Projet de tramway

Labeaume s’en va-t-en-guerre (une fois de plus)

Vous verrez et entendrez beaucoup Régis Labeaume dans les médias au cours des prochains jours. Pourquoi une telle agitation ? Pourquoi le coloré maire de Québec sent-il le besoin de chauffer le poêle ?

La raison est évidemment liée à son fameux de projet de tramway, qui, depuis son lancement officiel au printemps 2018, est une véritable course de haies. Régis Labeaume a jugé que le moment était venu de ramener ce débat dans l’espace public.

« On avait une campagne de promotion qui devait être lancée en mai, m’a-t-il confié mardi lors d’un entretien téléphonique. Pas besoin de vous dire que ça n’a pas marché. Pour ce qui est du gouvernement, disons que la principale préoccupation de François Legault, en se levant le matin, c’était de voir combien il y avait de morts au Québec. On comprend ça. Mais là, les gens veulent nous entendre là-dessus. »

Cet ambitieux projet de tramway évalué à 3,3 milliards de dollars (1,8 million de Québec, 1,2 million d’Ottawa et 300 000 $ de la Ville de Québec), Régis Labeaume y tient plus que tout. Malgré un effritement de l’appui de ses citoyens, des récriminations répétées de certains animateurs de radio et de nombreux changements apportés au projet, la création d’un tramway reliant l’ouest de la ville, Sainte-Foy, la colline Parlementaire, le centre-ville, Limoilou et Charlesbourg est primordiale.

« Il faut le faire, car le trafic va devenir infernal à Québec dans quelques années. On va devenir comme Montréal. Avec tout le respect que j’ai pour les Montréalais, on ne veut pas devenir comme vous autres. Je ne sais pas si vous êtes venu chez nous récemment, mais ça marche nos affaires, ici. »

Il a raison de dire ça. Québec est en ébullition. Chaque séjour nous permet de prendre le pouls de la chose. Le projet de la promenade Samuel-De Champlain, pour ne nommer que celui-là, est une grande et belle réussite.

Régis Labeaume croit que pour faire face au défi de la circulation à Québec, il faudrait se doter d’un « nouveau boulevard Charest et d’un nouveau boulevard Laurier ». Et cela lui apparaît impossible. « On se dirige tout droit vers un mur, dit-il. Les gens ne le croient pas, mais c’est cela. Pourquoi les villes de 500 000 habitants et plus ont toutes des projets structurants et, nous, on n’en a pas ? »

Le problème que rencontre le projet de tramway du maire Labeaume, c’est qu’il côtoie celui du troisième lien qui unira Lévis et Québec par un tunnel routier. Le mariage entre ces deux mégaprojets est difficile. Plusieurs voix se sont élevées récemment pour réclamer la fusion des deux bureaux de projet.

« L’un des problèmes, c’est qu’il y a encore des gens qui pensent que l’on peut avoir un métro, reprend Labeaume. Le gouvernement garde les citoyens une patte en l’air avec ça. Le gouvernement a promis un troisième lien. Les élus de la CAQ de la région de Québec ont été élus là-dessus. Nous, on est prêts avec notre tramway, mais le gouvernement essaye de nous gérer pour gagner du temps avec le troisième lien. »

Avec quoi exploiterait-on ce troisième lien ? Des autobus électriques ? Un train léger ? Je demande à Régis Labeaume quelle est sa vision de ce projet. « Mon cher monsieur, je vais vous renvoyer au ministère des Transports, moi, je gère ma bâtisse. »

Quand je dis que le mariage est difficile.

En attendant, l’Assemblée nationale est en attente d’un rapport du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) et d’une étude d’achalandage du ministère des Transports avant de reconfirmer son soutien au projet de tramway.

Le rapport du BAPE devrait être prêt autour 5 novembre. Nous serons donc à un an des élections municipales du 7 novembre 2021. Cela voudrait-il dire qu’un processus référendaire serait intégré aux prochaines élections municipales de Québec. Certains l’envisagent déjà.

Québec 21, l’opposition officielle à Québec, martèle qu’un référendum sur la question d’un tramway est indispensable. Dans ce cas, ce scrutin reposerait entièrement sur cet enjeu. Un peu comme la question des transports collectifs et de la mobilité risque d’être un thème majeur des prochaines élections montréalaises.

Le spectre d’un référendum ne fait pas peur à Régis Labeaume. « L’appel de proposition sera déjà parti, lâche-t-il. Le parti qui va dire qu’il annule ce projet va causer un chaos. »

Voyant l’ardeur que Régis Labeaume met à défendre son projet de tramway, je lui demande : alors, cela veut dire que vous confirmez votre retour en novembre 2021 ? Après un grand éclat de rire, il me dit : « Ça va être ma cinquième élection, j’ai envie de faire preuve de stratégie. »

Est-ce qu’après 14 ans à la mairie de Québec, quelques grands coups, quelques revers aussi, celui qui a combattu un cancer en 2019 aurait envie de jeter l’éponge ? J’avoue que cette entrevue m’en a parfois donné l’impression.Un moment donné, il a eu cette phrase :

