Notre choix

Le syndrome du nid vide

Le dernier enfant

Philippe Besson

Julliard

208 pages

Trois étoiles et demie

Après nous avoir offert trois romans autobiographiques qui tournaient autour de son histoire d’amour avec « un certain Paul Darrigrand », Philippe Besson revient à la fiction pure en se glissant dans la peau d’une mère de famille dans la cinquantaine.

Son roman se déroule au cours d’une seule journée, un dimanche, alors qu’Anne-Marie et Patrick aident leur petit dernier, Théo, à emménager dans son premier appartement. Cette journée, Anne-Marie la redoutait depuis longtemps, mais elle ne se doutait pas à quel point elle allait lui faire mal.

Presque tous les parents qui se sont retrouvés dans une maison vide connaissent ce sentiment de lourdeur, cette tristesse de savoir que la vie de famille qu’on a tant aimée n’existera plus jamais sous cette forme-là. En une journée, entre les boîtes et le ménage, la mère de Théo se remémore sa vie de femme : la rencontre avec son mari, la naissance de ses trois enfants, la routine, les gestes anodins du quotidien. Faire griller du pain, préparer un café, ces gestes qu’on accomplit sans même y penser n’ont pas le même poids quand on sait qu’on les fait pour la dernière fois. Ils deviennent presque solennels.

Pour une femme qui s’est entièrement consacrée à ses enfants, le vertige est grand et Besson le décrit avec beaucoup de justesse : Anne-Marie s’ennuiera des vêtements de Théo qui traînaient sur le plancher de sa chambre, des heures qu’il passait devant ses jeux vidéo, de ses mauvais coups, même de leurs disputes. Mais ce qui lui manquera le plus, c’est l’intimité partagée, ce quotidien commun qui ne sera plus jamais.

Comme c’est le cas de bien des parents, surtout les mères, la vie d’Anne-Marie était remplie et comblée par celle de son enfant. Elle avait le sentiment d’être utile, de servir à quelque chose. Alors qu’elle va chercher du réconfort auprès de son aîné ou d’une amie, on lui renvoie des clichés, des phrases toutes faites qui n’ont pas beaucoup de sens pour elle : tu auras du temps pour toi, tu vas te retrouver, tu devais être fière d’avoir élevé un enfant autonome… Elle ne veut pas les entendre : elle s’ennuie des joues rebondies de Théo, de son enfance, de leur complicité, de son besoin d’elle.

À ses côtés, il y a Patrick, un mari taiseux, lui aussi aux prises avec son trop-plein d’émotions qu’il évacue à sa manière : en accomplissant de petits travaux autour de la maison. Ils forment un couple comme tant d’autres, un couple qui communique plus ou moins bien, qui s’est installé dans une dynamique qui lui est devenue familière et rassurante, même si elle n’est pas toujours satisfaisante. Ce couple durera-t-il maintenant qu’il se retrouve seul, 30 ans et trois enfants plus tard ? Anne-Marie et Patrick surmonteront-ils ce passage qui fait partie du cycle de la vie ?

Encore une fois, Besson nous livre un texte fin, épuré, qui va à l’essentiel, qui décortique les sentiments et les décrit avec le plus de précision possible. Derrière les mots justes, il y a surtout une immense sensibilité, une profonde empathie pour ses personnages qui font de Philippe Besson un écrivain qu’on adore lire.

Critique

La maison brûle

Indice des feux

Antoine Desjardins

La Peuplade

360 pages

Trois étoiles et demie

Autrefois enseignant au primaire, Antoine Desjardins signe ici à La Peuplade un premier livre dense, composé de sept longues nouvelles.

L’écoanxiété traverse cet ouvrage porté par une écriture qui sait se faire imagée et percutante, alors que chaque personnage doit composer avec un monde en perte de sens, en proie à une frénésie incendiaire. Extinction des baleines noires, coyotes qui envahissent le quartier Ahuntsic, étalement urbain et déforestation, pesticides et oiseaux, maladie de l’orme : ici, crise environnementale et angoisse existentielle sont intimement liées, tels deux côtés d’une même médaille, dans un ouvrage qui pose des constats durs, mais essentiels, sur l’avenir de l’humain et de la planète.

« Ça sert à rien d’essayer de sauver la planète, les océans, la forêt amazonienne ou les koalas. Ce qu’il faut sauver… ce qu’il faut rétablir, soigner, rapiécer, c’est notre relation au monde dans lequel on vit trop souvent en surface, sans y être vraiment. Sauver notre relation à la nature, au vivant, parce que tout le reste en dépend », dit le personnage ultra-lucide de Louis dans la nouvelle Feu doux.

