BANDE DESSINÉE

Le coin BD

Chaque mois, La Presse vous présente une entrevue avec un créateur de BD et des recensions d’albums qui ont retenu notre attention.

Le coin BD / Camille Benyamina

L’essentiel invisible

Les petites distances
Camille Benyamina et Véro Cazot
Casterman
150 pages 

La scénariste française Véro Cazot, étoile montante de la maison Casterman, vient de faire paraître un magnifique album illustré par la Montréalaise d’adoption Camille Benyamina avec qui nous avons discuté.

Nous avons découvert Véro Cazot l’automne dernier avec Betty Boob, illustré par la Québécoise Julie Rocheleau. Un album muet soigneusement scénarisé, mettant en scène la jolie Élisabeth qui, après avoir subi une mastectomie, est engagée comme danseuse dans un cabaret burlesque. Une histoire réjouissante, émouvante et théâtrale, qui a connu un beau succès critique.

Cette fois, la scénariste française a imaginé un récit centré sur le personnage de Max, grand timide, timoré et maladroit, qui passe pour ainsi dire inaperçu. Ce bon Max, nouvellement séparé, fera la connaissance de la pétillante Léonie, qui habite dans son immeuble. Mais la belle rouquine ne fera pas grand cas de lui…

En fait, dès les premières pages, Max deviendra invisible. Une transparence qui caractérise parfaitement les traits de ce personnage.

« J’ai tout de suite eu un coup de cœur pour ce texte de Véro, nous dit l’illustratrice Camille Benyamina, qui a dessiné au moins deux albums chez Casterman (Violette Nozière, vilaine chérie et Chaque soir à onze heures). Les dialogues sont fluides, et on se laisse facilement emporter par le piquant, la tristesse et l’humour des situations », nous dit la Française qui vit à Montréal depuis huit ans.

Il reste que les défis posés par Véro Cazot ne sont pas minces. Si, dans Betty Boob, Julie Rocheleau a dû multiplier les acrobaties pour raconter cette histoire sans dialogues, Camille Benyamina a dû trouver le moyen de dessiner le personnage introverti de Max en transparence… De le superposer en permanence au monde réel dans lequel il évolue.

Trois ans de travail

« J’ai jonglé avec plusieurs idées, comme d’illustrer l’album en noir et blanc, ou de mettre une couleur en aplat pour représenter le personnage de Max, nous dit Camille Benyamina, mais finalement, j’ai opté pour un album en couleurs, dans les pastels et les aquarelles, et j’ai mis une transparence sur le personnage pour qu’on sente qu’il est vraiment effacé. »

Le résultat est saisissant. Et la fantaisie du scénario de Véro Cazot, très bien servie. La dessinatrice a d’ailleurs planché pendant trois ans sur cet album. « Il fallait que Max soit timide et effacé, donc j’ai opté pour un grand dadais un peu maladroit, mais je voulais aussi qu’il ait du charme. Dans mes premiers dessins, on le trouvait trop moche ! », nous dit Camille Benyamina. Donc je l’ai fait un peu plus beau… »

Max est donc, en quelque sorte, un fantôme, « comme beaucoup de gens, qui passent inaperçus », nous dit la dessinatrice diplômée de l’école Émile-Cohl (à Lyon). Léonie, qui reçoit la visite d’étranges esprits, ne le voit pas, mais, comment dire… elle le ressent. Car il s’insinue dans sa tête, et influe sur son humeur, un peu comme dans le film Being John Malkovich.

Grâce à son imaginaire, Max partagera le quotidien de Léo, emménagera chez elle et dormira même à ses côtés.

Entre eux se tisse une relation totalement fictive, mais romancée à souhait – par lui évidemment ! Une romance qui, étrangement, parviendra à se frayer un chemin jusqu’à elle. Parallèlement à cette quête amoureuse, on en apprendra un peu plus sur les origines et la jeunesse de Max – qui pourrait peut-être expliquer sa timidité – et les circonstances entourant son « accident », que nous ne révélerons pas…

Grâce aux dessins de Camille Benyamina, on embarque à fond dans cette comédie romantique signée Cazot. Les expressions faciales et les postures sont d’ailleurs hyper réalistes, et au fil des pages, le lecteur se trouve rapidement dans le même rôle que Max. Comme lui, nous sommes les témoins invisibles du quotidien de Léonie, à qui on finit, nous aussi, par s’attacher.

