Le long combat contre la COVID longue

Officiellement, ils font partie des patients « rétablis ». Mais à la loterie de la COVID, ils ont pigé le mauvais numéro : celui de la mystérieuse COVID longue, dont on parle peu, bien qu’elle pourrisse la vie d’au moins 10 % des patients. Notre chroniqueuse s’est entretenue avec des patients qui témoignent de leur long combat.

« Ça prend un “wake-up call” »

Lorsqu’elle a appris qu’elle était atteinte de la COVID-19 à la suite d’une énième éclosion dans le milieu de soins palliatifs où elle travaillait, la Dre Anne Bhéreur ne s’est pas inquiétée outre mesure.

À 45 ans, sans antécédents médicaux, alors qu’elle a toujours eu de l’énergie à revendre pour mener de front sa vie de médecin de famille et de mère, elle était persuadée qu’après 10 jours de congé, ce serait réglé. Elle pourrait retourner à sa vie d’avant, se disait-elle.

Et pourtant, près de cinq mois plus tard, rien n’est réglé. La médecin garde encore de lourdes séquelles de la maladie contractée à la mi-décembre. Elle a du mal à parler. Elle a du mal à marcher. Elle a du mal à se concentrer. Elle est essoufflée au moindre effort.

La Dre Bhéreur fait partie des patients malchanceux qui, pour des raisons encore mystérieuses, souffrent de la COVID longue durée. C’est une forme de la maladie au spectre très large et encore mal défini. Elle affecterait de 10 à 30 % des personnes ayant été atteintes par la COVID-19, des semaines à des mois suivant la phase aiguë, même si elles ont eu au départ une forme légère de la maladie et n’avaient aucun autre problème de santé. Au Québec, on recense quelque 350 000 personnes infectées, on parle donc d’au moins 35 000 personnes.

Pour se parler, on a convenu d’une entrevue vidéo en matinée. Parce qu’au téléphone, il lui est pénible de se faire comprendre. Après chaque mot ou presque, elle doit faire une pause pour reprendre son souffle. Et plus la journée avance, pire c’est.

Avec le temps, elle voit de lentes améliorations. « Pendant la période aiguë, pour une seule minute de FaceTime pour rassurer mon conjoint, il me fallait une heure pour récupérer. »

Maintenant, c’est un peu mieux, murmure-t-elle. « Mais ça demeure quand même très, très lent. »

L’histoire de la Dre Bhéreur traumatise tous ceux qu’elle croise, des voisins dans la ruelle au personnel médical. Même pour des professionnels de la santé, cela demeure une immense surprise de voir quelqu’un d’aussi jeune et en santé avoir des séquelles post-COVID aussi importantes.

Une immense surprise et un grand mystère, car on en sait encore trop peu sur la COVID longue. Pour Amina, 29 ans, qui souffre de fatigue chronique et de migraines qui la clouent au lit depuis qu’elle a eu ce qu’elle croyait être une forme légère de COVID-19 en octobre dernier, le fait de ne pas savoir ce qui l’attend et d’être devant des médecins qui n’en savent pas beaucoup plus qu’elle est une grande source d’anxiété.

« C’est extrêmement souffrant psychologiquement. Je me sens comme une larve dans le fond du lit. Le plus difficile, c’est la peur de rester comme ça. Parce que le médecin me dit : “Je ne sais pas quoi faire pour te soigner…” J’ai eu des épisodes où je me suis dit : “Si je reste comme ça toute ma vie, je vais me suicider.” »

— Amina, 29 ans, atteinte de la COVID longue

La Dre Bhéreur comprend la détresse qu’une situation aussi pénible peut engendrer. « Pour beaucoup de patients, le fait que l’on ne trouve rien avec les tests est un élément anxiogène. Et c’est normal. Parce qu’on n’a pas de réponse. Mais dans mon esprit médical, le fait que jusqu’à maintenant, la plupart de mes tests soient normaux, c’est une bonne nouvelle. Ça me rassure sur la réversibilité du phénomène actuel. »

Le silence des autorités

Ce qui ne la rassure pas, en revanche, c’est le long silence du gouvernement et de la Santé publique au sujet des patients atteints de COVID longue.

