Chronique

La course sans la montre

Nathalie Bisson s’est fait un beau cadeau l’an dernier : pour ses 50 ans, elle a couru le marathon de Paris. Des 54 000 coureurs qui étaient sur la ligne de départ, 41 000 ont franchi le fil d’arrivée.

Nathalie l’a franchi.

Vous voulez savoir en combien de temps ? Elle ne le sait pas. « Je ne suis jamais retournée pour voir mon temps, tout ce qui compte pour moi, c’est d’être arrivée à la ligne d’arrivée. Je sais que c’est en bas de six heures, parce qu’après six heures, ils arrêtent. C’est un gros lâcher-prise sur le temps. »

Nathalie prône la « non-performance ».

Elle a travaillé fort pour arriver à ça ; elle était comme un peu tout le monde, réglée au quart de tour. Jusqu’à ce que son corps la lâche. En 2002, elle a eu un diagnostic de polyarthrite rhumatoïde sévère. « Les pronostics étaient très sombres. Je ne pouvais presque plus marcher, la chaise roulante m’attendait… »

Elle lui a posé un lapin. « J’ai lu que l’activité physique était une des meilleures façons de stimuler le système immunitaire. J’ai commencé à faire du vélo stationnaire, je pédalais 75 secondes dans le vide, et après, j’étais complètement vidée. Il fallait que je me couche pendant deux heures pour récupérer. Petit à petit, j’ai ajouté des secondes, des minutes. Après, j’ai commencé à faire du vrai vélo. »

Chaque été, elle allait faire une petite virée en Gaspésie.

Des collègues lui ont proposé en 2007 de faire le 10 kilomètres du Marathon des Deux Rives. « C’est là que j’ai eu le buzz pour la course, c’est devenu un exutoire. Mais, au début, je courais contre : contre le stress, contre la douleur. Ensuite, je me suis mise à courir pour : pour la santé, pour le bonheur. »

Pour elle.

« Je les trouve chanceux, ceux qui peuvent performer, mais ce que je dis, c’est que lorsqu’on ne peut pas ou qu’on ne veut pas performer, il ne faut pas abandonner. Il faut s’abandonner. L’important, c’est de courir pour les bonnes raisons, que ce soit pour avoir une médaille, ou juste pour être bien. »

— Nathalie Bisson

La veille de notre rencontre, elle avait fait 31 kilomètres.

Dans la canicule.

Elle court – et marche – avec ses brus, avec ses deux petits-fils. Elle a fait un cinq kilomètres en septembre avec Charles, 6 ans. Elle court – et marche – de 60 à 80 kilomètres par semaine, été comme hiver. Elle veut être sur la ligne de départ du Polar Circle Marathon en 2018.

Sans chrono.

Elle a fait un trait sur la performance. « Ma plus belle course, c’est le marathon de Rimouski en 2014. C’est la première fois que j’ai vraiment réussi à lâcher prise. Il faisait froid, c’était difficile. Je suis arrivée dernière… et je me sentais comme une reine ! J’étais toute seule, j’avais le photographe juste pour moi. »

C’était, ironiquement, une de ses plus grandes victoires.

Elle sera de nouveau à Rimouski dans trois semaines. « Ce qui se passe entre la ligne de départ et le fil d’arrivée nous appartient. Il faut courir libre, courir pour soi, être dans le moment présent. Il n’y a aucun règlement qui nous interdit de marcher, de nous reposer, de remercier les bénévoles ou même de taper dans ses mains. »

Elle appelle ça « le pace du bonheur ». Ça s’applique à sa vie au complet.

Elle franchira le fil d’arrivée, à un moment donné. « Le fil d’arrivée, c’est le plus bel endroit sur Terre. »

Le vrai rêve de Nathalie, c’est de s’attaquer aux puces, celles dans les dossards des coureurs qui sont connectées au chronomètre. Elle aimerait que les coureurs puissent choisir : avec ou sans. « Au printemps, je vais travailler là-dessus, je vais commencer avec de plus petits événements, comme Limoilou ou Lac-Beauport, pour qu’il y ait des 5 kilomètres du bonheur, des 10 kilomètres du bonheur, où le temps ne compte pas. »

Juste la satisfaction d’atteindre le fil d’arrivée. « Il y a un besoin pour ça. »

Nathalie a même commencé à donner des conférences sur son « pace du bonheur », elle veut dire au monde que si elle l’a fait, tout le monde peut le faire. Une dame lui a écrit, une retraitée de 66 ans : « Elle court 2 minutes, elle marche 1 minute, pendant 10 minutes. Elle est à moitié morte après, mais elle est fière… »

Comme Nathalie, quand elle pédalait dans le vide.

La maladie, elle, est toujours là. Tapie. « J’éloigne le jour fatidique, mais je dois pour ça respecter mon corps. J’ai été fragilisée il y a trois ans en raison du stress lié au décès de mon père, il y a eu une hausse de 30 % des zones atteintes, entre autres dans les hanches, le bassin et les genoux. »

Elle a remis ses espadrilles.

« La maladie, c’est comme la douleur, ça s’apprivoise. Et la souffrance, c’est relatif. Quand j’ai de la douleur dans une course, je ne souffre pas. Quand je passe la balayeuse, je souffre ! »

— Nathalie Bisson

C’est exactement la même douleur, aux mêmes endroits.

Comme n’importe qui, elle a de bonnes et de mauvaises journées. Les bonnes, elle peut se lever après une vingtaine de minutes d’étirements ; les mauvaises, il lui faut trois quarts d’heure pour se déplier, juste pour pouvoir sortir du lit.

À la fin de l’entrevue, je suis revenue sur le marathon de Paris, j’étais sceptique : 

— Tu n’as jamais été voir ton temps… même pas après ?

— Non, jamais.

— Ça a été difficile ?

— Pas vraiment. Lorsque quelqu’un atteint le sommet de l’Everest, est-ce qu’on lui demande combien de temps il a pris pour monter ?

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