cégeps anglophones

Qui sont les élèves francophones qui se tournent vers les cégeps anglophones ? Portrait, alors que la question du financement de ces institutions revient sur la place publique.

Cégeps anglophones

En anglais pour le cégep, mais pas pour la vie

Avec l’annonce, lundi, du dépôt d’une motion par le Parti québécois pour bloquer l’agrandissement du Collège Dawson, la fréquentation des cégeps anglophones par les élèves francophones est revenue au cœur des débats sur l’identité québécoise. Si le phénomène en inquiète plusieurs, il ne mène que très rarement à une anglicisation de ceux qui font le choix d’étudier en anglais.

Elle est allée à l’école primaire et secondaire en français. Elle parle le français à la maison. Et pourtant, c’est en anglais que Sarah-Maude Sab-Lessard a décidé d’étudier au cégep. Et elle est loin d’être la seule dans cette situation au Québec : le quart des 35 000 cégépiens des établissements anglophones ont le français pour langue maternelle.

« Moi, c’était pour peaufiner mon anglais. Je voulais travailler en communications et en cinéma, et c’est dur de travailler dans ce milieu-là sans avoir de bonnes bases en anglais », explique Sarah-Maude Sab-Lessard, qui a étudié au Champlain College, à Saint-Lambert, un des cinq établissements collégiaux anglophones de la province.

« Ma première session, ç’a été super difficile, poursuit la jeune femme. Ils tiennent pour acquis que ton anglais est de niveau expert. On ne fait plus de grammaire, il faut lire des grosses briques dans les cours d’anglais. Ça a beaucoup affecté mes notes. »

« Au début, j’avais peur de poser des questions dans mes cours. Je me sentais comme si j’étais à Toronto, je ne me sentais pas comme si j’étais à Montréal. »

— Sarah-Maude Sab-Lessard, qui a fait son cégep au Champlain College

« Une bonne proportion des gens que j’ai rencontrés [qui ont choisi d’étudier en anglais], c’était dans une perspective de développement personnel », raconte Karine Vieux-Fort, qui a consacré sa thèse de doctorat en sciences de l’éducation au sujet. « Ils le faisaient pour relever un défi personnel, en se disant que c’est une période de la vie où on explore, une période de transition où on peut faire des expériences. »

Mme Vieux-Fort, qui est maintenant agente de recherche à l’Université du Québec, a rencontré 37 Québécois francophones qui ont fait le choix d’étudier en anglais au cégep afin de mieux comprendre ce qui les a poussés à faire ce choix. Elle les a rencontrés quelques années après la fin de leurs études pour savoir quelle influence ce passage dans un établissement anglophone a eue dans leur vie.

« Parcours du combattant »

En plus de la perspective du défi personnel, les élèves ont parfois choisi les cégeps anglophones par stratégie, afin de se distinguer plus tard sur le marché du travail. Certains y ont été poussés par des parents qui se sentaient handicapés par leur connaissance insuffisante de l’anglais.

Quelques sujets de l’étude ont aussi fait ce choix par défaut, c’est-à-dire parce que le programme dans lequel ils voulaient étudier n’était offert qu’en anglais ou parce qu’ils avaient été sélectionnés par une équipe sportive d’un cégep anglophone.

C’est le cas d’Élisabeth Simard, qui a étudié en illustration et design, un programme qui n’était offert qu’au Collège Dawson à Montréal. Son arrivée à l’enseignement supérieur en anglais n’a pas été de tout repos.

« Franchement, ça n’a pas été facile. Je me débrouillais bien, mais mon niveau n’était pas académique. Se faire des amis, c’était difficile au début. La première année, c’était plus facile de me rapprocher des francophones. Au début, tu n’es pas assez fluide [en anglais] pour être drôle. »

— Élisabeth Simard, qui a fait son cégep au Collège Dawson

Les ex-élèves interviewés par La Presse expliquent que les professeurs permettent aux élèves francophones de remettre des travaux en français en début de parcours, mais que, de façon générale, ils se sont sentis laissés à eux-mêmes.

« Au cégep, tu es déjà moins encadré qu’au secondaire, donc c’est déjà une grosse étape. C’était difficile de se retrouver dans tout ça », se souvient Sarah-Maude Sab-Lessard.

Selon les résultats de l’étude, beaucoup d’élèves ont vu leurs notes baisser de façon draconienne. « C’est de véritables parcours du combattant pour la plupart. Un des sujets me racontait qu’il lisait ses livres et qu’il devait chercher un mot dans le dictionnaire à chaque ligne, ce n’était pas simple », raconte Mme Vieux-Fort. (Élisabeth Simard et Sarah-Maude Sab-Lessard n’étaient pas des sujets de l’étude de Mme Vieux-Fort.)

Pendant leurs études, certains disent s’être ouverts aux milieux anglophones, alors que d’autres ne se sont pas sentis du tout à leur place.

Revenir au français

« Il n’y a pas de recherches qui ont montré que la fréquentation d’un cégep anglophone mène à l’anglicisation », souligne Marie-Odile Magnan, professeure à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal.

Un seul cas sur les 37 étudiés a vraiment rejeté son identité de Québécois francophone. Pour les autres, l’expérience leur a permis de naviguer entre les deux langues au gré des occasions d’études et d’emploi par la suite.

