Au moins 4000 travailleurs de la santé infectés

Une personne déclarée positive à la COVID-19 sur cinq au Québec travaille dans le réseau de la santé. Selon les données obtenues par La Presse, au moins 4000 travailleurs ont ainsi été touchés. Pendant ce temps, les renforts sont toujours insuffisants dans les CHSLD.

« Ça ne m’étonne pas, c’était inévitable »

L’augmentation des infections chez les travailleurs de la santé suit la courbe épidémique, selon une experte

QUÉBEC — Au moins 4000 travailleurs de la santé ont été déclarés positifs à la COVID-19 au Québec, ce qui représente 20 % des cas connus dans toute la province. Le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal dénombre à lui seul 1020 employés infectés. Une statistique qui donne le vertige, mais qui est loin de surprendre les experts.

Pour une rare fois depuis le début de la pandémie, le portrait des infections chez le personnel de la santé commence à se définir. Le nombre de cas confirmés chez les travailleurs de la santé explose dans certains CIUSSS de la métropole, si bien qu’à l’échelle de la province, environ un cas sur cinq touche un employé de la santé.

Le premier décès d’une préposée aux bénéficiaires d’un CHSLD de Montréal a secoué tout le Québec le week-end dernier. « Probablement qu’elle a attrapé la COVID pendant son emploi, donc en essayant de sauver des gens. Donc, je veux saluer la mémoire de Victoria Salvan », a souligné lundi le premier ministre François Legault.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux a confirmé dimanche à La Presse que 2490 employés du réseau de la santé ont été infectés jusqu’à présent par le coronavirus. Mais une vérification faite auprès des cinq CIUSSS de Montréal, où la bataille est particulièrement chaude, a permis de constater d’importants écarts entre les données disponibles au Ministère et celles des établissements.

Ainsi, ce n’est pas seulement 2490 cas qu’il faut compter au Québec, mais presque 1000 de plus, uniquement à Montréal. De plus, La Presse a noté plusieurs disparités entre les données du Ministère et celles confirmées par les établissements dans des médias régionaux, dont en Estrie, dans les Laurentides et à Laval.

Au calcul, il faut enfin ajouter 479 travailleurs contaminés dans le réseau des établissements privés conventionnés, pour un total d’au moins 4050 cas à travers la province. Les chiffres n’incluent pas les données des 40 CHSLD privés non conventionnés, comme le CHSLD Herron.

Les statistiques ne sont pas détaillées par secteur d’emploi ni par lieu de travail. Selon l’estimation du Ministère, dans environ 60 % des cas, l’employé aurait contracté le nouveau coronavirus au travail. Pour les 479 travailleurs en CHSLD privés conventionnés, on parle plutôt de 24 % des cas.

François Legault a indiqué lundi qu’environ 6000 travailleurs de la santé sont absents du réseau parce qu’« ils sont infectés ou ont peur d’être infectés ». Environ 4000 employés dans les hôpitaux et 2000 « dans les résidences », a-t-il précisé.

PROGRESSION RAPIDE

Le CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal, par exemple, a confirmé lundi en soirée que « 495 employés ont été infectés par la COVID-19 » jusqu’à présent. Samedi, la donnée était de 441. Et le 6 avril dernier, il y avait seulement 110 cas confirmés parmi le personnel de ce CIUSSS.

« L’augmentation des infections chez les travailleurs de la santé suit la courbe épidémique », constate la professeure adjointe à la faculté des sciences infirmières de l’Université de Montréal, Laurence Bernard. « Ça ne m’étonne pas, c’était inévitable », ajoute la spécialiste de la prévention et du contrôle des infections cliniques et pandémiques.

Au Québec, le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, qui compte sur son territoire 17 CHSLD et 150 établissements, trône au sommet du triste palmarès du nombre de cas déclarés avec 1020 travailleurs, dont 800 sont des préposés aux bénéficiaires, des infirmières et des infirmières auxiliaires.

Une donnée qui laisse sans mots le président de la FSSS-CSN, Jeff Begley. 

