était un établissement classé rouge, qu’on ne pouvait pas laisser entrer n’importe qui. J’ai demandé à faire de la maintenance autour de la bâtisse ou autre chose », explique-t-il.

Finalement, le député sera envoyé au CHSLD Nazaire-Piché, à Lachine. Le lien a été établi parce qu’il est, par son rôle de député de Marquette, en communication étroite avec la direction du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal.

Son collègue Gaétan Barrette, qui est radiologiste, saute lui aussi dans l’arène vendredi. L’ex-ministre de la Santé dans le gouvernement de Philippe Couillard sera dans un CHSLD où il combinera les tâches de préposé aux bénéficiaires et d’infirmière. « J’y vais avec plaisir. Et franchement, le besoin d’aide est partout », a-t-il écrit sur Twitter.

« C’est la chose à faire »

La députée libérale de Maurice-Richard, Marie Montpetit, se porte également volontaire. Avant de faire de la politique, elle a notamment œuvré au Réseau de collaboration de recherche en soins de longue durée et au Centre d’épidémiologie clinique et de recherche en santé publique de l’Hôpital général juif de Montréal.

« Je n’ai pas encore le détail précis de mon affectation, mais ce sera dans un CHSLD de mon territoire, a-t-elle confié en entrevue. C’est la chose à faire. »

« Je vais au front pour mon monde, mes concitoyens […] les résidants qui sont dans ces CHSLD, ce sont mes citoyens, ce sont des gens que je connais. Pour moi, c’est une responsabilité. »

— Marie Montpetit, députée libérale de Maurice-Richard

Le député Enrico Ciccone abonde dans le même sens. « C’est dans mon éducation, j’ai été élevé selon [le principe] qu’il fallait toujours aider les plus faibles. Dans ma carrière de joueur de hockey, c’était ça aussi, tu te bats pour les autres. Ma famille s’est élargie à 70 000 personnes », a-t-il ajouté, faisant allusion aux citoyens de sa circonscription.

Dans le cas de Mme Montpetit, elle a choisi de se placer en quarantaine préventive, éloignée de sa fille, le temps qu’elle sera en CHSDL.

À la Coalition avenir Québec, le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, qui est neurologue, n’exclut pas non plus d’aller prêter main-forte sur le terrain, mais sa tâche ministérielle limite ses activités, a-t-on indiqué.

Québec solidaire et le Parti québécois n’ont pas de députés qui iront directement dans les CHSLD pour l’instant, mais les deux formations politiques assurent que le travail ne manque pas dans leurs circonscriptions. Par ailleurs, leur députation est davantage en région éloignée, où les besoins sont moins grands dans le réseau.

« Certains se sont posé la question, mais au final, ils et elles se sentent tout aussi utiles – et mieux formés – à régler les problèmes de leurs concitoyens dans leur comté », a fait savoir l’attachée de presse de Québec solidaire, Simone Lirette.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.