L’ouragan Zaho de Sagazan

C’était l’ambiance des grands soirs samedi au MTelus pour le concert de Zaho de Sagazan, probablement le plus attendu de ces 35es Francos. Et la sensation française de l’heure n’a pas déçu, offrant une prestation aussi envoûtante qu’exaltante.

Ce n’était pas la première fois que l’autrice-compositrice-interprète originaire de Saint-Nazaire chantait à Montréal. L’an dernier aux Francos, alors qu’elle venait tout juste de lancer son premier album La symphonie des éclairs, elle a donné un concert extérieur gratuit sur une petite scène à 18 h, en plus de faire la première partie de Juliette Armanet. Elle est revenue moins d’un an plus tard, en avril dernier au Club Soda, forte cette fois de quatre Victoires de la musique.

Son ascension est si fulgurante que Zaho de Sagazan a chanté Modern Love de Davie Bowie en ouverture du Festival de Cannes cette année… pour la réalisatrice de Barbie, Greta Gerwig, qui présidait le jury.

C’est dire à quel point ce retour à Montréal est ce qu’on appelle un évènement, et il a été considéré comme tel par le public qui l’attendait avec impatience.

Après une première partie assurée par le duo Bibi Club, Zaho de Sagazan est arrivée sur scène vers 21 h 15, accueillie avec bruit. Mais c’est dans un silence total qu’elle a interprété seule au clavier Fontaine de sang.

Sur la deuxième chanson, Aspiration, elle sera rejointe par deux musiciens, un batteur et un claviériste qui est aussi maître de tous les sons électroniques. Installés sur de petites estrades dans un décor industriel – Zaho de Sagazan aime bien Kraftwerk et ça se voit –, ce sont ces deux-là qui assureront les différentes ambiances instaurées par la chanteuse de 24 ans, qui se promène entre la techno pure et la chanson française… souvent dans la même pièce, ce qui a donné parfois à la première partie du spectacle un côté un peu hachuré.

Zaho de Sagazan a décliné pratiquement toutes les chansons de son seul et unique album. Avec une espèce d’intensité fébrile et sa voix toujours juste et sincère, elle a chanté ses chansons d’amour rêvé, elle a chassé la tristesse, conjuré l’angoisse et la mort, parfois au clavier (Dis-moi que tu m’aimes, encore une fois dans un silence attentif), la plupart du temps au micro, quelques fois même en descendant dans la première rangée du public massé au parterre.

Fini les ballades

Le concert a filé rapidement jusqu’à la chanson attendue, La symphonie des éclairs, qui lui a valu la Victoire de la chanson de l’année.

Le public a chanté avec elle en chœur, il ne demandait que ça en fait, cette communion, qui a tardé un peu à venir.

« Maintenant, on danse sous les orages, c’est finito les ballades ! », a lancé la chanteuse. À la fin de Ne te regarde pas, le moment était donc venu de se défouler. « Ne te regarde pas, lâche-toi », répétait-elle comme un mantra. Les stroboscopes se sont allumés, la foule – comme la chanteuse-performeuse, qui ne disait qu’un seul mot : « Dansez dansez » – s’est laissée aller sur une musique purement techno. Moment de défoulement et d’exultation totale qui a duré longtemps, que Zaho de Sagazan a terminé… couchée sur la scène.

Au rappel, la chanteuse est revenue pour une interprétation, en allemand s’il vous plaît, de 99 Luftballons, puis de Ah que la vie est belle de Brigitte Fontaine.

« Je l’ai choisie parce que c’est le plus beau refrain du monde, et parce que c’est une chanson qui nous rappelle que la vie est belle ! Merci pour tout l’amour… et continuez à aimer. » Après la photo d’usage, l’ouragan Zaho de Sagazan est ressorti de scène, et la tempête est retombée d’un seul coup. On s’ennuie déjà d’elle.

Ambiance R&B aux Francos

Le R&B en français à l’honneur

Pour clore les Francos en beauté, on a misé sur le R&B… et sur Corneille. Ce dernier a été le maître de cérémonie (et le plat principal) d’une soirée réunissant une dizaine d’artistes, une étincelante chorale et un band renversant, qui ont ensemble fait honneur au R&B francophone et, surtout, fait beaucoup danser la place des Festivals, entre nostalgie et découverte.

Après une introduction vidéo qui a bien mis la table, présentant des pionniers du R&B du Québec, Corneille a été le premier à monter sur la scène Bell, devant un parterre plein. « Le R&B a influencé tellement de genres musicaux. Et il a son histoire ici aussi. Le R&B a aussi son avenir ici, en français », a-t-il dit en remerciant la foule de sa présence.

Pour ce spectacle à grand déploiement, on n’a pas opté pour une montée tout en crescendo. On a plutôt tout donné dès le début. Il y a eu des hauts et des bas, mais commencer avec Corneille allait de soi. Il a interprété cinq chansons, débutant avec Ensemble, permettant à la fabuleuse chorale Deevine de tout de suite animer de son talent le concert. Tout le monde a suivi, puis Notre année, Le bonheur et Avec classe.