« Je savais que ça frappait dans le Centre-Sud, mais 1000… C’est quelque chose. Ça explique l’armée, ça explique l’anxiété de nos membres sur le terrain. »

— Jeff Begley, président de la FSSS-CSN

M. Begley dit par ailleurs avoir tenté en vain d’obtenir ces chiffres auprès du Ministère.

Il est moins surpris, par contre, du nombre total de travailleurs infectés à travers la province. « On est rendu à environ 20 000 cas au Québec, alors c’est clair que les personnes sur les lignes de front, ce sont les travailleurs de la santé. Ça ne m’apparaît pas surprenant qu’ils soient les plus représentés. Ils ont toute mon admiration », a-t-il dit.

Le nombre de cas au CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal semble particulièrement bas par rapport aux autres établissements montréalais. Notons que le CIUSSS n’a pas été en mesure de fournir ses données directement à La Presse, expliquant que « ce serait trop approximatif » dans un contexte épidémiologique.

PROCÉDURES TARDIVES

Roxane Borgès Da Silva, professeure agrégée à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, estime que le fait de ne pas avoir mis en place des procédures de protection pour les employés des CHSLD dès le début de la pandémie n’est pas étranger au fort nombre de cas déclarés chez les travailleurs de la santé.

C’est seulement le 4 avril que Québec a ordonné le port, en tout temps, d’équipements de protection pour tous les travailleurs de la santé. « On n’était pas encore au courant que quatre personnes sur cinq pouvaient être asymptomatiques », souligne-t-elle. 

C’est aussi l’opinion du président de la FSSS-CSN. « Je pense que ç’a pris du temps, particulièrement dans les CHSLD, d’avoir le matériel de protection nécessaire, et il en manque toujours, en passant. C’est clair que c’est un des facteurs. L’autre chose, c’est le temps qu’il a fallu avant d’arrêter le déplacement du personnel entre établissements », explique M. Begley.

Mme Bernard croit que la disponibilité de l’équipement peut avoir joué, mais aussi « la capacité du personnel » à en faire un usage adéquat. « Il faut offrir davantage de formation continue aux professionnels parce que le bât blesse à ce niveau-là. Il y a une sensibilisation qui doit être faite lors de la formation académique », dit-elle.

Mme Borgès Da Silva espère que les mesures démontreront leur efficacité et que le nombre de cas chez le personnel soignant sera à la baisse d’ici les prochaines semaines. « Non seulement ils vont être mieux formés pour mettre leurs équipements, mais tout le monde en aura également. Ça va vraiment aider », ajoute l’analyste.

NOMBRE DE CAS DÉCLARÉS POSITIFS PAR CIUSSS À MONTRÉAL

CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal  495 (sur un total de 12 500 employés)

CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal  124*

CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal  1020 (sur un total de 19 000 employés)

CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal  454 (sur un total de 15 000 employés)

CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal  277 (sur un total de 11 000 employés)

Source : données les plus récentes fournies par les établissements

* Selon les données disponibles du Ministère, fournies le 19 avril 2020

Les bureaux du 811 de Montréal et de Laval touchés

Le coronavirus n’épargne pas les services les plus sollicités par la pandémie : les bureaux du 811 à Montréal et à Laval ont été victimes de contamination dans les dernières semaines, a pu confirmer La Presse. En tout, au moins 18 travailleurs de ces services ont été déclarés positifs à la COVID-19. Il n’y a pas eu d’interruption de service. « Il y a 12 employés de la centrale téléphonique 811 Info-Santé/Info-Social [de Montréal] qui sont infectés par le virus », a indiqué Carl Thériault, porte-parole de l’organisation qui chapeaute le service d’aide téléphonique pour la métropole. « De plus, il y a sept autres employés qui sont en attente d’un test de dépistage ou des résultats d’un test. » Du côté de Laval, six employés du 811 ont été déclarés positifs à la maladie. À cet endroit, ce sont les travailleurs d’Info-Social – où sont dirigés les citoyens qui ont besoin de parler à un travailleur social – qui ont été contaminés. Tous vont bien. « Nous ne sommes pas en présence d’une “éclosion”. Il s’agit bien d’une transmission communautaire. En effet, une personne asymptomatique a probablement fait entrer le virus », a indiqué la porte-parole Judith Goudreau. « Le service à la population a toujours été maintenu, puisque nous avons du personnel d’autres services qui sont venus prêter main-forte », a-t-elle ajouté.

