COVID-19

Les rapaces

Mardi soir dernier, il devait être 19 h, le téléphone a sonné. On a fait la gueule vu que seuls des vendeurs du Maroc ou de l’Inde nous appellent sur la ligne résidentielle.

« Bonsoir ! Ici Madame Machin chose de la clinique Astro Machin truc. J’ai vu quelque chose de préoccupant à votre sujet. C’est en lien avec la COVID-19. J’aimerais vous offrir une consultation. Mais pour cela, j’aurais besoin de votre numéro de carte de crédit.

— On vous remercie, Madame Machin chose, mais nous avons une longue relation de confiance avec Jojo Savard. Si jamais on veut savoir si le coronavirus risque de nous frapper, nous allons appeler notre bonne amie ! »

Nous vivons une crise majeure. Nous traversons une période très difficile. Nous sommes vulnérables. Nous avons la bonté facile. Mais pour les rapaces, c’est le moment de quitter leurs nids collés aux falaises et de venir planer au-dessus des plus faibles.

Je dis les rapaces, mais je pourrais aussi utiliser les termes pourris, crapules, charognards, racailles… Il y a tant de mots pour décrire ces fraudeurs qui, alors que le monde tente de se souder pour mener un grave combat, ne pensent qu’à profiter de la crédulité des gens.

Dès les premiers signes de la COVID-19, en janvier, on a vu apparaître des scénarios de fraude plus ingénieux les uns que les autres partout dans le monde. Au cours des dernières semaines, ceux-ci se sont multipliés et sont arrivés chez nous.

Vous voulez des exemples ?

– Des professionnels se présentent à votre domicile pour vous proposer un test de dépistage ou une opération de décontamination dans votre maison ;

– des entreprises offrent des services de nettoyage des conduits ou des filtres à air pour vous protéger de la COVID-19 ;

– des représentants d’entreprises locales et provinciales d’hydroélectricité menacent de couper l’électricité pour non-paiement ;

– des représentants de l’Agence de la santé publique du Canada prétendent que vous avez obtenu des résultats positifs à un test de dépistage de la COVID-19 (ils vous amènent à confirmer vos numéros de carte de crédit pour une ordonnance) ;

– des représentants de la Croix-Rouge et d’autres organismes de bienfaisance connus vous offrent des articles médicaux gratuits (masques, thermomètre, etc.) contre un don ;

– des conseillers financiers vous encouragent à investir dans de nouvelles actions prometteuses liées à la COVID-19.

Et mon préféré : 

– des représentants de centres de prévention des maladies ou de l’Organisation mondiale de la santé offrent de vous vendre des listes des personnes atteintes de la COVID-19 dans votre quartier.

Il y a aussi des textos de la Croix-Rouge prétendant offrir des masques gratuits, des appels exigeant un paiement pour des tests de dépistage de la COVID-19, de fausses publicités dans la section Marketplace de Facebook et sur Kijiji qui proposent du désinfectant et des masques.

Plus près de nous, Hydro-Québec a mis en garde la population contre des messages frauduleux (de faux avis) qui offrent des hyperliens menant vers des sites grâce auxquels on peut obtenir des remboursements.

Finalement, il y a l’offre mirobolante d’un « vaccin miracle » qui a dû, on s’en doute bien, être fabriqué en un temps record et dans le plus grand secret. La justice fédérale américaine s’est attaquée à ce fléau en ordonnant, le 21 mars dernier, la fermeture d’un site internet (coronavirusmedicalkit.com) qui proposait un faux vaccin.

Je pourrais continuer comme ça très longtemps. Une liste exhaustive de ces arnaques est publiée par le Centre antifraude du Canada. La Sûreté du Québec publie aussi régulièrement des mises en garde sur les réseaux sociaux.

Le spécialiste en cybersécurité Steve Waterhouse n’est pas du tout surpris d’assister à cette offensive agressive des arnaqueurs. 

« Chaque fois que nous traversons une période difficile, je pense aux attentats du 11-Septembre, aux tsunamis, aux feux de forêt, c’est la même chose. Nous sommes actuellement tous fébriles. Ces malfaisants profitent de cela. Leur imagination est très fertile. »

— Steve Waterhouse, spécialiste en cybersécurité

Le but premier des arnaqueurs est bien sûr de soutirer de l’argent aux victimes. Si plusieurs fonctionnent de manière isolée, d’autres opèrent à l’intérieur de grandes organisations. « Il y a ce que j’appelle les “vendeurs d’huile de serpent”, mais il y a aussi des groupes appartenant au crime organisé. Ceux-ci sont principalement basés en Russie, en Iran et en Corée du Nord », explique Steve Waterhouse, également chargé de cours au microprogramme en maîtrise de l’Université de Sherbrooke en sécurité de l’information.

Isolés ou en groupes, ces charlatans ont souvent recours à l’envoi massif de pourriels pour atteindre leurs proies. « Sur tous les sites créés depuis janvier qui incluent la mention COVID-19 dans leur nom de domaine, la moitié sont malveillants », dit Steve Waterhouse.

Je le répète : nous sommes vulnérables, nous avons le cœur sur la main, nous voulons aider. Nous sommes isolés. Nous avons besoin de vérifier des choses. Nous avons besoin de nous coller sur la vérité. Et c’est à ce moment que les rapaces décident d’agir.

Je vous ai parlé des moyens « dernier cri » des fraudeurs en cette ère de la COVID-19, mais les vieux trucs classiques demeurent. Vous savez, les fameux courriels « d’un ami en détresse ». J’en ai reçu deux cette semaine, dont un d’une certaine Mimi.

« Bonjour ! J’espère que tu vas bien. Malheureusement, de mon côté, ce n’est pas trop la grande forme. C’est la raison pour laquelle je te contacte ce matin. J’aimerais que tu me rendes un service assez urgent s’il te plaît. Je reste en attente pour te lire rapidement par courriel, car je suis injoignable sur mon téléphone en ce moment. Merci ! Mimi ! »

On a tous eu le fantasme d’avoir cette Mimi devant nous pour lui balancer notre mépris en pleine face. Mais cette Mimi, cette fille préfabriquée au prénom aussi racoleur qu’universel, cette poupée gonflable de l’escroquerie, existe à travers une bande de minables sans visage.

Nous pensions devoir combattre une crise sanitaire et économique sans précédent en restant cloîtrés dans nos maisons. Mais nous avions oublié que notre siècle offre tous les droits aux rapaces, même celui de transgresser notre confinement.

Pour se protéger des fraudes

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