« L’attitude des personnages était importante, nous dit encore Camille Benyamina, qui travaille le jour comme graphiste et illustratrice pour le concepteur d’applications de jeux Playtika. Je voulais qu’on puisse entrer facilement dans leur intimité. C’était aussi important pour moi de les aimer, de ne pas me lasser d’eux, parce que je les ai côtoyés pendant trois ans ! »

La suite est pleine de promesses pour la dessinatrice de 30 ans, même si elle n’est pas encore conscrite dans un projet bédé. « J’ai quelques idées, mais je ne suis encore engagée dans rien, nous dit Camille Benyamina, devenue “canadienne” il y a deux semaines. D’ici là, elle s’apprête à lancer Les petites distances le 17 mai, à Montréal, avant de passer une partie de l’été en France, où elle fera ses premières signatures pour un album paru… au Québec.

Violence sexuelle d’hier à aujourd’hui

L’une d’elles
Una
Ça et là
206 pages

Cet album est à mi-chemin entre le documentaire et le récit autobiographique. Il est question ici de l’Éventreur du Yorkshire, qui a agressé et assassiné plus d’une dizaine de femmes en Angleterre, entre 1975 et 1980. Parallèlement à l’histoire de cet assassin notoire, très bien documentée, l’auteure Una nous dévoile ses propres rapports avec les hommes et les agressions dont elle a été victime. L’auteure navigue entre les deux histoires, cherchant à comprendre la motivation profonde des hommes et les rapports de pouvoir et de misogynie qu’ils entretiennent avec les femmes. Un album sur la violence sexuelle dans lequel Una rappelle quelques faits troublants dans l’enquête de la police du Yorkshire, qui a ignoré le témoignage (et la déposition) d’une jeune fille ayant survécu à l’agression de l’Éventreur. Un bond dans le temps, avec ce qui se passe aujourd’hui, illustre à quel point les choses ont à peine changé.

Dans l’antichambre de la mafia américaine

Virginia Hill –  Journal d’une affranchie
Christophe Girard et mkdeville
Les enfants rouges
222 pages

Cet album s’intéresse à l’histoire incroyable de Virginia Hill Hauser, jeune prostituée de Chicago qui rêve de devenir actrice, protégée par la mafia dans les années 30 et 40. Une histoire racontée par la principale intéressée durant son « témoignage » à la commission du sénateur Kefauver en 1951. Évidemment, elle ne dira rien, mais on apprendra toutes sortes de choses sur les activités illicites contrôlées par la mafia et sur le rôle de cette femme de charme, mise au service d’une pègre puissante – maîtresse de plusieurs de ses têtes dirigeantes –, qui parvient à déjouer la vigilance des forces de l’ordre comme Eliot Ness. Un album qui se lit comme un feuilleton, qui nous mène dans tous les repaires mafieux, y compris à Hollywood, jusqu’à l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale. Fascinant album sur une femme « affranchie » qui n’a pas froid aux yeux, mais qui finit par se faire des ennemis.

« Cou’donc, j’suis-tu en train de me faire cruiser ? »

Yves – Fidèle à lui-même
Alexandre Simard et Luc Bossé
Éditions Pow Pow
216 pages

On connaît Luc Bossé, directeur fondateur des éditions Pow Pow. Après avoir publié les albums de Samuel Cantin, Michel Hellman, Zviane, Pascal Girard, Julie Delporte et François Vigneault, voilà qu’il se met lui-même au crayon. Yves – Fidèle à lui-même est le fruit de sa collaboration avec le scénariste Alexandre Simard. Avec ce style minimaliste qui rappelle les dessins de Charles Schulz (Peanuts), Luc Bossé nous transporte dans l’univers d’Yves, jeune homme en couple, qui réalise avec stupeur et satisfaction qu’il plaît aux filles. Tiraillé entre ses projets avec Danielle et les filles qui lui font de l’œil (et du pied), Yves sera aux prises avec le grand mal de notre époque : la tentation. Avec humour, légèreté et peut-être un chouia de machisme, Alexandre Simard jette un regard à la fois tendre et cru sur la dure réalité des relations amoureuses, avec ses grands espoirs et ses grandes déceptions.

Quand tous les bébés naissent blonds

Les Danois
Clarke
Le Lombard
102 pages

La ville de Copenhague est sous tension, en particulier dans les communautés d’immigrés. La raison ? Tous les bébés, y compris ceux de couples nord-africains ou moyen-orientaux, naissent avec les yeux bleus et les cheveux blonds. Les femmes se font renier par leurs maris, qui répudient leurs enfants, même si des tests d’ADN confirment leur paternité. Au point où le gouvernement promulgue une loi sur l’avortement. Bref, c’est la crise. Dans les faits, un rétrovirus engendre ces mutations génétiques, qui sont à l’origine de cette vague de bébés en santé – mais blonds. Qui est responsable de cette crise ? Et comment mettre fin à l’épidémie ? Un jeune biogénéticien, Martin, est au cœur de ce thriller psychologique, très bien scénarisé, avec des rebondissements inattendus, qui soulève un tas de très bonnes questions.

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