REM de l’Est

Terminus : l’Est de Montréal

Le Réseau express métropolitain (REM) n’est pas encore sorti de gare que la Caisse de dépôt et placement met déjà sur les rails son petit frère, le « REM de l’Est », qui promet de relier Pointe-aux-Trembles et Montréal-Nord au centre-ville en 30 minutes ou moins. Un réseau qui permettra de redévelopper l’est de Montréal sur les terrains souillés par l’industrie pétrochimique, espèrent le gouvernement et l’hôtel de ville.

Prolongement du REM vers l’est

« Une grande journée pour l’Est de Montréal »

Le projet de prolongement du REM contribuera à la réduction de la durée des trajets de milliers de Montréalais, mais aussi à la relance de l’est de l’île, affirment ses instigateurs.

Des trains toutes les deux minutes

En période de pointe, une rame partirait toutes les deux minutes d’une nouvelle gare située au centre-ville de Montréal, juste à côté de la gare Centrale, a expliqué mardi CDPQ Infra, la filiale de la Caisse de dépôt chargée du projet. Les passagers se dirigeront vers l’est sur l’axe du boulevard René-Lévesque, puis de la rue Notre-Dame. Près de l’intersection de la rue Hochelaga et de la rue Dickson, le tracé se divise : un train sur deux continuera vers le nord jusqu’au cégep Marie-Victorin, alors que l’autre continuera vers l’est jusqu’à Pointe-aux-Trembles.

Des durées de trajet réduites

CDPQ Infra prévoit que son nouveau réseau réduira de façon significative la durée du trajet pour des dizaines de milliers de Montréalais. Elle prévoit ainsi qu’un déplacement :

• de Pointe-aux-Trembles au centre-ville prendra 25 minutes ;

• du cégep Marie-Victorin au centre-ville prendra 30 minutes ;

• du parc Maisonneuve au centre-ville prendra 10 minutes.

Le prix des billets n’est pas encore établi. À terme, une quinzaine d’années après son lancement, CDPQ Infra espère déplacer 133 000 Montréalais sur son REM de l’Est en convainquant des travailleurs de laisser leur voiture à la maison.

Un métro léger

En tout, le réseau proposé compte 23 stations et 32 kilomètres de rail. Le REM de l’Est desservira le quartier Centre-Sud, Hochelaga-Maisonneuve, Montréal-Nord et Pointe-aux-Trembles, mais aussi Saint-Léonard, Rosemont, Montréal-Est et Tétreaultville. CDPQ Infra dit avoir analysé tous les modes de transport possibles pour en arriver à la conclusion que celui qui avait été choisi pour la première phase du REM – le métro léger sur rail – était aussi le plus adéquat pour le REM de l’Est. Les rames seront toutefois formées de deux voitures, contre quatre sur la première phase du REM. Un tramway, par exemple, aurait voyagé au moins deux fois moins vite, a expliqué le grand patron de CDPQ Infra, Jean-Marc Arbaud.

Accoucher de la « Silicon Valley » dans l’Est

Tout sourire, le premier ministre François Legault a participé mardi à l’annonce de CDPQ Infra avec de grands projets en tête. Avec la décontamination des terrains, le nouveau réseau de transport en commun pourrait constituer le tremplin d’une relance de l’est de l’île de Montréal, a-t-il dit, avec projets commerciaux et résidentiels à la clé. « C’est une grande journée pour l’est de Montréal. On parle du plus gros investissement en transport collectif dans l’histoire du Québec. Moi, j’y crois depuis longtemps », a dit le premier ministre en conférence de presse. « Ce qu’on va viser, c’est une Silicon Valley du Nord, avec quatre saisons, dans l’est de Montréal. Pour que ce projet-là soit viable, ça prend un projet de transport en commun digne du XXIe siècle. »