— Philippe Teisceira-Lessard, La Presse

COVID-19

Des besoins criants, des renforts toujours insuffisants

Québec a annoncé lundi qu’il manquait toujours 2000 personnes dans les CHSLD pour travailler « à temps plein », malgré les nombreux appels de renfort lancés au cours des derniers jours. En plus de dépêcher du personnel des hôpitaux dans les CHSLD, il sollicite maintenant l’aide de ses fonctionnaires et des travailleurs du réseau de l’éducation pour travailler dans le réseau de la santé. Alors que le nombre de morts liés à la COVID-19 continue d’augmenter, le gouvernement Legault reverra aussi cette semaine sa stratégie sur le port du masque.

« On a besoin de personnes à temps plein »

Le premier ministre François Legault a annoncé lundi que les renforts des derniers jours dans les CHSLD ne suffisent pas à répondre aux besoins criants du milieu. Lundi, Québec cherchait toujours à pourvoir 2000 postes à temps plein pour remplacer d’urgence les employés absents du réseau, parce qu’ils sont malades, qu’ils craignent de contracter la COVID-19 ou qu’ils s’isolent de façon préventive. 

Le gouvernement demande donc à nouveau aux médecins de venir en renfort et, comme La Presse l’a révélé, limite pour deux semaines encore toutes les activités dans les hôpitaux, « le temps de reprendre le contrôle » dans les CHSLD. En milieu hospitalier, les soins urgents – notamment pour les patients en oncologie ou pour les maladies cardiaques – seront toutefois maintenus. 

Les appels à l’aide des derniers jours ont permis d’accueillir une centaine de médecins à temps plein jusqu’à maintenant. La Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) avait affirmé que plus de 2000 médecins spécialistes avaient levé la main la semaine dernière pour prêter main-forte dans les CHSLD, mais Québec a affirmé qu’une majorité de ses membres n’étaient jusqu’à maintenant disponibles qu’à temps partiel. Sur les réseaux sociaux, la FMSQ a répliqué que « 678 médecins spécialistes sont disponibles à temps plein », mais que « 100 seulement ont été appelés jusqu’à maintenant, certains deux fois ! » Par ailleurs, « 974 médecins sont disponibles la semaine et 812, le week-end », ajoute-t-on.

Montréal peut compter sur les autres régions

Les professionnels de la santé de Montréal, où la pandémie frappe durement, peuvent compter sur des renforts médicaux des autres régions moins touchées du Québec. Le gouvernement Legault a demandé lundi aux médecins, aux infirmières et aux préposés aux bénéficiaires des villes où la crise est moins aiguë de venir dans la région métropolitaine pour les deux prochaines semaines. 

« Il faut plus que jamais avoir une collaboration », a plaidé François Legault. Québec s’occupera de loger ces professionnels dans des hôtels près des CHSLD où ils seront déployés. Par ailleurs, le gouvernement a annoncé lundi qu’il avait bien moins de 50 000 personnes inscrites au site Je contribue, contrairement au chiffre qu’il avait lui-même fait circuler ces dernières semaines. 

« On s’est rendu compte que, dans les 50 000 personnes qui ont donné leur nom, il y en a qui ont donné leur nom deux fois, trois fois, dix fois dans les différentes régions du Québec. Dans le fond, il n’y a pas 50 000 personnes qui sont inscrites, il y en a 19 000 », a expliqué le premier ministre.

Québec dépêche des fonctionnaires « de manière urgente »

Le gouvernement Legault dépêche également « de manière urgente » une part de ses 70 000 employés de la fonction publique vers les établissements de santé de la grande région de Montréal principalement. Québec utilise pour ce faire des pouvoirs qu’il s’est donnés en vertu d’un arrêté ministériel adopté plus tôt dans la pandémie. Des organismes ont déjà lancé le recrutement de volontaires dans la fonction publique à la demande du gouvernement. 

« Le Secrétariat du Conseil du trésor nous interpelle de manière urgente afin de permettre le redéploiement de certaines ressources en vue de prêter main-forte au réseau de la santé et des services sociaux aux prises avec des besoins importants », écrit par exemple la direction des ressources humaines de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), dans un message que La Presse a obtenu. 

