Ils ont reçu des soins... et un virus

Un patient sur sept hospitalisé avec la COVID-19 a reçu son premier test positif plus de sept jours après son admission, ce qui veut dire qu’il a probablement contracté le virus à l’hôpital. Un expert estime néanmoins que le risque pour les patients hospitalisés de contracter le virus demeure faible. Mais une chose est sûre : les milieux hospitaliers ne sont jamais à l’abri d’éclosions.

Infections nosocomiales

une vingtaine de cas par jour

Un patient sur sept hospitalisé avec la COVID-19 a reçu son premier test positif plus de sept jours après son admission à l’hôpital, et est donc considéré par l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) comme un cas « nosocomial présumé », c’est-à-dire que la maladie a probablement été contractée à l’hôpital.

Depuis plusieurs mois, ce chiffre est stable : autour de 15 % des patients COVID hospitalisés sont considérés par l’INESSS comme des cas de maladie nosocomiale présumée. En chiffres absolus, ces patients représentent une vingtaine de cas par jour. Entre 2000 et 3000 personnes sont hospitalisées chaque jour au Québec. Le « risque » de contracter la COVID-19 en se rendant à l’hôpital demeure donc faible, souligne Mike Benigeri, directeur du Bureau des données clinico-administratives à l’INESSS.

« Je ne suis pas certain que le risque est plus élevé à l’hôpital que dans les milieux de vie en général. L’hôpital est le reflet de la contagion communautaire. »

— Mike Benigeri, directeur du Bureau des données clinico-administratives à l’INESSS

De plus, la certitude n’est pas absolue, pour tous ces cas, que la maladie a été contractée à l’hôpital, ajoute M. Benigeri. « Certains patients ont pu avoir leur test plus de sept jours après leur admission, mais ils avaient déjà la COVID en entrant. »

Cependant, l’INESSS utilise ce chiffre depuis cet automne pour faire ses prédictions des besoins en milieu hospitalier, précise Mathieu Maheu-Giroux, chercheur à l’Université McGill, qui a reçu le mandat de l’INESSS de modéliser les besoins du réseau pendant la pandémie.

« Il y a toujours eu cette présence d’infections nosocomiales pour la COVID, mais ça ne biaisait pas nos chiffres pendant la première vague parce que quand on a commencé à modéliser, on était en mode descendant. À l’automne, en mode ascendant, ç’a été plus difficile à prévoir, dit-il. Il y avait un biais systématique à la baisse dans nos données, et c’est là qu’on s’est rendu compte qu’il fallait inclure le critère nosocomial. » Au cours des derniers mois, ce chiffre est demeuré « assez constant », confirme-t-il.

La COVID-19 peut être transmise de multiples façons aux patients hospitalisés. « Normalement, les infections nosocomiales, on les retrouve juste à l’hôpital. Par exemple, la bactérie C. difficile, ça ne se retrouve pas dans la communauté. Mais avec la COVID, ça peut aussi être un visiteur qui vient voir le patient qui le transmet. Ça peut être n’importe qui. C’est très différent de ce qu’on voit d’habitude dans les maladies nosocomiales », précise M. Benigeri.

Vigilance des travailleurs de la santé

Les travailleurs du réseau peuvent évidemment être un vecteur de la COVID-19 comme maladie nosocomiale. À cause de leur travail, qui les place en contact étroit avec une multitude de patients, ils sont surreprésentés dans les cas de COVID-19. Au global, 35 000 travailleurs du réseau de la santé ont été infectés par le virus, sur 238 000 cas au total au Québec. Cela représente donc près d’un cas sur six. « C’est énorme, comme chiffre, par rapport à leur poids réel dans la population. Ils sont vraiment très à risque », dit M. Benigeri.

De nombreuses éclosions sont effectivement survenues dans les hôpitaux au Québec. En date du 15 janvier, on recensait pas moins de 37 éclosions seulement dans les milieux hospitaliers de l’île de Montréal. Pour parler d’une éclosion, on doit recenser au moins deux cas dans le même milieu.

La transmission de la maladie aux patients, c’est évidemment ce que le personnel de la santé cherche à tout prix à éviter, souligne la Dre Chantal Vallée, chef du département de médecine spécialisée à l’hôpital Charles-Lemoyne.

