Élections provinciales Duel politique

Un débat dangereux pour notre langue

Les débats sur le fameux « Bonjour-Hi » sont-ils anecdotiques ou significatifs ?

Le débat « Bonjour-Hi » mérite mieux qu’un coup de gueule ou une fausse indignation calculée d’avance. Des nuances s’imposent sur ce sujet délicat, puisque nous parlons de l’avenir du français comme langue d’usage dans la sphère publique, ce qui est significatif.

Or, son importance n’est pas celle que pensent ceux qui l’ont initié, car sa fabrication anecdotique dans la partisanerie de l’Assemblée nationale, sans aucune donnée probante, mine la promotion du français.

Tout comme de nombreux Québécois, je crois que nous devons être résilients pour que notre îlot francophone d’Amérique du Nord, animé d’idéaux de justice, soit le porte-étendard inclusif d’un vivre-ensemble en français au Canada et, plus largement, dans un monde où les différences culturelles sont mises à mal.

Mon enfance a été bercée par la voix rassurante de Félix Leclerc. J’aurai toujours en mémoire les frissons que m’a donnés le documentaire de Jean-Claude Labrecque sur la nuit de la poésie de 1970. Pour moi, rien ne symbolise mieux le caractère inclusif de la société québécoise que le poème Tango de Montréal que j’ai lu des centaines de fois sur la place Gérald-Godin à la sortie du métro Mont-Royal.

Je souhaite voir ma langue être aimée par tous ceux qui vivent dans notre société. Alors je tends l’oreille avec inquiétude lorsque nos élus – qui doivent faciliter le vivre-ensemble – affirment qu’il y a un enjeu avec l’avenir du français au Québec.

Un piège

Néanmoins, je suis déçu que cet enjeu se résume au débat « Bonjour-Hi ». Cette question n’a été soulevée que pour tendre « le plus vieux piège [politique] du manuel » – comme s’en vantait le chef du Parti québécois en décembre dernier –, sans pour autant aboutir à une proposition constructive de promotion du français.

Il est normal, voire souhaitable, qu’un parti politique encourage l’utilisation du français comme langue des affaires et du commerce au Québec. Par contre, cela vient avec la responsabilité de régler des problèmes réels grâce à des solutions cohérentes pour éviter des divisions inutiles et nocives dans notre vivre-ensemble.

En ce sens, la plateforme du Parti québécois contient plusieurs propositions qui visent à renforcer la présence du français. Que l’on soit d’accord ou non avec ces propositions, elles ont le mérite de pouvoir être débattues sur la base d’éléments factuels et statistiques. Pourtant, le débat du « Bonjour-Hi » éclipse ces propositions sans que l’on ait la moindre donnée sur l’impact réel de cette formule de politesse sur l’avenir du français comme langue commune.

Changement d’époque

Il fut une époque où la place du français faisait l’objet d’un débat documenté, ce qui a permis la construction d’un consensus parmi la grande majorité des Québécois, dont un nombre important d’anglophones et d’allophones, qui fait du français la lingua franca du Québec.

Aujourd’hui, plusieurs générations ne vivent pas les deux solitudes vécues par leurs parents grâce à ce consensus. Pour eux, tenter de ramener un tel débat, sans faits à l’appui, décrédibilise l’importance de la promotion du français, car il oppose la défense du français au bilinguisme.

Il y a donc un danger qu’une proportion de plus en plus grande de la société québécoise perçoive cette promotion du français comme un élément du folklore québécois plutôt qu’une responsabilité collective. 

Délaissons l’inutile débat du « Bonjour-Hi » et parlons plutôt des avantages documentés de maîtriser la langue de Molière dans la sphère publique. Rassemblons les Québécois en parlant des bénéfices du bilinguisme, voire du trilinguisme, pour l’affirmation de notre culture francophone dans une société diversifiée.

Les Communes est un organisme voué à la promotion du dialogue entre les peuples et nations qui forment le Canada pour une reconnaissance mutuelle de nos aspirations collectives, de notre diversité et de nos libertés fondamentales, afin d’établir les solidarités nécessaires à un renouveau politique au pays.

Dialogue avec une autruche 

Beach club, été 2018. 

– Bien le bonjour, Monsieur l’autruche !

– … Pfiou, pfiou, pfiou. Bonjour-Hi ! Que me vaut l’honneur ? Pfiou, pfiou… 

– Eh bien, comme vous aspirez à gouverner le Québec, je souhaitais me porter volontaire, en bon citoyen, pour vous extirper de cette fâcheuse position. L’épidémie d’autruchite fait des ravages chez nos élites par les temps qui courent…

– Insinuez-vous que j’aurais la tête dans le sable, Monsieur ?

– Oui, hélas, et encore plus profondément lorsqu’il s’agit de parler de l’état du français… Sauf votre respect, Maître autruche, il me semble que vous seriez plus à l’aise de diriger la nation en ayant la tête haute, si toutefois vous êtes élu. Votre vision de l’avenir du Québec porterait plus loin, car vos yeux seraient alors dégagés de tout ce sable qui les encombre. 

– Pfiou, pfiou. Sachez, jeune homme, que cette « fâcheuse position », comme vous dites, m’est très confortable ! Néanmoins, je peux bien faire semblant de vous écouter un instant…

– Saviez-vous, Monsieur l’autruche, que les francophones de langue d’usage sont près de devenir minoritaires dans l’île de Montréal, du moins si on lit correctement les résultats des derniers recensements ? Aussi, selon le Conseil supérieur de la langue française (CSLF), la part de la main-d’œuvre travaillant généralement en français dans les entreprises privées sises sur ce territoire a chuté de 45,3 % à 32,1 % entre 1989 et 2010.