Les nouvelles ne sont pas toutes égales – la volonté de l’auteur d’informer sur des enjeux environnementaux, un objectif louable en soi, rend par moments la lecture plus aride. C’est lorsque la plume de Desjardins sort d’un certain didactisme et emprunte davantage à l’imaginaire et au symbolisme, qu’il évoque la mélancolie et la nostalgie devant un monde en perdition, mais aussi la douceur et l’amour profond que se portent les personnages, qu’elle sait le mieux se déployer, comme dans la nouvelle coup de poing À boire debout, qui ouvre le recueil.

Desjardins y met en scène un adolescent atteint de leucémie. Condamné à mourir, il passe le temps en écoutant à la radio les nouvelles d’un monde sur le déclin. À ses observations grinçantes et enveloppées de sarcasme sur sa plongée inexorable vers la mort font écho la fonte des glaces planétaire et un Québec inondé par une pluie diluvienne interminable qui cause dommages et ravages. Bref, une lecture qui invite à une certaine prise de conscience, mais sans tomber dans un ton moralisateur.

— Iris Gagnon-Paradis, La Presse

Critique

L’art au féminin

Le corps des femmes – Ce que les artistes ont voulu faire de nous

Laure Adler

Albin Michel

176 pages

Trois étoiles

La touche-à-tout Laure Adler nous invite à la suivre dans une exploration de l’histoire de l’art d’un point de vue féminin. Il s’agit d’un beau livre richement illustré. Ce n’est pas un ouvrage théorique, la démonstration de la journaliste et historienne est donc plus visuelle qu’analytique. Le livre est divisé en trois parties : les femmes comme objets de l’œuvre d’art, les femmes qui regardent et les femmes qui se regardent entre elles. De Michel-Ange à Renoir en passant par Picasso, Brancusi et Louise Bourgeois, Adler ratisse large. De la représentation des femmes comme modèles et objets de désir aux femmes maîtresses de leur destinée et du pinceau, on apprend à regarder et à comprendre autrement des œuvres d’art qui font partie du paysage depuis toujours. Et on suit ainsi l’évolution du statut de la femme au fil du temps.

— Nathalie Collard, La Presse

Critique

Pourquoi écrire

Ne regrette pas ce qui se dérobe

Colette Brossoit

Boréal

232 pages

Trois étoiles

Cofondatrice du restaurant L’Express en 1980, Colette Brossoit en a été la propriétaire jusqu’à sa mort en 2014. Bien connue du monde de la restauration montréalaise, la dame à l’élégante beauté cultivait aussi un jardin secret qu’on découvre dans ce livre publié un peu avant Noël. En effet, Colette Brossoit écrivait, beaucoup, et c’est à son amie Nadine Marchand, aujourd’hui directrice du festival Montréal complètement cirque, qu’elle a confié ces milliers de pages après sa mort.

Cette dernière a plongé dans les mots de son amie, puis s’est attelée à la tâche probablement difficile de faire le tri dans ces centaines de courts textes et de les ordonner pour en faire un livre qui se tient, à mi-chemin entre les carnets et le journal intime.

On découvre ainsi comment la jeune fille née à Beauharnois en 1951 a réussi à échapper à son milieu, ses études en théâtre, sa relation insatisfaisante avec sa mère, son besoin d’amour insatiable. Mais le cœur du livre réside ailleurs : Colette Brossoit écrivait poussée par une quête de sens, elle écrivait pour écrire, viscéralement, pour combler un vide, pour trouver l’essence, la sienne, celle de la vie, et cette quête semblait sans fin.

« Faire de mon impuissance à écrire ma force, l’objet même de mon écriture, est-ce folie, déréliction ? Courage ou lâcheté ? », écrit celle qui, sans surprise, s’identifiait à l’autrice italienne Goliarda Sapienza, dont le mythique L’art de la joie, écrit sur une dizaine d’années, a été publié après sa mort.

Il y a certainement une manière dans l’écriture de Colette Brossoit, un ton et un souffle qui appartiennent à la littérature, une intense soif d’absolu, des sentiments et des questions universelles qui dépassent l’anecdotique. Mais ce livre demeure une curiosité qu’on lit à petites doses pour ne pas être submergé par sa fébrilité, une expérience étrange et en dehors du temps, mais dans laquelle on finit par se laisser entraîner. Grâce à la sensibilité et au talent indéniable de Colette Brossoit, mais aussi grâce au travail patient de celle qui a été sa transmetteuse, son amie Nadine, qui livre quant à elle un magnifique témoignage d’amitié posthume.

— Josée Lapointe, La Presse

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