Chronique

Le péril jeune du Parti québécois

D’abord, établissons les termes générationnels : la génération Y, la génération X et les baby-boomers. Les Y sont nés entre 1980 et 1994. Les X, entre 1960 et 1979. Les boomers, avant 1960.

Ensuite, rappelons les scores électoraux du Parti québécois lors des sept dernières élections générales.

1994 : 44 % (victoire, gouvernement majoritaire)

1998 : 42 % (victoire, gouvernement majoritaire)

2003 : 33,24 % (défaite, PLQ majoritaire)

2007 : 28,35 % (défaite, PLQ minoritaire)

2008 : 35,17 % (défaite, PLQ majoritaire)

2012 : 31,95 % (victoire, gouvernement minoritaire)

2014 : 25,38 % (défaite, PLQ majoritaire)

La glissade est là, impossible à ignorer, chiffrable. Les plus ardents militants du PQ vous expliqueront avec optimisme que Québec solidaire, Option nationale et la Coalition avenir Québec (et avant elle, l’Action démocratique du Québec) grugent le steak électoral péquiste.

Et c’est vrai.

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Mais des chercheurs du Centre pour l’étude de la citoyenneté démocratique ont lancé un missile dans le ciel politique récemment en décortiquant les allégeances politiques* des trois principales générations qui votent : les Y, les X et les boomers. Mauvaise nouvelle pour le Parti québécois : la génération montante, ceux qui ont entre 20 et 36 ans, boude le Parti québécois.

Les Y sont moins attachés au Québec et n’ont pas d’attrait particulier pour la souveraineté. Et ils ne tripent pas sur l’identitaire, un terrain que le PQ occupe avec la CAQ.

Les chercheurs Valérie-Anne Mahéo (UdeM) et Éric Bélanger (McGill) ont décortiqué les résultats d’un sondage Léger mené auprès de 1517 électeurs québécois juste après le scrutin de 2014. Ils ont recoupé ces résultats avec d’autres études sur les comportements électoraux des Québécois. Et leurs conclusions pointent vers ce qu’on soupçonne depuis longtemps : le PQ est un parti générationnel, un parti principalement porté par les boomers et les X… Mais les jeunes, eux, désertent le parti fondé par René Lévesque.

Les premiers Y ont commencé à voter après le référendum de 1995 : ils n’ont pas grandi dans les chicanes constitutionnelles et pour eux, le référendum de 1980 est évidemment du matériel de livres d’histoire.

Ils sont davantage issus de l’immigration (25 %) que les boomers (12 %). Des trois générations, ce sont les Y qui démontrent, écrivent Mahéo et Bélanger, le plus bas niveau d’attachement au Québec : 44 % seulement se disent « très attachés » au Québec, contre 70 % des baby-boomers. (Ils ne sont pas particulièrement attachés au Canada non plus.)

Je cite les auteurs : « Le bas niveau d’attachement au Québec parmi la jeune génération constitue une des plus grandes surprises dans nos données, ils contredisent les attentes face au sentiment nationaliste chez les jeunes. » La génération Y est également la moins enthousiaste des trois devant l’idée de donner plus de pouvoirs au Québec, dans le Canada.

L’attachement au Québec est plus marqué chez les X et les boomers : cela assure une forme de base électorale au Parti québécois… Une base qui s’érode de façon marquée chez les Y qui ont aujourd’hui entre 22 et 36 ans : s’ils ont le choix entre voter PQ et voter Québec solidaire, les Y sont plus enclins à voter QS. « En 2014, les données montrent qu’au minimum, le PQ n’était pas vu comme une alternative progressiste » par les Y.

L’aventure identitaire péquiste incarnée par la Charte des valeurs québécoises a fait mal au gouvernement de Pauline Marois, notent les chercheurs : « La plus jeune génération de Québécois semble être la plus “multiculturaliste” dans ses vues sur l’intégration des immigrants. » Ainsi, seulement 53 % des électeurs Y qui ont voté PQ en 2012 ont voté de nouveau PQ en 2014 (contre 71 % de taux de rétention chez les boomers).

En revanche, 77 % des Y qui ont voté QS en 2012 ont voté pour ce parti en 2014. « Cela démontre l’incapacité du PQ à développer l’appui et la loyauté des plus jeunes électeurs », écrivent les auteurs.

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Les chercheurs Mahéo et Bélanger – en s’appuyant sur leurs chiffres et sur une autre étude démographique – ont trouvé une date de péremption électorale au PQ : 2034.

Il est toujours hasardeux de faire des prédictions en politique. La politique est pleine de surprises. Mais la démographie, il faut le reconnaître, a la tête dure. Qu’importe, ayant grandi dans un Québec où le PQ a toujours existé, j’ai de la difficulté à imaginer que ce grand parti puisse entrer dans sa phase terminale.

Ce qui m’est plus difficile encore à imaginer, ce sont les raisons qui poussent le PQ à porter bien haut le drapeau identitaire : les plus jeunes électeurs, à l’évidence, s’en fichent pas mal. L’indépendance n’a pas la cote chez les Y, mais on voit mal le PQ renier sa raison d’être.

Sauf qu’en misant sur l’identitaire – de la Charte aux bombes sous les burqas évoquées par Jean-François Lisée –, le PQ s’adresse aux plus vieux des électeurs. Il porte un thème qui rebute les jeunes.

En plus, les péquistes utilisent à tout vent « multiculturaliste » comme une insulte qui clôt tous les débats, alors que les Y sont… multiculturalistes.

Peut-être est-ce ainsi que les partis meurent.

* Is the Parti québécois bound to disappear ? A study of the generational dynamics of electoral behaviour in contemporary Quebec

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