Pourquoi ces patients sont-ils invisibles dans les statistiques officielles ? Pourquoi ne parle-t-on toujours que de « cas », de « morts » et de « rétablis » ?

« Pourquoi donc les séquelles ne font-elles pas partie du message des autorités ? Je ne comprends pas… »

— La Dre Anne Bhéreur

Parler de la COVID longue pourrait servir de mise en garde à ceux qui croient à tort qu’ils sont jeunes et donc invincibles et qu’ils peuvent bouder les consignes sanitaires. Cela permettrait aussi de veiller à offrir une meilleure prise en charge aux patients officiellement « rétablis » alors qu’ils ne le sont pas, dit la Dre Bhéreur, la voix brisée par l’émotion. « C’est sûr que ça fait mal pour les gens qui sont chez eux de se voir considérés comme rétablis, alors qu’ils ne comprennent pas ce qui se passe. »

Ce qui la peine, ce n’est pas sa propre situation. « Je suis vraiment raisonnablement convaincue que ça va se résoudre. La variable inconnue, c’est le temps. »

Mais elle se désole de voir des patients qui se sentent complètement abandonnés ou se font dire par leur médecin que c’est « dans leur tête ». Surtout quand il s’agit de femmes. « Ce n’est pas clair encore, mais il y a probablement une prédominance de femmes d’âge moyen qui sont atteintes de COVID longue. Donc c’est sûr que l’élément “hystérie” arrive rapidement. »

Comment se fait-il qu’encore si peu de ressources sont offertes aux milliers de patients aux prises avec la COVID longue durée ?

Anne Bhéreur, qui participe à un projet de recherche de l’Institut de recherches cliniques de Montréal sur la COVID longue, en a dressé la liste.

« C’est une peau de chagrin. Dans tous les cas, à ma connaissance, il s’agit de projets presque individuels de médecins qui ont très peu de ressources. Cela n’a aucun sens vu l’ampleur du problème. Ça prend un “wake-up call” sur le terrain, et non un “wake-up call” structurel au Ministère qui va prendre six mois à descendre. »

— La Dre Anne Bhéreur

La Dre Bhéreur peut compter sur le soutien de sa famille et de ses collègues pour traverser cette épreuve. Mais elle ne peut s’empêcher de se demander comment vont s’en sortir des gens déjà vulnérables ou précaires dans la même situation. Certains finiront par récupérer avant la mise en place de ressources. Mais à quel prix ? « La préposée aux bénéficiaires en agence qui l’a attrapée de sa fille à l’école et qui est mère seule, elle fait quoi ? »

Même si la situation est connue depuis longtemps, offrir une meilleure prise en charge ne peut pas se faire instantanément, elle en convient. « Toutefois, il demeure à mon avis inacceptable que le gouvernement ne tienne pas compte publiquement et quotidiennement de cette variable dans la gestion de la pandémie. »

Son rythme est celui d’un escargot, dit-elle. Mais plus le temps passe, plus elle se demande qui est le plus escargot des deux.

Les poumons en compote

« Vous devez rentrer au travail demain matin. »

C’est ce qu’on a dit à l’enseignant, qui se bat contre la COVID longue depuis près d’un an.

Il a beau avoir des poumons en compote, être immunosupprimé et avoir des mises en garde de son médecin soulignant que c’était une très mauvaise idée, en pleine troisième vague, de retourner à temps plein dans une classe mal ventilée, il a dû se battre, avec l’aide de son syndicat, pour faire casser cette décision insensée.

« Mes poumons fonctionnaient à 50 %. Mon médecin m’a averti : attraper le variant, ça veut dire aller probablement aux soins intensifs. »

Appelons-le Philippe. Il aimerait bien raconter son histoire à visage découvert. Mais son devoir « de loyauté » l’en empêche, ce qui participe au problème qu’il dénonce.

« Cela n’a pas de sens de ne pas pouvoir en parler librement. Ça fait l’affaire de l’employeur. Parce que le jour où on va donner la liberté de parole totale aux employés, on serait peut-être surpris de la quantité d’histoires qui ressemblent à la mienne. »

— Philippe, enseignant

Pour cet enseignant passionné, bien malheureux lui-même de devoir être en congé de maladie pour la première fois de sa vie, le réel manque de loyauté est ailleurs.