– Pfiou. Comme vous êtes alarmiste ! On pourra toujours faire dire ce qu’on veut aux chiffres… Et puis, même si un jour, hypothétiquement, le français n’était plus du tout parlé dans les foyers ou au travail, il n’en serait pas moins vigoureux dans l’espace public, parole d’autruche, pfiou, pfiou ! La preuve : une vaste majorité de gens affirment « comprendre » la langue ! N’est-ce pas réjouissant ? Voilà tout ce qu’il faut savoir pour apaiser les angoisses irrationnelles que vous semblez entretenir…

– Sachant que plus de 200 000 immigrants, surtout concentrés à Montréal, ne parlent pas un mot de français, selon l’Institut de recherche en économie contemporaine, et sachant que la quasi-totalité de nos compatriotes allophones échouent ou abandonnent leurs cours de francisation, du moins pour les quelques-uns qui utilisent ces services, comme l’a relevé la Vérificatrice générale, il y a pourtant lieu de s’interroger… À quel point « comprennent »-ils vraiment le français ? De toute façon, peut-on sérieusement considérer la « compréhension » du français comme un gage de pérennité ? D’autant qu’à la lumière d’une autre étude du CSLF, une importante proportion d’allophones (44 % dans le cas des non-francotropes) se contentent d’utiliser l’anglais dans l’espace public…

– Évidemment, tout n’est pas parfait… Mais, ne vous en déplaise, comme le dit si bien monsieur Couillard, « le français se porte bien au Québec ». Pfiou.

– Mais alors, que dire du déclin réel et projeté du poids du français comme langue d’usage au Canada : de 25,7 % en 1971 à 20,3 % en 2016, et à 17,6 % en 2056 ? 

– Allons ! Ce n’est pas bien grave… Restons joviaux. Après tout, ce n’est pas comme si nous allions disparaître complètement ; nos petits-enfants seront encore capables de parler français… Alors pourquoi s’en faire ? 

– Sans causer notre disparition, il reste que tout cela ne peut qu’éroder dangereusement le statut du français comme langue commune et officielle ! Nos institutions et notre espace public se bilinguiseront et s’angliciseront davantage, à commencer par la région métropolitaine. Surtout, le poids politique et démographique des francophones ira en s’amenuisant. Immanquablement, si rien n’est fait, nous assisterons progressivement à la folklorisation de la culture québécoise, de plus en plus confinée aux régions.  

– Michel C. Auger l’a dit : ce ne sont là que des « mythes », point barre ! Il n’y a que les ayatollahs de la langue et autres illuminés du Mouvement Québec français pour croire à ces histoires de peur… La loi 101, cette grande loi canadienne comme l’affirmait Stéphane Dion, est là pour nous protéger ! D’ailleurs, il y a toujours l’obligation pour les enfants issus de l’immigration de fréquenter l’école primaire et secondaire française !

– Auriez-vous oublié que chaque chapitre de cette loi fut successivement massacré à la tronçonneuse par les tribunaux canadiens, en vertu d’une Constitution que nous n’avons jamais ratifiée ? D’autre part, vous semblez ignorer que les effets bénéfiques de la fréquentation obligatoire du primaire et du secondaire français se trouvent en bonne partie annulés du fait du grand nombre d’allophones qui décident de poursuivre aux études postsecondaires en anglais. Parmi ces derniers, 75 % gagneront ensuite leur pain dans cette langue, tel que démontré par l’Institut de recherche sur le français en Amérique.   

Et puis, en quoi serait-il illégitime de vouloir renverser les tendances lourdes, avérées scientifiquement, et les injustices structurelles qui affaiblissent le fait français chez nous ? Sans compter les petits et grands reculs qui en sont à la fois les symptômes et les catalyseurs, et qui se répercutent dans notre vie quotidienne, jusqu’à rabaisser notre langue commune au rang de langue facultative, le plus souvent de manière illégale… Systématisation des services bilingues dans l’appareil public québécois ;usage répandu de l’anglais et du “bilingue” dans les comptoirs commerciaux ; présence accrue de la langue de Richler dans l’affichage ; généralisation de l’exigence de maîtriser l’anglais à l’embauche ; difficulté d’accès à des documents et outils de travail en français dans les secteurs techniques ; recul de l’offre culturelle francophone ; hypertrophie des institutions d’enseignement supérieur anglophones et anglicisation de l’offre de cours des cégeps et universités de langue française ; non-exemplarité de nos institutions et de nos dirigeants politiques qui, par anglomanie ou clientélisme, n’hésitent pas à bafouer l’esprit de la loi 101, etc.

– Pfiou, pfiou. Laissez-moi tranquille avec vos légendes urbaines ! Cette boulimie d’anecdotes insignifiantes que vous me balancez randomly, tout comme le mélodrame autour du « Bonjour-Hi », m’empêchent de profiter en paix de la douceur du sable chaud qui, douillettement, berce ma matière grise. Quoi qu’il en soit, c’est bien connu : c’est en embrassant l’anglais que les francophones pourront enfin s’épanouir et « se faire respecter », comme l’affirmait récemment une animatrice de Radio-X… Arrivez au XXIe siècle ! Pfiou, pfiou.

– Eh, misère… À vous entendre, Monsieur l’autruche, je crois bien qu’à force de s’enfoncer la tête dans le sable, à force de tout banaliser, c’est le Québec français qui, un jour, ne sera plus qu’une anecdote de l’histoire.

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