Chronique 

Faux débat

Êtes-vous pour la maternelle 4 ans ou pour les CPE ? Pour la laïcité ou pour la liberté religieuse ? Pour un meilleur arrimage en immigration ou pour l’abandon de milliers de dossiers déjà déposés ?

L’actualité nous somme jour après jour de choisir notre camp autour de ce genre de fausses oppositions, qui simplifient à l’extrême des débats complexes. Comme si, dans tous les cas, être pour ceci signifiait forcément que l’on est contre cela.

Et pourtant… Pourquoi ne pourrait-on pas reconnaître à la fois les bienfaits de la maternelle 4 ans et ceux des CPE ? Pourquoi ne pourrait-on pas affirmer l’importance de la laïcité tout en respectant la liberté religieuse ? Et en quoi le fait de travailler à un meilleur arrimage entre la sélection des immigrants et le marché du travail devrait-il nous empêcher de traiter avec humanité les dossiers déjà envoyés par des candidats à l’immigration qui ne demandent qu’à travailler ?

La dernière fausse opposition du genre qui m’a frappée est celle qui a été brandie par des opposants au registre des armes à feu qui manifesteront à Montréal aujourd’hui avec le slogan « Contre le registre, pour la santé mentale ».

Ce qu’ils demandent ? De laisser tomber le registre des armes à feu pour plutôt investir les sommes qui y auraient été consacrées en santé mentale. Comme s’il fallait nécessairement choisir entre l’un ou l’autre. Comme si l’un se faisait forcément au détriment de l’autre.

Un des arguments brandis par les opposants au registre est que celui-ci stigmatise les chasseurs, qui seraient ainsi vus comme des gens dangereux, au lieu de s’en prendre au « vrai » problème en misant sur les soins en santé mentale pour les gens véritablement dangereux. Un drôle d’argument anti-stigmatisation qui, dans les faits, renforce la stigmatisation autour de la maladie mentale en l’associant faussement à la violence ou à la criminalité. Car le fait est que la grande majorité des gens souffrant de troubles mentaux ne sont pas violents.

Le lobby pro-armes aime répéter que le danger ne vient pas de l’arme à feu mais de la personne dangereuse qui tient l’arme. Mais ce discours ne résiste pas à l’analyse, comme le démontre une étude récente de l’Université du Texas publiée dans le journal Preventive Medicine. Contrairement à la croyance populaire, la majorité des symptômes de maladie mentale ne sont pas liés à la violence armée, nous dit cette étude. C’est plutôt l’accès aux armes à feu qui est le principal coupable. D’où la nécessité de mieux contrôler cet accès pour tout le monde, peu importe l’état de santé mentale, si l’on veut réduire la violence armée.

On sait par ailleurs que la majorité des décès par arme à feu au Québec sont des suicides. Là encore, s’il va de soi qu’il faut un meilleur accès à des ressources adéquates en santé mentale pour prévenir ces morts évitables, cela ne suffit pas. Comme le soulignaient cette semaine dans deux lettres ouvertes distinctes la coordonnatrice de PolySeSouvient, Heidi Rathjen, et des organismes qui travaillent à la prévention du suicide, on n’a pas à choisir entre la santé mentale ou l’enregistrement des armes. Il faut agir sur plusieurs fronts. De meilleurs soins en santé mentale, oui, bien sûr. Mais cela ne nous dispense pas de l’obligation de réduire l’accès aux moyens de s’enlever la vie.

On sait que la présence d’une arme dans la maison multiplie par cinq les risques de suicide. D’où l’importance pour les propriétaires d’armes de les verrouiller, de bien les entreposer et de les enregistrer. Cela ne fait pas d’eux des citoyens suspects ou stigmatisés. Au contraire. Cela fait d’eux des citoyens responsables.

Bien sûr que l’enregistrement des armes n’est pas « la » solution magique pour prévenir la violence armée ou le suicide. Bien sûr que cela peut entraîner des tracasseries administratives pour des chasseurs. Mais si cela peut permettre à des policiers de mieux repérer des armes chez une personne suicidaire ou qui a un comportement menaçant et ainsi prévenir le pire, est-ce vraiment trop demander ?

On enregistre nos voitures. On enregistre nos chats et nos chiens. Pourquoi pas nos fusils, si cela peut éviter des tragédies ?

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