La chanteuse algéro-canadienne Zaho a été la suivante sur la grande scène des Francos. « [Une Montréalaise] qui a donné envie à toute une génération de faire du R&B », a affirmé Corneille pour la présenter. Celle qui a fait le buzz en 2008, au Québec, mais également en France, avec la pièce C’est chelou, a amorcé son numéro avec une version bonifiée (par le groupe de nombreux musiciens et cette superbe chorale qui a rendu tout le spectacle bien plus captivant) de cette chanson que bien des festivaliers ont entonnée en chœur. Ont suivi la ballade Je te promets (avec des danseuses qu’on a souvent retrouvées pendant le spectacle), Tourner la page, puis Hold My Hand, morceau de Sean Paul sur lequel Zaho a chanté pour la version remixée, il y a de cela près de 15 ans.

YellowStraps, duo belge de néo-soul et de R&B, est venu apporter un peu plus de modernité dans le spectacle qui jusque-là avait plutôt misé sur la nostalgie.

Slowdown, sa chanson parue cette année, a tout de suite eu son effet sur la foule attentive à la voix séduisante du meneur. Blue puis Merci ont complété le segment de YellowStraps qui a un peu moins soulevé la foule.

Fierté montréalaise

On a continué avec la nouvelle génération R&B avec les prodigieux membres de Rau_Ze, duo québécois promis à quelque chose de grand. Malheureusement, Rau_Ze n’a pu présenter qu’une seule pièce, son succès L’habitude. On en aurait souhaité davantage, d’autant que d’autres se sont vu accorder des segments qu’on aurait aisément pu raccourcir…

Corneille, animateur de la soirée, est souvent intervenu pour raconter à la foule ce qui lui plaît dans son genre musical de prédilection.

« Le R&B, c’est l’amour et la douceur, [qui devient] une puissance. Une puissance surtout dans les voix de ceux et celles qui le chantent. »

— Corneille

La présentation était tout appropriée pour l’ancien choriste de Céline Dion Barnev, dont le premier album solo est paru récemment. On a ainsi été à même de comprendre pourquoi il tenait tant à se lancer et à voler de ses propres ailes.

La soul habite manifestement le chanteur, qui a justement amorcé son numéro avec la chanson Soul pleureur. Quelque chose about you, ensuite, a montré ce que l’on peut faire lorsqu’on se permet de faire cohabiter l’anglais et le français dans le R&B. Barnev a conclu avec J’essaye d’oublier, que le public a entonnée avec lui de bon cœur.

Le Kanda Gang est alors montée sur scène. Encore peu connu, cet attachant groupe de chanteurs a présenté sa chanson Première classe et a probablement pu ainsi s’attacher de nouveaux admirateurs parmi les festivaliers. Ce spectacle était une histoire de famille, ça s’est senti : deux des membres de Kanda Gang étaient d’ailleurs l’un finaliste, l’autre demi-finaliste à La voix… dans l’équipe de Corneille.

Finir en beauté

Nouveau coup de cœur ensuite : la Montréalaise d’origine haïtienne Shah Frank a été sublime. Interprétant Étage SouterReine, elle a projeté sur la place des Festivals sa voix envoûtante, accompagnée par le généreux house band. Un pépin technique (une question de son sur la scène, peut-être), apparemment, ne lui a malheureusement pas permis d’être aussi impeccable sur sa seconde chanson, Shahkra.

Mais pourquoi se contenter d’une des sœurs Frank lorsqu’on peut avoir les deux dans le même spectacle ? Naïma Frank a succédé à sa sœur sur scène, présentant La reine et Danse avec moi, mettant à son tour le public dans sa poche grâce à sa voix et son énergie.

Les Louanges, juste après, a permis de prolonger l’un des meilleurs segments du spectacle. « Les artistes ont parfois une personnalité tellement forte qu’on n’arrive pas à les caser. Savez-vous qu’il est lui aussi un fier membre de la famille R&B ? » Les Louanges a commencé avec Pitou, l’une de ses chansons qui font comprendre qu’il a su amener quelque chose de nouveau à la musique contemporaine québécoise, un son qui ne ressemble qu’à lui. YellowStraps est ensuite remonté sur scène pour l’accompagner sur Qu’est-ce que tu m’fais.

Il a finalement interprété son succès Crash, permettant à Corneille de se joindre à lui sur ce duo qui figure sur le dernier album des Louanges.

Le Français Vacra a eu à son tour son moment pour briller, faisant découvrir sa voix unique (enjolivée – peut-être un peu trop – à l’autotune) au public montréalais. Il a débuté sur Plan séquence, chanson qui l’a fait connaître en 2021. Le chanteur a enchaîné avec Agent secret et a terminé avec Tiki Taka, autre gros succès (surtout auprès de la communauté française), sa voix androgyne divertissant une dernière fois la foule.

Retour à nos fiertés locales ensuite, avec Naomi. La chanteuse et danseuse n’a pas fait les choses à moitié, présentant un numéro énergique, avec ses chansons Zéro stress et Phénomène, elle aussi entourée des danseuses. Nouvelle star de ce R&B que l’on a célébré samedi soir, Naomi a été rayonnante.

Tous les artistes se sont réunis pour un moment que l’on aurait pu prévoir, mais qui n’a tout de même pas déçu. Ils ont chanté en chœur Parce qu’on vient de loin, un choix aussi évident qu’il a été sympathique à vivre (malgré, là encore, quelques problèmes de son). Cette douce et dansante soirée a été une belle fin pour ces Francos, qui se terminaient samedi.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.