Un réseau aérien…

Le tracé du REM de l’Est sera en grande partie aérien, surtout sur son tronc commun et sa branche vers Pointe-aux-Trembles. Les trains survoleront d’ailleurs le boulevard René-Lévesque et la rue Notre-Dame au centre-ville, puis la rue Sherbrooke Est jusqu’à Pointe-aux-Trembles. CDPQ Infra promet de travailler à intégrer ses structures dans le paysage urbain. La mairesse de Montréal, Valérie Plante, s’est réjouie de l’annonce, mardi, affirmant qu’elle a obtenu des garanties quant à la préservation du paysage urbain. Les équipes de la Caisse « nous ont prouvé que la formule aérienne était la formule à privilégier et moi, je le respecte », a-t-elle dit. « Cela dit, il faut s’entendre sur quelque chose : pas question de construire une autoroute métropolitaine en plein centre-ville. On doit en faire un ouvrage d’art, il faut que ça ait une signature, il faut que ça se démarque. C’est comme ça que, dans d’autres grandes villes, ils ont réussi le pari. »

… et souterrain

Ailleurs, essentiellement sur sept kilomètres le long du boulevard Lacordaire, à la limite entre Rosemont et Hochelaga-Maisonneuve, le REM de l’Est serait souterrain, un choix motivé par la densité dans ce secteur. Cette solution « évite les expropriations nécessaires pour élargir la voie publique », indique CPDQ Infra. Au total, la construction du projet nécessitera une soixantaine d’expropriations, dont celles de 15 terrains actuellement vacants. Ce long tunnel explique en partie pourquoi le projet est évalué à 10 milliards pour 32 kilomètres de rail, alors que la première phase du REM doit coûter 7,5 milliards pour un tracé deux fois plus long.

Embarquement 2029

CDPQ Infra travaille sur ce projet depuis mai 2019 et espère que ses trains pourront circuler en 2029, après la première pelletée de terre six ans plus tôt. Le montage financier du projet est toutefois loin d’être achevé : la contribution d’Ottawa n’est pas encore obtenue, et la Caisse de dépôt ne peut pas dire à quel moment ce projet rapportera des dividendes à la Caisse. « On voit que ce sera rentable financièrement », a dit Charles Emond, PDG de la Caisse de dépôt. L’organisation cherche à investir dans des projets de ce type partout dans le monde, a dit M. Emond. « Ça s’inscrit parfaitement dans notre stratégie, a-t-il dit. Nous croyons que ça nous permet d’à la fois créer des rendements sur les épargnes des Québécois et favoriser le développement économique de la région. »

Prolongement du REM vers l’est

Encore beaucoup d’inquiétudes et d’inconnues

Si la plupart saluent l’intention de faire progresser le transport collectif, des élus et des usagers conservent de vives préoccupations au lendemain de l’annonce du prolongement du Réseau express métropolitain (REM) vers l’est de Montréal. En voici un aperçu en cinq points.

Environnement et logement

Au Conseil régional de l’environnement de Montréal, le responsable des transports Blaise Rémillard reste partagé. « Notre crainte, c’est que ça devienne une grosse frontière qui marque le paysage urbain. On n’a pas non plus idée du bruit que fera le REM dans la réalité, ce qui est une grosse inconnue », affirme-t-il, en demandant des garanties pour la préservation des arbres et des terrains boisés le long du tracé. Dans le milieu du logement, plusieurs organismes s’inquiètent aussi des impacts de l’embourgeoisement à prévoir. « La spéculation est déjà commencée autour du futur parcours. Quand un trafic pareil est anticipé, les conséquences se font sentir avant même le début des travaux », rappelle Véronique Laflamme, du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU). Son groupe appelle l’administration Plante à être proactive. « Il faut prendre des mesures fortes pour protéger les locataires. La Ville doit rapidement réserver des terrains autour du tracé pour du logement social », martèle Mme Laflamme, qui dit craindre « l’incidence d’une gentrification accélérée dans un secteur où les loyers sont plus bas qu’au centre-ville ».