Une source souligne que les CISSS et CIUSSS de Montréal, de Laval, de la Montérégie, des Laurentides et de Québec ont besoin d’aide. La RAMQ note que « ce redéploiement est jugé prioritaire par le gouvernement ». Elle encourage ses employés « à prendre part à ce grand élan collectif de solidarité ».

Le personnel de l’éducation sollicité

Alors que les écoles ne rouvriront pas avant la mi-mai, Québec sollicite également l’aide du personnel du réseau scolaire. Le sous-ministre Éric Blackburn a envoyé un message aux employés lundi après-midi. 

« Nous faisons aujourd’hui appel à votre cœur. Les établissements qui accueillent les personnes âgées souffrent d’un manque criant de personnel, qu’il est difficile de combler », écrit-il. Il fait un appel aux volontaires tout en rappelant que le gouvernement a le pouvoir de conscrire le personnel. « Bien qu’un arrêté ministériel permette maintenant le transfert du personnel du réseau de l’éducation vers le réseau de la santé […], nous invitons d’abord toutes les personnes volontaires à nous signifier leur disponibilité », affirme-t-il. 

« Bien qu’il n’y ait aucune obligation de votre part, nous croyons que plusieurs d’entre vous auront la générosité de contribuer à cet effort collectif. » Il souligne que les volontaires pourront toucher les primes salariales de 4 % et 8 % annoncées par le gouvernement pour le personnel de la santé.

Changement de cap sur le masque

Après avoir émis d’importantes réserves quant au port du masque généralisé pour lutter contre la COVID-19, le Dr Horacio Arruda a annoncé lundi que le gouvernement se préparait à adopter une « nouvelle position » dès cette semaine, axée sur les masques artisanaux. 

« Au cours de la semaine, on va avoir une position nouvelle par rapport à ça pour que les gens puissent se fabriquer des masques avec certaines conditions qui vont être adéquates », a expliqué le Dr Arruda. Le gouvernement envisage même de produire des vidéos « pour expliquer aux gens comment le mettre, comment l’enlever, etc. », a-t-il précisé. 

Québec s’intéresse surtout aux masques artisanaux, car les masques commerciaux se font rares et le réseau de la santé en manque.

Québec rencontre les syndicats pour le salaire des préposés

Le gouvernement Legault et les syndicats vont se rencontrer ce mardi pour discuter d’une hausse salariale au bénéfice des préposés aux bénéficiaires, à l’invitation du premier ministre du Québec. François Legault avait reconnu vendredi qu’ils étaient sous-payés, ce qui aggravait le manque de personnel dans les CHSLD, où les morts se multiplient. 

Pour trouver un terrain d’entente, M. Legault a convoqué la CSN et la FTQ à une rencontre d’urgence avec le président du Conseil du trésor, Christian Dubé. « Nous serons présents. Depuis le temps que nous voulons discuter de ce sujet avec le gouvernement », a répondu un porte-parole de la FTQ, Jean Laverdière.

Près du cap des 1000 morts

Le nombre de morts liés à la COVID-19 continue de grimper au Québec. Le gouvernement Legault a confirmé lundi 62 nouveaux morts liés au coronavirus, portant le total à 939 décès depuis le début de la pandémie. 

Le nombre de cas confirmés de personnes infectées a grimpé quant à lui de 962. Lundi, 19 319 Québécois avaient donc reçu la confirmation qu’ils avaient contracté la COVID-19. De ce nombre, 4000 se trouvent dans des CHSLD et des résidences pour aînés. En outre, 1169 patients sont soignés dans les hôpitaux, en augmentation de 67 depuis 24 heures ; 198 d’entre eux sont aux soins intensifs. 

Le Dr Horacio Arruda a pour sa part affirmé lundi que 86 % des Québécois qui passent aux soins intensifs en ressortent vivants. C’est donc dire qu’environ 14 % de ceux qui y sont admis meurent de la maladie. Dans tous les cas, a-t-il dit, les mesures prises pour limiter la propagation du virus donnent des résultats. Certains experts en santé publique estiment que le virus aurait pu faire entre 40 000 et 60 000 morts s’il s’était davantage propagé dans la population.

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