« Je ne suis plus à la mode. J’ai 64 ans. Ce n’est pas moi qui vais diriger la ville dans quelques années. Ça va être des jeunes qui pensent autrement et qui veulent des projets comme celui-là qui seront en place. Et c’est très bien ainsi. »

— Régis Labeaume, maire de Québec

Quand je suis revenu à la charge avec ce sujet, il a fait une fanfaronnade typiquement labeaumienne. « Le Kremlin émet un communiqué pour dire qu’il n’a rien à dire là-dessus. »

Finalement, votre stratégie a comme but de faire monter le désir, à la manière de votre ami Denis Coderre ? lui ai-je balancé. « Elle est bonne ! Sauf qu’on ne parle pas du même désir. »

Régis Labeaume prépare-t-il une sortie flamboyante en s’assurant de laisser un dernier legs à la ville de Québec ? Ou est-ce là un autre coup de poker comme les politiciens de sa trempe en sont capables ?

Avec ou sans Régis Labeaume, ce projet structurant devra se faire. Et pour cela, un mariage forcé avec celui du troisième lien m’apparaît incontournable. Dans ce cas, le maire de Québec devra faire preuve de sagesse et de patience. Je ne crois pas qu’après quatre mandats, ce sont là ses plus grandes vertus.

Langue française

« Le fossé entre Montréal et le reste du Québec se creuse »

Le nombre croissant de Québécois qui parlent de Montréal comme d’« une autre planète » inquiète grandement Régis Labeaume. De crainte que « ça retrousse un jour », le maire de Québec appelle à une action musclée pour protéger le français dans la métropole.

« Vous savez, dans les années 60 et 70, quand la langue française a été bafouée, il y a eu une réaction à ça. Si on n’est pas bienveillants avec notre langue, ça va retrousser un jour. Il va y avoir une réaction. Le fossé entre Montréal et le reste du Québec s’élargit de jour en jour », prévient le maire de Québec.

Il ne met pas la faute sur la mairesse de Montréal, Valérie Plante, mais sur la place plus grande de l’anglais sur la place publique.

« La population devient de plus en plus métissée à Québec aussi. Mais au moins, on parle français, ici. Peut-être que pour beaucoup de monde des régions, Montréal est une autre planète. Ce n’est pas la faute de personne, mais c’est ça. »

— Régis Labeaume, maire de Québec

Régis Labeaume en appelle ainsi à une grande discussion collective sur le sujet afin que « le clivage » cesse de s’accentuer et que le français reprenne ses lettres de noblesse. « C’est statistique : les francophones ne feront éventuellement plus la différence dans l’élection d’un gouvernement. On s’enligne tranquillement là-dessus. Et quand ça va arriver, je pense que ça va râler quelque part. Alors, je dis toujours, va falloir qu’on se comprenne. »

En visite à Montréal cette semaine, le « doyen des maires, mais peut-être pas le plus sage » ne cache donc pas son inquiétude, quelques jours après la publication par l’Office québécois de la langue française de son Enquête sur les exigences linguistiques auprès des entreprises, des municipalités et des arrondissements de Montréal, qui a « choqué » le ministre responsable de la langue française, Simon Jolin-Barrette.

« À Québec, nous sommes très pointilleux sur le français », indique le maire Labeaume.

Tisser des liens avec les communautés culturelles

Cela dit, même s’il conçoit qu’il ne vit pas les mêmes problématiques que celles que vit Montréal ou que vivent toutes les autres « métropoles américaines », il sait qu’il doit ouvrir grandes les portes de sa ville aux communautés culturelles.

Il s’agit d’ailleurs d’un des grands dossiers sur lesquels il veut se pencher dans les prochains mois, pour tenter de tisser davantage de liens avec les membres issus des communautés culturelles. « On va commencer avec la communauté noire », précise-t-il, ajoutant qu’il a déjà ouvert le dialogue avec la communauté musulmane. Il souhaite nommer au sein de la Ville une personne qui travaillera dans ce sens : « Je discute avec une personne noire qui vit aux États-Unis et qui a une maison à Québec. »

Son but est que cette discussion se fasse dans « l’harmonie » et le « plaisir », par exemple en rendant hommage aux joueurs issus de la diversité de l’équipe de football du Rouge et Or de l’Université Laval.

« Je veux qu’on célèbre le succès de jeunes Noirs de Québec dans les domaines culturel, sportif et social. Je veux qu’on s’y prenne par le plaisir », explique M. Labeaume.

En ce qui concerne le profilage racial, le maire de Québec évite de dire s’il y en a dans sa ville.

Le Service de police de la Ville de Québec (SPVQ), qui ne compte aucun policier noir, a aussi entrepris cet été des démarches pour encourager des citoyens issus des communautés culturelles à embrasser le métier de policier.

« Le chef du SPVQ, Robert Pigeon, fait tout pour former et embaucher des personnes des communautés culturelles. Les policiers font même le tour des terrains de basket pour inviter [les joueurs] à devenir policiers, dit avec enthousiasme le maire de Québec. On est rendus là, nous autres ! Et je vais mettre plus de temps moi-même pour relever ce défi. »

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