Mobilisation russe et chantage nucléaire

Vladimir Poutine a appelé mercredi 300 000 réservistes sous les drapeaux et s’est dit prêt, dans une référence à peine voilée, à utiliser son arsenal nucléaire pour défendre le territoire russe. Devant l’ONU, Volodymyr Zelensky a dénoncé un « crime contre l’Ukraine », exigeant que Moscou subisse un « juste châtiment ».

Zelensky réclame un « juste châtiment » contre Moscou

Le président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky, a exigé mercredi devant l’ONU un « juste châtiment » contre Moscou, dénonçant avec force l’invasion de son pays par les troupes russes et appelant à la mise en place d’un tribunal spécial.

« Un crime a été commis contre l’Ukraine et nous exigeons un juste châtiment » contre la Russie, a déclaré le président Zelensky en s’adressant, par l’entremise d’un message vidéo, à l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU). N’ayant pu se rendre à New York, le dirigeant avait obtenu cette autorisation exceptionnelle des États membres de l’ONU.

Son discours, lors duquel il a prononcé le mot « châtiment » pas moins d’une quinzaine de fois, s’est achevé sous les ovations et applaudissements des représentants présents dans la salle. Dans son allocution, le président Zelensky a également appelé à la création d’un tribunal spécial pour juger la Russie « pour son crime d’agression contre l’État [ukrainien] ».

Auparavant, à la même tribune des Nations unies, le président des États-Unis, Joe Biden, avait accusé la Russie d’avoir « violé de manière éhontée » les principes de l’ONU.

Quelques heures plus tôt, son homologue russe, Vladimir Poutine, avait ordonné une mobilisation partielle de 300 000 réservistes en Russie, une première depuis la Seconde Guerre mondiale. Cette mesure impopulaire a déclenché de rares protestations dans tout le pays, ce qui a entraîné plus de 1300 arrestation1s.

Les sites des compagnies aériennes ont également été pris d’assaut après l’allocution de M. Poutine et une pétition sur l’internet contre la mobilisation a déjà recueilli plus de 230 000 signatures.

L’ordre de Vladimir Poutine fait suite à des revers humiliants pour ses troupes, près de sept mois après avoir envahi l’Ukraine.

Plus tôt mercredi, le dirigeant russe avait prévenu l’Occident qu’il ne bluffait pas en se disant prêt à utiliser tous les moyens à sa disposition pour protéger le territoire russe – référence à son arsenal nucléaire.

« Nous rappelons que le risque accru d’un accident nucléaire demeurera dangereusement élevé tant que la Russie sera présente sur le site de Zaporijjia », ont affirmé mercredi soir le Canada, la France, l’Italie, le Royaume-Uni, l’Ukraine, la Corée du Sud, les États-Unis et la Suisse dans une déclaration commune.

actions « irresponsables »

Le premier ministre Justin Trudeau a condamné l’escalade de violence du président Vladimir Poutine dans son opération d’invasion de l’Ukraine, y compris son appel à la mobilisation partielle et ses menaces d’utiliser l’arme nucléaire.

En conférence de presse, il a qualifié les actions du président russe d’« irresponsables » et a déclaré que Vladimir Poutine avait « perdu le contrôle de la situation ». Il a jugé les menaces sur un possible recours à son arsenal nucléaire « carrément irresponsables ».

Pour sa part, la vice-première ministre du Canada, Chrystia Freeland, a déclaré que l’invasion russe pourrait avoir atteint un moment critique et qu’il était temps de redoubler d’efforts pour soutenir l’Ukraine.

La ministre canadienne des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a indiqué que l’Ukraine voulait toujours plus de soutien sur le plan financier et plus d’artillerie lourde.

« Nous avons déjà fait beaucoup. Mais nous devons faire plus. Et nous ferons plus. »

— Mélanie Joly, ministre des Affaires étrangères du Canada

Par ailleurs, l’Ukraine et la Russie ont procédé mercredi au plus important échange de prisonniers militaires depuis le début de la guerre. Cette annonce est survenue quelques heures après l’annonce de la mobilisation partielle des réservistes en Russie.

« Nous avons réussi à libérer 215 personnes », a déclaré mercredi soir à la télévision le chef de l’administration présidentielle ukrainienne, Andriï Iermak. Parmi elles, on retrouve 188 personnes qui ont défendu l’aciérie Azovstal, à Marioupol, dont 5 commandants militaires.

En échange, la Russie a récupéré 55 prisonniers, dont l’ex-député Viktor Medvedtchouk, proche du président russe Vladimir Poutine, accusé de haute trahison en Ukraine.

— Avec l’Agence France-Presse, La Presse Canadienne et l’Associated Press

Un cran de plus

Dans une adresse à la nation mercredi, le président russe, Vladimir Poutine, a annoncé la mobilisation de 300 000 réservistes pour aller prêter main-forte à son armée en Ukraine. Il a aussi dit qu’il était prêt à utiliser « tous les moyens » pour arriver à ses fins. Que faut-il comprendre de cette escalade ? Explications.

