Immigration

Il risque l’expulsion pour un seul point à l’examen oral de français

La tenue d’un examen de reprise n’a pas été possible en raison de la pandémie

Ces jours-ci, Daniel Escobar Garcia et Annie Maurice ont très peur de leurs boîtes aux lettres, rarement porteuses de bonnes nouvelles.

C’est qu’à la suite d’un très mauvais alignement des astres, Daniel Escobar Garcia, originaire du Mexique, risque l’expulsion pour un seul point échappé lors d’un examen de français.

Son employeuse, Annie Maurice, qui a beaucoup investi en lui, craint quant à elle de perdre l’employé qu’elle a formé, qui répond à un grand besoin dans son entreprise et à qui elle a payé un an et demi de cours de français. « J’ai besoin de lui pour livrer les projets promis aux clients », dit-elle.

Architecte de formation, Daniel Escobar Garcia a été approché il y a trois ans par PIXI Studio, entreprise qui se spécialise dans l’imagerie photoréaliste 3D.

Annie Maurice, directrice générale de l’entreprise, explique que le recrutement dans ce domaine très pointu, c’est la croix et la bannière. La grande majorité des Québécois diplômés dans ce domaine sont en effet plus attirés vers des emplois en jeux vidéo et en effets spéciaux, une spécialité montréalaise fortement subventionnée.

« Le plus souvent, on recrute à l’étranger, dit-elle. J’ai embauché des Français, des Belges, un Colombien, un Brésilien, un Bulgare… »

Daniel Escobar Garcia est pour sa part arrivé du Mexique en juillet 2018 grâce à un permis de travail de deux ans. Au préalable, PIXI Studio a dû démontrer son incapacité à trouver un employé d’ici, ce que l’entreprise a fait.

Très vite, M. Garcia a su qu’il voulait rester au Québec, dit-il. « J’aime beaucoup Montréal, j’ai maintenant une conjointe française. C’est sérieux entre nous », dit-il dans un français qui lui permet d’un bout à l’autre de faire l’entrevue avec La Presse dans cette langue.

En janvier, explique-t-il, il a donc lancé les démarches pour obtenir sa résidence permanente d’Immigration Canada. Pour cela, il lui fallait d’abord passer l’examen de français obligatoire lui permettant d’avoir entre les mains son certificat de sélection du Québec.

« En compréhension de lecture, j’ai bien réussi, mais à l’expression orale, il m’a manqué un point. Je devais obtenir 500 points sur 600. J’ai eu 499. »

— Daniel Escobar Garcia

C’est là-dessus que la COVID-19 est entrée en scène. En raison de la pandémie, M. Garcia n’a pas pu faire une reprise comme c’est normalement permis, la pandémie ayant interrompu les activités des organismes qui font passer ces examens officiels.

Une démarche aux conséquences inattendues

Au même moment, chez PIXI Studio, comme dans tant d’entreprises, les affaires ont exceptionnellement ralenti.

« Comme les employés sont si difficiles à trouver et que le ralentissement est ponctuel, je ne voulais surtout pas faire de mises à pied », explique Annie Maurice.

Elle s’est donc prévalue du programme fédéral de temps partagé. Au lieu de travailler 35 heures hebdomadaires, ses employés ont fait 30 heures, les 5 heures restantes étant payées exceptionnellement par l’assurance-emploi.

« Je ne suis pas une experte en immigration et je ne savais pas que m’inscrire à ce programme allait risquer de me faire perdre Daniel. »

Car en novembre, Emploi et Développement social Canada et le ministère québécois de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration ont conjointement envoyé une lettre à Mme Maurice. Dans ce document, on lui signale que son dernier recours, une nouvelle offre d’emploi pour M. Garcia, lui est refusé. La raison ? Mme Maurice n’a pas démontré qu’elle avait un « besoin raisonnable, légitime et justifié en main-d’œuvre ».

La semaine dernière, Daniel Escobar Garcia a de son côté reçu la lettre l’informant que son statut de résident temporaire était arrivé à échéance et que son statut devait être réactualisé, à défaut de quoi il serait expulsé dans 90 jours.

Tout doit être recommencé à zéro, avec ce que cela suppose de nouveaux paiements aux gouvernements pour reprendre tout le processus et de recherche effrénée pour trouver à temps un seul établissement qui, en temps de pandémie, n’a pas annulé les fameux tests de français.

« Les affaires ont repris, j’ai beaucoup d’engagements avec des clients, et en plus des considérations humanitaires, ce n’est vraiment pas le moment pour moi de perdre quelqu’un qui est formé. »

— Annie Maurice, directrice générale de PIXI Studio

Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada n’a pas donné suite à notre demande de commentaires. Au ministère (québécois) de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, on nous avait promis qu’on nous répondrait la semaine dernière quant à ce que doivent faire ceux qui ont impérativement besoin de passer en temps de pandémie cet examen de français qui est incontournable dans leur processus d’immigration. La réponse à ce propos n’est pas venue.

Dans des termes généraux, le Ministère a dit par courriel qu’un travailleur étranger temporaire « qui a laissé son permis de travail expirer ou dont la demande de renouvellement de permis est refusée peut normalement demander le rétablissement de statut de résident temporaire à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) dans les 90 jours suivant la perte du statut. Si le rétablissement du statut de résident temporaire est refusé, le travailleur étranger doit quitter le Canada immédiatement. La mesure de renvoi du Canada est sous la responsabilité du gouvernement fédéral ».

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