« On devrait toujours tout faire en notre pouvoir pour que ça n’arrive pas. Dans un monde idéal, ça n’arrive pas. Mais le risque zéro n’existe pas : on fait affaire avec une maladie qui est très prévalente. »

— La Dre Chantal Vallée, chef du département de médecine spécialisée à l’hôpital Charles-Lemoyne

Le personnel est-il assez vigilant ? « J’aimerais vous dire que oui, toujours. Mais c’est vrai qu’il y a des manquements. On essaie de se surveiller les uns les autres. C’est notre devoir de ne pas se réunir pour dîner, de se laver les mains quand on baisse notre masque pour se gratter le nez. Mais quand on est sous pression, c’est facile de baisser la garde, dit-elle. Les mesures de prévention des infections n’étaient pas très bonnes avant la COVID. La pandémie nous a permis d’être bien meilleurs qu’avant sur cette question. »

Chose certaine, les patients qui ressentent le besoin de consulter à l’hôpital ne devraient jamais hésiter à le faire, dit-elle. « Les gens malades doivent venir nous voir. Un infarctus dont le traitement est retardé, ça peut conduire à des complications gravissimes. Les autres problèmes de santé ne prennent pas congé avec la COVID. »

Situation plus critique en Grande-Bretagne

Le National Health Service, l’équivalent britannique de notre ministère de la Santé, a établi en décembre que dans un cas sur quatre de patients hospitalisés avec la COVID-19, la maladie aurait été contractée à l’hôpital. Dans certains hôpitaux, cette proportion grimpait même à un cas sur trois, indiquait la plus récente édition du British Medical Journal. La définition d’un cas de COVID-19 nosocomial utilisée par le NHS est pratiquement la même que celle utilisée par l’INESSS au Québec, soit des patients qui reçoivent leur test positif à la COVID-19 huit jours ou plus après leur admission à l’hôpital. Une étude publiée en décembre montrait d’ailleurs des déficiences majeures dans la conformité aux protocoles sanitaires par les employés de certains hôpitaux.

« Entrer pour se faire soigner, sortir avec la COVID »

Denis Morin est entré à l’hôpital pour une pneumonie. Il en est ressorti avec la COVID-19. Résultat : trois semaines aux soins intensifs. Il a failli mourir. Et il a contaminé sa femme.

« Les médecins l’ont prévenu qu’il gardera peut-être des séquelles toute sa vie », dit sa fille, Josée Morin.

Tout a commencé en novembre. M. Morin, qui aura 72 ans cette semaine, s’est senti essoufflé. Il a passé un test de dépistage du nouveau coronavirus : négatif.

Quelques jours plus tard, son état de santé s’est dégradé. À l’hôpital de Victoriaville, on lui a diagnostiqué une pneumonie. L’homme a passé deux semaines aux soins intensifs. Il a reçu deux autres tests négatifs durant son séjour.

La journée de son départ, on lui a fait passer un dernier test. Il y avait une éclosion de COVID-19 à l’hôpital. Le septuagénaire a reçu son congé avant d’obtenir le résultat. Il est rentré chez lui avec sa femme, Louise Michel, 70 ans.

« Le lendemain, on a reçu un appel pour nous dire qu’il était positif », raconte cette dernière.

Sur le coup, le couple a été « très fâché ». « Denis se demandait comment il allait s’en sortir, dit sa conjointe. Et moi, la première chose à laquelle j’ai pensé, c’est qu’il ne passerait pas au travers. »

« On n’en revenait pas. Tu entres pour te faire soigner et tu sors avec la COVID. Mes parents respectent toutes les règles. Mon père ne sort pas depuis mars. Ma mère va juste faire l’épicerie. C’est pas des ados qui font des partys de sous-sol. »

— Josée Morin

Le virus a rapidement fait des siennes. Denis Morin, dont les poumons se relevaient à peine, est devenu très malade. Il s’est retrouvé à l’hôpital, encore aux soins intensifs, cette fois à Drummondville, dans une unité COVID-19. Il y est resté trois semaines, dont une sous respirateur.

