Le Canada attendu de pied ferme à l’OTAN

Ottawa — C’est écrit dans le ciel : alors que la guerre en Ukraine fait toujours rage, Justin Trudeau se fera demander d’en faire plus en débarquant au sommet extraordinaire de l’OTAN, ce jeudi. Mais que peut-il mettre sur la table ? Tout indique qu’on se dirige vers une hausse du budget de la défense, mais Ottawa demeure loin d’atteindre la fameuse cible de 2 %, ses stocks d’armes létales sont à sec, et la pénurie de personnel militaire le plombe.

Le secrétaire général de l’alliance politico-militaire, Jens Stoltenberg, a mis la table. Les pays membres doivent hausser leur contribution d’un cran. « Je m’attends à ce que tous les alliés, y compris le Canada, respectent l’engagement de consacrer 2 % de leur PIB [au financement de l’OTAN] », a-t-il déclaré dans une entrevue diffusée dimanche passé sur les ondes de CBC, plaidant que « nous vivons dans un monde plus dangereux ».

À l’heure actuelle, le Canada contribue à hauteur de 1,4 % de son PIB. Pour atteindre la cible de 2 % dans un horizon rapproché, le gouvernement devrait doubler son budget de défense, qui est d’environ 25 milliards. « Ça devra se faire d’une façon progressive. On ne peut pas demander de doubler ça d’une shot », résume le conservateur Pierre Paul-Hus en entrevue.

En prévision du dépôt du budget fédéral, quelque part en avril, la ministre de la Défense nationale, Anita Anand, soumettra au Cabinet des « options agressives » de dépenses en matière de défense, dont une selon laquelle le Canada « dépasserait potentiellement le cap du 2 % », a-t-elle confié à CBC. Mercredi, en comité parlementaire, elle a dit qu’Ottawa étudiait la possibilité de s’approvisionner auprès de fournisseurs tiers pour acheter des armes et les envoyer en Ukraine.

L’argent, pas une panacée

« Il ne faut pas juste mettre plus d’argent, il faut faire mieux. On gaspille de l’argent au Canada. Même si on double le budget, si on gère l’argent tout croche, on n’est pas plus avancés », fait remarquer M. Paul-Hus. Lui qui milite néanmoins pour une hausse des dépenses militaires s’inquiète de l’influence que pourraient exercer les troupes néo-démocrates sur le gouvernement libéral.

« L’inquiétude qu’on a, nous, c’est que le NPD tire de l’autre bord, parce qu’on sait qu’ils ne sont pas très pro-OTAN », laisse-t-il tomber.

Le chef du NPD, Jagmeet Singh, dont la formation a conclu un pacte avec celle de Justin Trudeau, ne voit pas la cible de 2 % d’un bon œil.

« Je ne suis pas d’avis qu’on va arriver à [cette cible], et je ne pense pas que c’est quelque chose qu’on doit faire. »

— Jagmeet Singh, chef du NPD

« Le NPD n’a pas de veto sur ce qu’on est en train de faire dans nos budgets », a indiqué Justin Trudeau, mardi aussi, quelques heures avant de s’envoler pour Bruxelles. Sa visite sur le sol belge a commencé mercredi avec une allocution au Parlement européen. Ce jeudi, il prendra part à la rencontre de l’OTAN et à une autre du G7.

L’OTAN en « résurrection »

La chercheuse Laurence Deschamps-Laporte s’inquiète de voir l’enjeu du 2 % en occulter d’autres.

« Je pense qu’il y a quand même un consensus sur le fait que tout le monde doit investir davantage en défense », a noté celle qui a été conseillère de trois ministres des Affaires étrangères canadiens dans le cadre de sa participation à un panel d’experts réunis dans le cadre des Rendez-vous Gérin-Lajoie, mercredi.

« Je suis d’accord avec cette perspective, mais ce qui m’inquiète, c’est qu’on n’a jamais de débats sur le financement de la diplomatie, et la désescalade, la sortie de crise, elle va dépendre de la diplomatie », a-t-elle fait valoir.

« Si on a juste de l’argent en défense, pas en diplomatie, on va avoir des stratégies militaires à la place de stratégies diplomatiques. »

— Laurence Deschamps-Laporte, chercheuse

Et alors que la vonlonté belliqueuse de la Russie ne fait plus de doute, le Canada doit développer une vision à plus long terme et plus soucieuse de ses intérêts nationaux, a renchéri Justin Massie, professeur de science politique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et codirecteur du Réseau d’analyse stratégique.

« Il m’apparaît fondamentalement important que le Canada se consacre à la défense du flanc nord de l’OTAN, c’est-à-dire le Canada, en collaboration avec la Norvège ainsi que d’autres pays arctiques. C’est une zone où il pourrait y avoir des affrontements s’il y a escalade de la violence en Europe de l’Est, malheureusement », a-t-il plaidé.

L’OTAN elle-même doit s’adapter au séisme causé par Moscou sur l’échiquier mondial. « L’OTAN est sur le point de changer, d’évoluer. La guerre menée par les Russes fait en sorte qu’on assiste à une résurrection de l’Alliance », a quant à lui avancé Laurent Borzillo, stagiaire postdoctoral au département de science politique de l’UQAM.

On ne s’attend pas à ce que Justin Trudeau profite de son passage à l’OTAN pour procéder à une annonce d’envergure. Le président des États-Unis, Joe Biden, qui sera également de la partie, devrait annoncer de nouvelles sanctions, selon ce qu’ont rapporté des médias américains à la veille du sommet.

En chiffres

1,39 %

Proportion du PIB du Canada consacré à la contribution à l’OTAN. Les États-Unis versent 3,5 % et le Royaume-Uni, 2,3 %.

Source : rapport de l’OTAN du 11 juin 2021

73 %

Hausse des dépenses militaires annuelles prévues par le gouvernement Trudeau entre 2016-2017 et 2026-2027, soit de 18,9 milliards à 32,7 milliards

Source : politique de défense du Canada de 2017

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