De Hugh Jackman à Jackie Chan

Alors qu’elle croît lentement au Québec, la production cinéma et télé explose ailleurs en Amérique du Nord, alimentée par la demande des diffuseurs en ligne. Certes, le tournage des trois films de la série X-Men a entraîné des millions de dollars en retombées dans la métropole. Mais aujourd’hui, le salut de l’industrie passe peut-être par la Chine.

Des producteurs chinois s’intéressent à Montréal

Après les acteurs Jennifer Lawrence et Hugh Jackman, verra-t-on bientôt les superstars chinoises Jackie Chan et Zhou Xun dans les rues de Montréal ?

Le Bureau du cinéma et de la télévision du Québec (BCTQ) déroule le tapis rouge ces jours-ci pour tenter d’attirer dans la province des producteurs de cinéma chinois.

Une série de rencontres sont organisées d’ici demain pour mettre en contact des producteurs de l’empire du Milieu avec d’éventuels partenaires québécois, en plus de leur faire connaître les lieux de tournage et les crédits d’impôt à la production audiovisuelle offerts par le gouvernement.

L’industrie audiovisuelle chinoise, qui représente déjà 20 % du marché mondial, est celle qui connaît la croissance la plus rapide au monde ; elle dépassera bientôt la production d’Hollywood, indique le BCTQ.

C’est la deuxième fois en un peu plus d’un an que le BCTQ organise une tournée de familiarisation des installations québécoises.

« En mai 2017, une première délégation avait visité de nombreux lieux de tournage à Montréal et dans les Laurentides, dit Chanelle Routhier, commissaire nationale du BCTQ. Cette tournée a débouché sur la conclusion d’une entente entre le producteur Attraction, de Montréal, et le chinois In Lee Media, pour le tournage au Québec au début 2019 d’une série baptisée The Broker. »

La série télé prévoit un budget de 40 millions de dollars canadiens, dont 12 millions seront dépensés dans la province.

1,8 milliard

Au Québec, l’industrie audiovisuelle a généré des investissements directs de 1,8 milliard de dollars en 2016-2017, dont un peu plus de 20 % sont attribuables aux productions étrangères.

Le BCTQ espère accroître le volume de productions étrangères pour atteindre des revenus de 600 millions annuellement d’ici 2022, contre une moyenne de 290 millions pour les cinq dernières années.

« On sent un nouveau dynamisme de la part du BCTQ, dit Mélanie Ratté, directrice générale, création et relations d’affaires chez le producteur montréalais Zone3. Ils sont très agressifs dans le développement de nouveaux marchés. »

Des membres de la direction de Zone3 participeront notamment aujourd’hui à une rencontre informelle avec des producteurs chinois dans un hôtel de Montréal.

« L’opportunité de faire éventuellement affaire avec la Chine serait une occasion de plus pour nous de diversifier nos activités », dit Mme Ratté.

« du développement à long terme »

Le cabinet comptable Raymond Chabot Grant Thornton tiendra demain à Montréal une séance d’information sur le financement de films et de séries télévisées en Chine et au Québec, de même que sur les incitatifs fiscaux offerts.

« Nous avons reçu la visite de trois ou quatre groupes de producteurs chinois depuis un an, dit Andrew Lapierre, fondateur et vice-président des studios MTL Grandé, qui accueille présentement la production de X-Men : Dark Phoenix. Pour l’instant, ça n’a débouché sur aucun contrat. C’est davantage du développement à long terme. »

Andrew Lapierre raconte que lors d’une visite précédente, un producteur chinois lui a demandé combien coûtaient ses studios. « Pas pour les louer, pour les acheter ! dit-il en riant. On voit que l’argent n’est pas un problème. »

Parmi les producteurs qui visiteront les studios de MTL Grandé aujourd’hui, on retrouve Yang Lu, directeur de la production chez Youku, l’un des plus importants services de diffusion en ligne chinois.

Le géant de la distribution Alibaba a acquis Youku en totalité en novembre 2015 dans une transaction de 3,7 milliards US, imitant ainsi l’offensive des grandes sociétés technologiques comme Amazon et Apple dans le secteur audiovisuel. La vente conférait alors une valeur de 4,8 milliards US à Youku.

En Chine, Youku est en concurrence avec les services de diffusion en ligne Tencent Video et iQuiyi dans la conquête d’un auditoire estimé à 609 millions d’utilisateurs.

Les secrets d’un « superproducteur »

On lui doit la grande majorité des 500 millions de dollars investis dans la production de films à grand déploiement à Montréal au cours des cinq dernières années.

Hutch Parker, producteur des films X-Men : Days of Future Past, Apocalypse et Dark Phoenix, tous tournés à Montréal, accorde pour la première fois une entrevue à un média québécois.