Des usagers inquiets

« Je suis très déçu », a réagi mardi Karim Nesta, fondateur de l’Association pour la mobilité active de Ville-Marie. « Il y a déjà une scission claire dans les Faubourgs par René-Lévesque qui est large entre le Sud et le Nord. Là, on vient encore plus marquer cette distinction », s’inquiète-t-il. L’usager déplore entre autres que l’idée de dégager les vues vers le fleuve, exprimée lors des consultations du programme particulier d’urbanisme (PPU) des Faubourgs, soit complètement évacuée. Plusieurs se questionnent sur l’impact réel qu’aura ce projet, même plus à l’ouest. « On vient de nous annoncer neuf mois de retard de plus ici, et là, on annonce un nouveau projet qui va commencer avant même que le nôtre soit fini. C’est un peu insultant », illustre le porte-parole du comité des usagers du train Deux-Montagnes, Francis Millaire. Il estime que des pénalités devraient être imposées à la Caisse de dépôt pour l’inciter à éviter les retards. « Chaque délai supplémentaire veut dire plus d’usagers déjà acquis à la cause du transport collectif qui s’en vont vers la voiture », dit M. Millaire.

L’opposition se questionne

Chez Québec solidaire, la porte-parole en matière de transports, Ruba Ghazal, s’inquiète du modèle basé « sur le profit » préconisé par les autorités. « Le gouvernement veut que ce soit rentable, mais ça devrait viser la mobilité des personnes d’abord. Et d’ailleurs, on fait complètement fi de l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) », fustige l’élue. Les libéraux, eux, soutiennent que de nombreuses questions subsistent. « Pourquoi le REM dans l’Ouest coûte 7,5 milliards pour 67 km alors que dans l’Est, il en coûtera 10 milliards pour 30 km ? », s’interroge le député Pierre Arcand. Mme Ghazal se dit aussi préoccupée par le manque d’écoute du gouvernement face au BAPE. « Ça s’est vu par le passé ; on a réfuté ses conclusions. Peut-être que la même chose va se produire », ajoute-t-elle.

Une « vraie consultation »

Trajectoire Québec demande à la Caisse de tenir une vraie consultation « ouverte et transparente » pour cerner les besoins. « Dans l’Ouest, ça avait plus été un processus d’informations. Là, on s’attend à un vrai et tangible processus de consultation », martèle M. Pepin. Vivre en ville, de son côté, estime que toutes les options sur la table devront être envisagées. « Il est impératif d’évaluer sérieusement les impacts et d’oser remettre en question le choix du passage en surface. La beauté des stations ne suffira pas à résoudre l’ensemble des problèmes créés par la structure », soulève le directeur général Christian Savard. De son côté, l’Institut de développement urbain (IDU) a appelé à la prudence quant aux sources de financement du « REM 2.0 ». « Pour éviter l’étalement urbain, il faut contenir les valeurs immobilières et non les pousser à la hausse », avance son président, Jean-Marc Fournier.

Des défis pour le tracé

Pour Pierre Barrieau, expert en planification des transports à l’Université de Montréal, le tracé de l’Est sera « plus facile à réaliser ». « Sur René-Lévesque et Notre-Dame, on est déjà à 100 % dans l’emprise publique. C’est à l’est qu’on verra plus d’expropriations. Mais le fait que les stations soient situées près de grandes friches ou de centres commerciaux simplifiera les choses, remarque-t-il. [...] C’est sur René-Lévesque qu’il y aura plus d’entraves. Ce qu’ils ont fait sur Sainte-Catherine, c’est de la petite bière par rapport à ça. » Sinon, l’avantage d’avoir choisi le boulevard Lacordaire est que celui-ci est très large, soulève M. Barrieau. « Condamner la moitié de la voie causera des désagréments localisés, mais moins ardus », illustre le spécialiste, pour qui le prolongement du REM renforcera le rôle de la ligne bleue et augmentera la fréquentation sur la ligne verte, en plus de donner « un sursis » à la ligne orange.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.