Cinquième vague

Quand notre cerveau voit un tsunami

La cinquième vague qui déferle sur le monde depuis décembre engloutit encore une fois le moral des gens. Après presque deux ans, on ne peut ignorer l’ampleur de ce qu’on est venu à nommer l’autre pandémie : l’impact de la COVID-19 sur la santé mentale.

Dans des moments comme celui-ci, notre cerveau peut nous jouer des tours et perturber notre perception des évènements. Après presque deux ans de stress, d’adaptation, de vigilance et de fatigue pandémique, il manque d’oxygène ! Quand on peine à garder la tête hors de l’eau, quand la fatigue nous gagne, on peut prendre la plus petite vague pour un tsunami.

Dès les premières semaines pandémiques en 2020, la santé psychologique est devenue un enjeu. Et pour cause ! Une situation assez grave pour nous priver aussi longtemps de libertés acquises engendre anxiété et déprime chez bon nombre de personnes.

En plus d’éléments anxiodépressifs normaux et anticipés, la fatigue pandémique n’a pas manqué de générer des tensions, des émotions et des comportements extrêmes : chez les uns, une intolérance aux mesures sanitaires, jusqu’à la radicalisation de la pensée et du comportement ; chez d’autres, une anxiété exacerbée, qui mène à l’isolement total. Ces phénomènes s’expliquent très bien dans le contexte.

Mais pourquoi, après tout ce temps, cette cinquième vague semble-t-elle donner le coup de grâce au moral de ceux qui tenaient le coup depuis le début ?

Les personnes qui, au cours de leur vie, ont vécu des séries noires, des épreuves majeures successives, le savent : si résilients que nous soyons, nos capacités adaptatives ont leurs limites. Quand notre cerveau est fatigué trop longtemps, il perd sa capacité de recul.

Cette cinquième vague est d’autant plus cruelle qu’on s’attendait à des Fêtes plus « normales ». Elle a eu l’effet d’un coup de massue sur notre moral collectif. Tous, nous avons ressenti et observé deux émotions intenses : la peur et le désespoir.

Peur que, même adéquatement vaccinés, un être cher ou nous-même soyons infectés ; peur de revivre les contraintes extrêmes et de devoir nous priver une nouvelle fois de tout contact avec nos proches.

Désespoir, parce qu’après avoir fait tout ce qu’il fallait – confinement, distanciation et privation de contacts familiaux et sociaux, patience dans les files d’attente, lavages de mains répétés, port du masque, tests de dépistage, vaccins –, on a l’impression d’être revenus au point de départ.

Cerveau épuisé, pensées erronées

Nous savons maintenant qu’aux éléments anxieux et dépressifs se sont ajoutées certaines difficultés dans les fonctions exécutives du cerveau – nos capacités d’organisation, de planification, de réflexion, de raisonnement, de résolution de problèmes, de mise en perspective, de recul et de discernement.

Dans ce contexte de grande fatigue et de stress constant et durable, le cerveau est plus susceptible de créer des distorsions, de produire des effets similaires à ceux de la dépression : on devient plus vulnérables, plus inquiets, on a tendance à ne voir que le verre à moitié vide, et encore, avec des lunettes noires.

Le cerveau est ainsi fait : il enregistre rapidement et profondément en mémoire les évènements négatifs et difficiles. Il les « surinvestit », laissant moins de place à tout le positif qui nous arrive.

C’est pourquoi les émotions négatives sont celles qui refont surface au moindre sursaut. En période de stress chronique, comme on le vit avec la pandémie, le cerveau devient hypervigilant, sans cesse en alerte. C’est ce qui, à la longue, engendre irritabilité et intolérance.

Perturbation des fonctions exécutives, surinvestissement dans le négatif : ces deux phénomènes nous font perdre notre perspective et causent de la distorsion cognitive – des pensées irrationnelles et erronées. Si fausses et erronées que soient ces pensées, elles n’en influencent pas moins nos actions, nos émotions, nos relations.

C’est pourquoi il est essentiel d’avoir à l’esprit ce phénomène de distorsion cognitive quand on est envahi par des émotions négatives. Bien que ces distorsions soient des mécanismes d’adaptation et de protection, elles deviennent nuisibles quand elles sont disproportionnées et constantes.

En prenant conscience de ces phénomènes, on peut mieux gérer ses propres émotions. Il faut s’en souvenir, alors qu’on a l’impression d’entendre encore et encore la même litanie de mauvaises nouvelles.

D’abord, il faut se rappeler qu’objectivement, nous sommes en bien meilleure posture qu’en 2020. Nous sommes adéquatement vaccinés en grande majorité, ce qui limite la gravité de l’infection, à défaut d’en prévenir complètement la transmission.

Il faut certes continuer de nous protéger : santé physique, mais aussi santé mentale. Il ne faut pas cesser de vivre : il faut bouger, prendre l’air, parler à celles et ceux qu’on aime, se détendre, s’amuser, être indulgents pour nous-mêmes comme pour nos proches, développer une tolérance à l’incertitude.

Et surtout, surtout, rappelons-nous que tout ça aura une fin. Même si, en temps de crise, tout paraît urgent, je préfère, à l’instar d’Edgar Morin, me rappeler qu’« à force de sacrifier l’essentiel pour l’urgence, on oublie l’urgence de l’essentiel ».

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