Inquiétudes grandissantes autour des perfluorés

Des normes beaucoup plus strictes sont en préparation en Europe et aux États-Unis pour mieux encadrer ces composés chimiques très utiles, mais subsistant très longtemps dans l’environnement et le corps humain. Des normes tellement strictes… que même la pluie en Antarctique les dépasserait.

À la limite des tests

En Europe et aux États-Unis, de nouvelles normes sur les perfluorés dans l’environnement sont envisagées. Comme elles sont 15 000 fois inférieures aux normes actuelles, Ian Cousins, de l’Université de Stockholm, a voulu voir si les eaux de pluie passeraient le test. « Pour l’une des deux grandes classes de perfluorés, dans la plupart des échantillons prélevés dans le monde, la quantité dans l’eau de pluie dépasse les normes actuellement envisagées », dit M. Cousins, qui est l’auteur principal de l’analyse publiée fin juillet dans la revue Environmental Science & Technology.

« En fait, on va même devoir mettre au point de nouveaux tests, parce que les tests commerciaux actuels ne pourront pas détecter des concentrations de perfluorés aussi basses. Seuls quelques laboratoires de recherche en sont capables. » M. Cousins qualifie le phénomène de « nouvelle frontière planétaire de la pollution ». Cela signifie-t-il que les normes sont trop strictes ? « Non, ce sont des polluants très persistants et inquiétants, mais il faudra tenir compte de tout ça dans l’analyse économique de l’application de ces normes. Il y aura certainement un débat sur la question. »

L’ABC des perfluorés

Les perfluorés sont des molécules découvertes par des chimistes dans les années 1940 et 1950, notamment par la société 3M. Les plus connus ont mené aux composés antitache Scotchgard et antiadhésif Teflon. Trois perfluorés sont interdits par la convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants. Il s’agit d’une entente internationale couvrant 30 substances qui persistent longtemps dans l’environnement et le corps humain.

Système immunitaire

Selon M. Cousins, les nouvelles normes découlent de travaux menés depuis une dizaine d’années aux îles Féroé par un chercheur travaillant à l’Université du Danemark du Sud et à Harvard, Philippe Grandjean. En 2017, dans le Journal of Immunotoxicology, M. Grandjean a calculé que les bébés des îles Féroé les plus exposés aux perfluorés étaient 20 % moins protégés par les vaccins de l’enfance. Il a aussi publié des résultats liant ces perfluorés à un risque accru de COVID-19 grave, mais M. Cousins a des réserves sur cette étude.

Auparavant, les preuves les plus solides de l’effet néfaste des perfluorés étaient liées à une usine du géant de la chimie DuPont (aujourd’hui propriété de Chemours) à Parkersburg, en Virginie-Occidentale. Cette usine est à l’origine du film Dark Waters, sorti en 2019. À Parkersburg, des taux sanguins 10 000 supérieurs à la normale ont entraîné un risque 2 fois plus élevé de cancer du rein (comparable à l’augmentation du risque de cancer du rein liée à l’obésité). Des données non probantes sur des malformations à la naissance ont aussi été liées à l’usine.

Faciliter les tests médicaux

Le débat autour des futures normes sur les perfluorés n’empêche pas de s’occuper des gens dont les taux dépassent les normes actuelles. Un spécialiste de l’Université de Montréal, Jean-Marc Verner, a collaboré à un rapport des Académies des sciences des États-Unis sur la question, ce qui l’a mené à témoigner à huis clos au Congrès américain à la fin de juillet.

« Souvent, les gens qui vivent près des sites contaminés ont de la difficulté à convaincre leur médecin de leur faire passer un test sur la présence de perfluorés dans leur corps. Nous recommandons que ça soit encouragé, malgré l’incertitude entourant les effets des perfluorés sur la santé », conseille Jean-Marc Verner. Le nombre de sites contaminés – des usines, des bases militaires et des aéroports où des perfluorés sont utilisés dans les mousses anti-incendie – frise 3000 aux États-Unis.

Peu de données au Québec

Y a-t-il des zones contaminées au Québec ? « Il n’y a pas eu, à ma connaissance, d’usines de perfluorés au Canada, dit M. Verner. Mais il n’y a pas eu d’analyses sur les aéroports ou les bases militaires. Il semble qu’il y a eu des exercices d’incendie impliquant des perfluorés à l’aéroport de Mirabel. C’est une chose à laquelle je veux m’attaquer. » Et à Dorval ? « Généralement, les pompiers de différents aéroports se rassemblent à un endroit pour les exercices, alors il n’y en a pas dans chaque aéroport. » Aujourd’hui, de tels exercices se font généralement dans des endroits contrôlés où toutes les mousses contenant des perfluorés (utiles pour les incendies difficiles à éteindre) sont récupérées.

Éliminer les perfluorés avec les UV

En parallèle, des chercheurs planchent sur les manières d’accélérer l’élimination des perfluorés. À l’Université Rice, à Houston, Michael Wong a mis au point une molécule qui accélère la dégradation des perfluorés par les ultraviolets. « Nous pensons que notre catalyseur sera plus abordable que toutes les méthodes actuellement disponibles », dit M. Wong, qui publiait ses résultats à la mi-juillet dans le Chemical Engineering Journal.

« S’il y a une pression réelle pour éliminer les perfluorés, les usines de perfluorés devraient être capables d’intégrer notre procédé. Peut-être même qu’on aura un coût compatible avec la décontamination des sites comme les bases militaires. » L’ingénieur chimique texan travaille depuis dix ans sur ce catalyseur. Il a commencé à le tester en laboratoire il y a cinq ans. Le catalyseur en question est le nitrure de bore, utilisé couramment dans l’industrie cosmétique.

2,3 à 8,5 années

Nombre d’années nécessaires pour que les trois perfluorés interdits par la Convention de Stockholm soient dégradés à 50 % dans le sol (demi-vie).

Sources : EPA, NDRC

2000 à 4000 tonnes

Utilisation de perfluorés dans le monde chaque année

Sources : EPA, NDRC

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