« À la rencontre de l’autre, ça permet de confirmer son identité. L’étudiant peut se dire : je suis francophone québécois, mais maintenant, je maîtrise une autre langue. »

— Karine Vieux-Fort, docteure en sciences de l’éducation

Les anciens cégépiens interviewés par La Presse ne constituent pas un échantillon représentatif, mais ont tous vécu ce désir de revenir vers l’enseignement dans leur langue maternelle pour la suite de leur parcours scolaire.

« Je voulais aller à l’université après le cégep, et c’était évident pour moi que je voulais retourner en français, souligne Élisabeth Simard, qui a ensuite étudié à l’Université de Sherbrooke. Le français, c’est ma langue et l’éducation supérieure, je voulais vraiment que ça soit dans ma langue maternelle. »

« Maintenant, je travaille dans un milieu qui est très bilingue. J’aurais eu de la misère à faire ça, si ce n’était d’avoir étudié au cégep en anglais », conclut-elle.

Cégeps francophones et anglophones

« Pas de système à deux vitesses »

Le déplacement des élèves francophones vers les cégeps anglophones nourrit souvent des critiques voulant que ces derniers soient mieux financés que les autres au Québec et qu’ils attirent les meilleurs élèves francophones. La réalité n’est pas si noire, selon un expert.

« La qualité dans les cégeps est très équivalente », souligne Olivier Bégin-Caouette, professeur en enseignement supérieur comparé à l’Université de Montréal. « Tous les cégeps répondent aux mêmes standards. Les enseignants de cégeps ont des qualifications qui sont équivalentes. Les ressources financières sont équivalentes parce qu’elles sont calculées par nombre d’étudiants. Ce n’est pas comme si le cégep Dawson peut générer plus de fonds. »

« Il n’y a pas de système à deux vitesses comme on l’observe au secondaire », ajoute-t-il.

Les cégeps sont financés selon les mêmes critères gouvernementaux et leur budget par élève est très similaire d’un établissement à l’autre. Par exemple, en 2016, le cégep anglophone Dawson avait un budget de 10 778 $ par élève. Ce chiffre était de 10 861 $ au cégep du Vieux Montréal, de 9994 $ au Collège Ahuntsic et de 10 634 $ au Collège de Rosemont, tous des cégeps francophones.

Lundi, Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois (PQ), a déclaré que tout réinvestissement devrait plutôt être dirigé en priorité vers le réseau collégial francophone pour équilibrer le nombre de places dans les cégeps en fonction de la démographie montréalaise. Le PQ a annoncé qu’il déposerait une motion à l’Assemblée nationale cette semaine afin de bloquer l’agrandissement du Collège Dawson.

Pour M. St-Pierre Plamondon, il n’est pas question par cette motion de retirer aux anglophones le droit de poursuivre leur cursus collégial en anglais, mais bien d’« équilibrer le financement » en fonction du nombre de places au collégial en français dans l’île de Montréal.

« Le gouvernement Legault finance notre propre assimilation avec des fonds publics, alors que la situation [linguistique] est déjà problématique » à Montréal, a dénoncé le chef péquiste.

Risque d’iniquité

Selon M. Bégin-Caouette, restreindre le financement des cégeps anglophones créerait une iniquité. « Ça voudrait dire que les francophones qui suivraient leurs études dans des cégeps anglophones auraient une moins grande qualité d’éducation », soutient-il.

« Quand on dit qu’il y a un sous-financement, c’est quand on regarde le nombre d’anglophones au Québec, poursuit-il. Et on regarde la proportion de financement qui va pour les cégeps anglophones et on se dit qu’il y a un surfinancement des cégeps anglophones. »

Alors que les Québécois dont la langue maternelle est l’anglais représentent près de 9 % de la population, les élèves des cégeps anglophones comptent pour 18 % de la population étudiante à ce niveau. Parmi les élèves qui fréquentent les cégeps anglophones, 35 % ont l’anglais pour langue maternelle, 25 % ont le français pour langue maternelle et 40 %, une autre langue.

Le Collège Dawson soutient que l’agrandissement ne permettrait pas à son établissement d’accueillir plus d’élèves, mais servirait à régler un problème de manque de locaux pour les élèves actuels.

Le PQ remet en doute cette affirmation, puisque, selon Radio-Canada, la directrice de l’établissement aurait reconnu qu’elle cherchait à rehausser à 7800 le nombre d’élèves qu’il peut officiellement accueillir. La direction n’a pas confirmé ce chiffre à La Presse, affirmant seulement que le cégep n’avait pas l’intention d’accueillir davantage d’élèves que ce qu’il fait maintenant. Dans les faits, Dawson accueille déjà autour de 7900 élèves.

— Avec La Presse Canadienne

La fréquentation des cégeps en chiffres

49 %

À Montréal, proportion des élèves inscrits dans un programme préuniversitaire qui fréquentent un cégep anglophone.

18 %

Au Québec, proportion des cégépiens qui sont inscrits dans une institution anglophone. En 2015, 17 % des élèves étaient inscrits dans un cégep anglophone.

6 %

Proportion des élèves qui ont le français comme langue maternelle et qui vont au cégep en anglais. C’était 5,6 % en 2015-2016. Parallèlement, 11 % des élèves qui ont l’anglais comme langue maternelle vont au cégep en français.

4,5 %

Les francophones qui vont au cégep en anglais représentent 4,5 % de tous les cégépiens.

Source : ministère de l’Enseignement supérieur du Québec

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