« Ç’a été très pénible. Chaque journée a été un gros travail. T’es tout seul dans ta chambre. Tu regardes le plafond », souffle l’homme d’une voix enrouée par la maladie et l’émotion qui l’étreint en parlant de son épreuve.

Josée se souvient des sanglots étouffés de son père au téléphone. « Je lui parlais et j’entendais l’infirmière lui dire : respirez, monsieur Morin. Respirez. »

Seuls contre la maladie

Alors que son mari luttait pour sa vie, Louise Michel était confinée chez elle, fiévreuse, prise de quintes de toux, avec des pompes pour l’aider à respirer.

Elle raconte un matin où l’infirmière lui a dit au téléphone : « Là, ça n’a pas bien été. On a eu peur. »

Durant six jours, elle n’a pas pu parler à son amoureux. « Lui, il était intubé et moi, je toussais tellement que je ne voulais pas qu’il panique en m’entendant », raconte Mme Michel.

« Ç’a été dur. Très dur. Je ne pouvais pas être là pour l’accompagner. Je ne pouvais pas voir mes enfants pour me soutenir. »

« Ma famille m’appelait tous les jours. Ils venaient me faire des coucous par la fenêtre. Ils m’apportaient des plats préparés. On se parlait sur FaceTime, mais ce n’est pas la même chose que la chaleur d’une présence humaine. »

— Louise Michel

Denis Morin est rentré à la maison la semaine dernière. Trente livres en moins, le souffle court, les muscles fondus. « Ça va être long avant de me remettre de tout ça », dit-il.

Malgré tout, sa femme et lui ne sont plus fâchés de ce qui est arrivé.

« On s’est un peu réconciliés avec tout ça. C’est un virus tellement contagieux et sournois. Ce n’est pas de la négligence. Un petit détail et c’est trop tard », dit Mme Michel, qui tient à remercier les infirmières et les médecins qui se sont occupés de son mari.

« C’est le hasard, ajoute ce dernier. On n’y peut rien. Ce qu’on espère, c’est d’aller mieux. »

Opérée au genou, contaminée par la COVID-19

Autre région, histoire semblable.

Quand Anne Perras a reçu l’appel pour confirmer son rendez-vous pour la reconstruction de son genou, en juin dernier, elle s’est mise à craindre la COVID-19. « Mais ça faisait quatre ans que j’attendais, que je ne m’endurais plus, que je ne marchais à peu près plus. Je me suis dit : ‘‘de la marde, la COVID, j’y vais” », lance-t-elle au bout du fil.

Pour se sentir en sécurité, la femme de 61 ans a demandé de séjourner dans une chambre individuelle. L’hôpital de Saint-Jérôme lui a répondu que celles-ci étaient réservées aux patients atteints du virus respiratoire. Mme Perras s’est donc retrouvée à partager sa chambre avec trois inconnus sur un étage comptant quelques cas de COVID-19.

À sa sortie de l’hôpital, ses trois filles lui ont tour à tour donné un coup de main pour lui faire ses injections, lui cuisiner des repas, l’aider à se laver. Quatre jours après qu’elle a reçu son congé, l’une de ses filles, qui s’était installée dans sa maison, s’est mise à souffrir de maux de gorge. Presque simultanément, le conjoint de Mme Perras a développé des crampes abdominales et une grande fatigue.

Toute la famille s’est soumise à un test de dépistage. Mme Perras, son conjoint et sa fille habitant chez elle ont tous reçu un diagnostic positif.

« Quand je suis sortie de l’hôpital, on ne m’a pas fait passer un test de dépistage. La Santé publique avait l’air sans connaissance, sachant qu’il y avait des cas à l’hôpital. Ils m’ont dit que j’aurais dû être testée puisque j’aurais pu être en contact avec le virus par le personnel ou par du matériel », raconte celle qui est demeurée asymptomatique, malgré son résultat positif.

Mme Perras ne saura jamais à 100 % si elle a contracté le virus lors de son séjour à l’hôpital. Mais entre le 7 juin et le 16 juillet, 94 usagers et 97 employés de l’hôpital de Saint-Jérôme ont été déclarés positifs à la COVID-19. Mme Perras a quitté les lieux le 8 juin.

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