Corruption internationale

De plus en plus d’entreprises se dénoncent elles-mêmes

La Gendarmerie royale du Canada (GRC) constate une hausse des autodénonciations d’entreprises en matière de corruption internationale depuis les changements législatifs apportés par le gouvernement Trudeau pour permettre des ententes à l’amiable avec les sociétés délinquantes, il y a deux ans. Mais les policiers appellent maintenant le milieu des affaires à aller encore plus loin.

« C’est la grosse affaire qui a changé. Les compagnies sont beaucoup plus enclines à nous aviser quand elles découvrent des choses à l’interne. Je n’essaye pas de vous faire croire que le téléphone sonne tous les jours, mais il reste qu’avant, c’était quelque chose qui était presque inexistant pour nous », explique l’inspecteur Denis Beaudoin, de la Section des enquêtes internationales et de nature délicate de la GRC.

C’est en septembre 2018 qu’Ottawa a modifié le Code criminel pour rendre possibles des accords de poursuite suspendus dans les cas où des entreprises sont accusées de crimes. Cette procédure permet à une entreprise accusée (mais pas aux individus) de reconnaître les faits, de payer une amende, de s’engager à respecter certaines conditions et ainsi d’éviter une condamnation criminelle, comme ça se faisait déjà dans plusieurs pays de l’OCDE.

Au Canada, la mesure est née dans la controverse. La procureure générale d’alors, Jody Wilson-Raybould, a refusé d’intervenir pour enjoindre aux procureurs de la Couronne d’offrir un tel accord à SNC-Lavalin, qui était accusée d’actes de corruption en Libye.

Son refus a provoqué une crise au sein du cabinet de Justin Trudeau. Cette année, à la suite d’une autre enquête policière, un accord a été proposé à l’entreprise en lien avec la corruption d’un fonctionnaire pour obtenir un contrat de réfection du pont Jacques-Cartier en 2000.

Effet senti en quelques jours

Sur le terrain, pour les policiers, l’effet de cette nouvelle disposition s’est toutefois fait sentir immédiatement. Des gens d’affaires ont pris le téléphone afin d’avouer des crimes d’entreprise, dans l’espoir que leur collaboration permette à l’entreprise d’obtenir une entente à l’amiable.

« Quelques jours après l’arrivée de la loi, on a tout de suite eu référence de dossier d’une compagnie », affirme l’inspecteur Beaudoin. Depuis, chaque année, des autodénonciations sont venues d’entreprises à travers le pays. Certaines font toujours l’objet d’une enquête, d’autres ont été fermées ou ont été transmises à des partenaires étrangers.

Quand une entreprise dénonce d’elle-même des actes de corruption internationale auxquels elle a été mêlée, elle peut parfois signer un protocole avec la police pour fournir volontairement des documents, voire donner accès à des employés qui pourront être interrogés par les enquêteurs.

Dans un cas récent, une entreprise qui voulait s’autodénoncer a même fait venir au Canada ses employés de l’étranger, afin qu’ils dévoilent à la GRC certaines informations utiles à l’enquête.

« Ça change le ton de la relation avec la compagnie. Ça facilite notre travail, ça facilite l’accès à des témoins et à des documents. Sur les mandats de perquisition, les entrevues de témoins, les demandes d’entraide internationales, ça change beaucoup de choses », explique le sergent Guy-Michel Nkili, gestionnaires des enquêteurs affectés aux dossiers de corruption internationale.

La capacité d’obtenir une partie de la preuve par divulgation volontaire peut faire gagner des années de travail aux policiers, surtout dans les affaires aux ramifications internationales, qui impliquent souvent une demande d’assistance aux autorités d’un pays étranger pour aller chercher certaines informations, ce qui peut prendre une éternité dans certains cas.

« Des demandes d’entraide internationale, ça peut prendre des années, et parfois, on n’a pas de réponse. On a certains dossiers ouverts où on n’a pas de réponse depuis des années de certains pays », affirme l’inspecteur Beaudoin.

Un petit milieu

Mais la GRC aimerait que plus d’entreprises canadiennes acceptent de dévoiler d’elles-mêmes les malversations lorsqu’elles en découvrent en leur sein. Elle espère notamment que les grands cabinets d’avocats qui conseillent les multinationales canadiennes commencent tranquillement à suggérer cette façon de faire à leurs clients.

« Le milieu des affaires est un petit milieu, et c’est encore plus petit au niveau des avocats qui donnent des conseils. On espère qu’après que quelques-uns d’entre eux ont eu une expérience positive, ils en parlent à leurs collègues », affirme Denis Beaudoin.

« Ils peuvent nous appeler sans nommer leur client, et demander comment ça se passerait si le client décidait de faire une divulgation. Ça ne comporte presque aucun risque pour eux, et ils peuvent ensuite leur expliquer leurs options ! », dit-il.

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