Le panier d’épicerie

Le Canada boit-il trop ?

Un nouveau rapport du Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances (CCDUS) recommande à une personne de boire en moyenne de zéro à deux boissons alcoolisées par semaine, ce qui représente une réduction significative des directives actuelles, instaurées en 2011. Bien que le rapport représente un effort de taille, demander une opinion sur l’alcool à un groupe non gouvernemental qui milite contre la consommation d’alcool se compare à une demande faite à des personnes véganes de commenter l’industrie bovine. Les recommandations étaient hautement prévisibles.

Apparemment, les Canadiens boivent trop d’alcool. Selon le CCDUS, qui a évalué plus de 5000 études antérieures sur la consommation d’alcool dans le monde entier, les directives de consommation d’alcool de notre pays doivent être considérablement réduites. Les Canadiens ont maintenant jusqu’au 23 septembre pour réagir aux nouvelles directives de consommation d’alcool à faible risque qu’il propose.

Le rapport recommande à une personne de boire en moyenne de zéro à deux boissons alcoolisées par semaine afin de réduire la possibilité de subir des conséquences négatives pour sa santé. De plus, on recommande d’ajouter des étiquettes de mise en garde sur les bouteilles et les contenants de boissons alcoolisées vendus au Canada, comme ce que nous avons vu sur les paquets de cigarettes au fil des ans.

Les directives précédentes remontent à 2011 et se voulaient beaucoup plus permissives. La consommation d’alcool à faible risque se définissait par un maximum de 10 verres standards par semaine pour les femmes et de 15 pour les hommes.

Le nouveau rapport de 65 pages, assez complet, met en lumière les récentes recherches sur la consommation d’alcool. Les nouvelles lignes directrices proposées peuvent avoir du sens pour les professionnels de la santé. Après tout, les Canadiens boivent plus d’alcool que la moyenne mondiale, selon l’Organisation mondiale de la santé. Le Canada se classe environ au 40e rang pour la consommation par habitant, juste après les États-Unis.

Pendant la pandémie, de nombreux Canadiens ont augmenté la quantité d’alcool consommée, selon Statistique Canada. En Ontario, 30 % de la population a augmenté sa consommation d’alcool, et les autres provinces emboîtent le pas comme suit : les Prairies à 27 %, la Colombie-Britannique à 22 %, le Québec à 17 % et l’Atlantique à 16 %. Un Canadien sur cinq a reconnu avoir augmenté sa consommation d’alcool depuis mars 2020, selon le même sondage. Nous devrions tous nous en préoccuper. Le rapport du CCDUS arrive à un moment où nous essayons tous de comprendre à quoi ressemblera notre vie post-COVID.

Parallèlement à la publication du rapport, le CCDUS a lancé un processus de consultation de quatre semaines qui vise à mettre à jour les directives de consommation d’alcool à faible risque (LRDG) du Canada. Il se termine le 23 septembre.

Ces recommandations s’établissent sur les bases de données scientifiques améliorées, mais on peut présumer que les Canadiens ne prendront pas ces recommandations au sérieux. Nonobstant les recommandations sur l’étiquetage qui susciteront probablement beaucoup d’appréhension par le public, l’alcool fait partie intégrante de la vie de nombreux Canadiens.

Quand vient le moment de regarder une partie de hockey ou de se retrouver en famille et entre amis, il devient bien difficile d’imaginer ces instants sans alcool.

L’abus et la surconsommation représentent des problèmes réels auxquels il faut s’attaquer, mais la plupart des Canadiens estimeront que les lignes directrices proposées manquent de réalisme.

De plus, les gouvernements du Canada récoltent chaque année des millions de dollars en recettes fiscales sur les ventes d’alcool. Le revenu net des sociétés des alcools et le total des taxes et des autres revenus au Canada dépassaient largement les 13 milliards de dollars en 2021, selon Statistique Canada. Les recettes fiscales totales s’élevaient à plus de 6 milliards de dollars. Les provinces et les territoires dépendent de ces ventes pour fournir des dividendes afin de soutenir les dépenses publiques de diverses manières. Les revenus totaux des sociétés des alcools de partout au pays ont augmenté de 13 % depuis 2016, ce qui représente un rythme de croissance considéré comme raisonnable. Mais l’équilibre entre rendements élevés et avantages sociaux pour les consommateurs reste en effet délicat. Les directives à l’étude ont une influence sur nos comportements et sur ce que les professionnels de la santé vont promouvoir auprès des patients et de la communauté en général.

Mais ce qui demeure le plus étrange, c’est la relation entre Santé Canada et le CCDUS. Le groupe établi à Ottawa reçoit un soutien financier de Santé Canada. Le CCDUS est essentiellement un lobby non gouvernemental qui milite pour la réduction des méfaits de l’alcool et des drogues. À la lecture des rapports du groupe, on croirait que l’alcool devrait être interdit, enfin presque.

En d’autres termes, l’objectif du CCDUS est de sensibiliser la population pour qu’elle réduise la quantité d’alcool consommée et d’influencer les politiques. Un parallèle pourrait s’établir si Santé Canada demandait à des personnes véganes de commenter l’industrie bovine. Il devient tout simplement impossible de négliger les prédispositions et les penchants potentiels.

Afin d’apporter plus de crédibilité et de perspective, il aurait été avantageux pour Santé Canada de mener sa propre consultation ou de demander à plusieurs groupes d’examiner la littérature et de proposer différents ensembles de recommandations. Tout porte à croire que le CCDUS détient le monopole de la pensée scientifique liée à la consommation d’alcool au Canada. Cette question importante mérite d’être examinée sous une multitude de points de vue.

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