Le président Poutine s’est dit prêt à utiliser « tous les moyens » dans son arsenal face à l’Occident, qu’il a accusé de vouloir « détruire » la Russie. « Ce n’est pas du bluff », a-t-il assuré. Il a aussi annoncé la mobilisation des réservistes de l’armée. Pourquoi le président russe a-t-il adopté un ton plus menaçant ?

« On sentait le changement de ton ces derniers jours », dit Yann Breault, professeur adjoint au Collège militaire royal de Saint-Jean. Des commentateurs et analystes russes ont évoqué publiquement les insuccès sur le terrain ukrainien avec un mantra : Poutine n’en fait pas assez. La réplique du président est venue mercredi.

« C’est un geste périlleux pour Poutine parce qu’il n’y a pas, surtout chez les jeunes, un enthousiasme pour aller se sacrifier sur les champs de bataille ukrainiens », dit M. Breault. Le mécontentement des Russes risque d’être plus audible – plus de 1300 personnes auraient d’ailleurs été arrêtées mercredi lors de manifestations. « Mais ce serait de la pensée magique de penser que Poutine sera éjecté du pouvoir demain matin », dit Yann Breault. Néanmoins, dit-il, « il s’agit d’un aveu que l’opération militaire spéciale est un échec. On parle de moins en moins de démilitarisation et de dénazification de l’Ukraine, [on parle] plutôt de résistance à l’agression de l’Occident ».

Faut-il craindre le recours à l’arme nucléaire ?

La menace est réelle, disent les observateurs. Des référendums seront bientôt tenus dans quatre régions ukrainiennes occupées par les Russes – Louhansk, Donetsk, Kherson et Zaporijjia. Ils doivent entériner l’annexion des territoires conquis par la Russie. « Dans la doctrine nucléaire russe, l’usage de l’arme nucléaire est justifié lorsqu’il y a une menace à l’intégrité territoriale de la Russie », dit Yann Breault. Quelques heures après le discours de Vladimir Poutine, le président des États-Unis, Joe Biden, a dit prendre les menaces de recourir à l’arme nucléaire au sérieux. « Il est impossible de gagner une guerre nucléaire et il ne faut pas la mener », a-t-il déclaré. Yann Breault rappelle que cette guerre ne ressemble à aucune autre menée ces dernières années. « On se bat contre une puissance qui possède 6000 ogives nucléaires, et j’envisage très difficilement comment on peut concevoir une victoire totale contre une puissance qui dispose d’une capacité de destruction à peu près équivalente à celle des États-Unis. »

Qu’en est-il des 300 000 réservistes qui sont appelés sous les drapeaux ?

C’est l’objectif que souhaite atteindre le ministère de la Défense. « Il est possible qu’ils ne réussissent pas à attirer assez de volontaires, que certains veuillent quitter le pays pour ne pas combattre », observe Justin Massie, professeur au département de science politique à l’UQAM. Et ces soldats, même s’ils sont réservistes, devront être formés avant d’être envoyés sur le terrain. « Ça ne se fera pas dans les prochains jours », dit le spécialiste. Les Ukrainiens ont une « fenêtre d’opportunité pour essayer de faire un maximum de gains dans les prochaines semaines avant que n’arrivent les renforts », dit Justin Massie. « Il est beaucoup plus facile de défendre un territoire que de le conquérir. »

La stratégie de l’Ukraine doit-elle être de gagner le plus de terrain possible avant les référendums ?

Idéalement, oui. Mais Yann Breault n’y croit pas trop. « Les régions de Louhansk et de Donetsk sont mieux protégées que celles qui ont été reprises, et celle de Kherson a été considérablement renforcée », dit-il. « Je doute de la capacité des Ukrainiens de se dépêcher et d’opérer une contre-offensive éclair avant les référendums. » De plus, la population dans les régions reprises était peu favorable à l’occupation, ce qui n’est pas le cas ailleurs.

Que faudra-t-il surveiller dans les prochains jours ?

Pour Ekaterina Piskunova, de l’Université de Montréal, il faudra voir si les alliés de l’Ukraine réviseront leurs livraisons d’armes. Jusqu’ici, « les Américains étaient très réticents à fournir des armes de longue portée capables d’atteindre le territoire russe, dont la Crimée », rappelle Mme Piskunova. « Mais si les Ukrainiens attaquent la Russie avec des armes américaines, la Russie peut l’interpréter comme une attaque américaine à son endroit. » Si les territoires ukrainiens « deviennent » russes, la confrontation sera périlleuse. Quel prix sont prêts à payer les Américains ? « C’est une guerre qui devient de plus en plus dangereuse parce qu’aucun des opposants ne peut se permettre de perdre. Pour les États-Unis, cela représenterait une troisième défaite de suite, après la Syrie et l’Afghanistan. Et Poutine, ce n’est pas une personnalité qui peut se permettre de reculer. Il y a très peu de marge de manœuvre pour une négociation. »

6255

Nombre d’ogives nucléaires que possède la Russie, contre 5550 pour les États-Unis

Source : Institut de recherche international pour la paix de Stockholm

1600

Nombre d’ogives nucléaires russes opérationnelles, prêtes à être lancées du sol, d’un sous-marin ou d’un avion

Source : Institut de recherche international pour la paix de Stockholm

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