Ex-président de la production cinématographique à la 20th Century Fox, il nous livre ses conseils pour que la métropole tire davantage son épingle du jeu dans cette industrie mondiale en pleine transformation.

Bien que Montréal connaisse du succès auprès des producteurs étrangers, la ville traîne la patte derrière Toronto et Vancouver. Que manque-t-il à la métropole pour qu’elle accroisse sa part des investissements en cinéma ?

C’est d’abord une question d’habitude. Par exemple, l’équipe de Fox tourne ici depuis plusieurs années et a toujours aimé ce lieu. À mesure que d’autres entreprises cinématographiques goûtent à Montréal, elles vont y revenir plus souvent, notamment parce que c’est un emplacement polyvalent : on peut facilement y tourner des scènes en ville, à la campagne, ou qui semblent se passer en Europe.

L’autre facteur, c’est l’investissement en infrastructure. L’effort déployé par l’industrie du cinéma dans l’État de Géorgie, par exemple, a été spectaculaire. Atlanta est probablement le lieu de tournage le plus occupé au monde : la valeur des productions y atteint près de 3 milliards US par année ! La superficie des studios disponibles est assez grande pour que les producteurs puissent aisément y planifier un film.

Vous voulez avoir à Montréal assez d’espace pour accueillir plusieurs grandes productions simultanément. Par exemple, lorsqu’une production de la taille de X-Men débarque à Montréal, elle va monopoliser tout l’espace disponible dans les studios de MELS ou de Grandé. Or, c’est préférable d’avoir de la marge de manœuvre.

Du reste, les équipes locales accomplissent un superbe travail. Je ne peux que louanger leur apport.

Atlanta, reine de la production audiovisuelle

Nombre de films ayant atteint le top 100 du box-office nord-américain selon le lieu de production en 2017

Géorgie : 15

Colombie-Britannique : 11

Ontario : 7

Québec : 1

Source : FilmLA

À quel point les crédits d’impôt offerts par les gouvernements sont-ils importants dans vos décisions quant aux lieux de tournage ?

La question des crédits d’impôt est plus centrale que jamais.

Au-delà de la valeur de ce crédit, c’est sa prévisibilité qui est importante. Dès qu’il commence à y avoir de l’incertitude sur le plan politique quant à la pérennité de ces crédits, les majors vont planifier leurs tournages ailleurs. C’est aussi simple que cela. C’est fini.

Nous sommes des bohémiens, au fond. Et nous avons la capacité de nous adapter à de nouveaux lieux très facilement, en particulier depuis que les superproductions s’appuient en grande partie sur des effets visuels. Ça nous donne la flexibilité de tourner aisément n’importe où.

Disney vient de débourser 71 milliards US pour acquérir la 21th Century Fox, dont vous avez dirigé la production cinéma durant 13 ans. Une partie de cette acquisition vise à renforcer le contrôle de Disney sur le service de diffusion en ligne Hulu, dont Fox est copropriétaire avec Disney et Comcast. À quel point la concurrence dans la production de contenu entre Hulu et Netflix pourrait-elle bénéficier à Montréal ?

Je ne peux parler pour Disney, mais il est vrai que sa décision d’acquérir Fox est basée sur son intention d’augmenter sa production de contenu original, notamment pour concurrencer Netflix.

Ça ne peut qu’être bénéfique pour Montréal. Il y a beaucoup plus d’appétit maintenant pour du contenu audiovisuel. Hulu va accroître sa production ; bientôt, on verra Apple faire de même. Amazon s’y affaire déjà. Toutes ces entreprises vont en vouloir plus. Ça ne peut qu’être de bon augure pour les endroits dans le monde qui sont adéquatement équipés et prêts à recevoir de telles productions.

Il existe une perception dans l’industrie cinématographique que la collaboration entre les deux grands studios – MELS et MTL Grandé – n’est pas toujours au rendez-vous. Vous avez travaillé avec les deux entreprises sur la production de X-Men : Dark Phoenix. Quel est votre constat ?

Ça s’est très bien passé. Les deux studios comprennent que nos besoins dépassent parfois leurs capacités et qu’ils doivent collaborer.

Bien sûr, la concurrence peut parfois être féroce, mais ils commencent à reconnaître que d’avoir plus d’options de tournage ne fera qu’augmenter le volume d’affaires à Montréal.

Une question de taille

Superficie des studios disponibles

MELS Montréal 230 000 pi2

MTL Grandé Montréal 270 000 pi2

Mammoth Studios Vancouver 300 000 pi2

Medient Studioplex Géorgie 2 000 000 pi2

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