« Je trouve ça extrêmement dommage que l’on soit obligé de se battre pour faire reconnaître la maladie. En contexte de pénurie de personnel, ce que je comprends, c’est qu’il y a un mot d’ordre qu’il faut renvoyer les profs au travail coûte que coûte. »

Au cabinet du ministre de l’Éducation Jean-François Roberge, on assure qu’il n’en est rien. « Il n’y a absolument pas de mot d’ordre en ce sens. La santé et la sécurité du personnel, c’est très important », dit Claudia Landry, directrice des communications.

L’enseignant reste sceptique. « Je trouve extrêmement frustrant d’entendre le ministre Roberge banaliser toute l’histoire de la qualité de l’air dans les classes. » Rien qui donne à croire que tout a été fait pour protéger la santé et la sécurité des enseignants comme lui.

* * *

Les aventures de Philippe dans le monde mystérieux de la COVID longue ont commencé il y a un an, lorsqu’il s’est présenté dans une clinique de dépistage. Son ex-conjointe, qui travaillait en zone rouge et avec qui il partage la garde des enfants, avait des symptômes. Dès qu’il l’a su, il a suivi les recommandations de la Santé publique et est allé passer un test de dépistage avec eux. Résultat : négatif pour lui ; positif pour eux.

« C’était un faux négatif. Probablement que je me suis fait tester trop rapidement. C’est important dans l’histoire. Parce qu’à partir du moment où l’on est en contact étroit avec des personnes qui ont eu la COVID mais que notre test est négatif, c’est très difficile d’être pris au sérieux par la suite. »

Au début, ses symptômes n’avaient rien de trop inquiétant. Une grosse fatigue. Puis, il s’est mis à avoir des problèmes pulmonaires importants. Du jour au lendemain, ce quadragénaire sportif qui fait de la course à pied depuis des années était essoufflé au moindre effort. Des gestes aussi banals que de soulever le bac de recyclage ou une valise lui coupaient le souffle. Il était aussi incapable de courir et de faire du vélo.

Un médecin l’a envoyé faire une radiographie. « Cela montrait clairement qu’il y avait une inflammation au niveau des poumons. Et que c’était probablement dû à un virus. »

Loin de rentrer dans l’ordre, les problèmes se sont aggravés durant l’été. Si bien que l’enseignant n’a pu être présent à la rentrée scolaire. Fin août, alors qu’il avait repris le vélo tranquillement, il a eu un épisode de détresse respiratoire en pédalant dans une côte peu abrupte. Il sentait son bras gauche engourdi. Il s’est précipité à l’hôpital, persuadé qu’il faisait une crise cardiaque. On l’a hospitalisé. Il a passé une batterie de tests, rencontré de nombreux médecins spécialistes.

« C’est clair que vous avez eu la COVID », a finalement tranché l’un d’eux.

Même si c’était clair, pour le bureau de santé de son centre de services scolaire, il semble que ce n’était pas si clair. Pour pouvoir avoir droit aux assurances, il a fallu invoquer les lourds problèmes de santé psychologique qui découlent de ses problèmes de santé physique.

« Le diagnostic de trouble d’anxiété généralisée et de trouble d’adaptation, c’est dans le DSM. Alors que la COVID longue, c’est nulle part, même si j’ai les poumons en compote… Quand on doit se battre pour que notre employeur nous comprenne enfin, qu’il ne pense pas que l’on joue la comédie mais que l’on est bien malade pour vrai, cela n’a aucun sens. »

— Philippe, enseignant

Comme la Dre Bhéreur, l’enseignant s’interroge sur le long silence des autorités concernant les patients comme lui. Bien qu’ils soient des milliers, ils demeurent invisibles et n’ont que peu de ressources vers lesquelles se tourner.

« Dans aucune conférence de presse, François Legault, le DHoracio Arruda, Christian Dubé n’ont parlé de la COVID longue dans le détail. Pourquoi ? »

Des connaissances limitées

Comment expliquer le silence des autorités au sujet de la COVID longue et l’absence de ressources suffisantes pour les patients qui en sont atteints ?

« Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) s’intéresse aux signes et symptômes post-COVID et est sensible aux personnes qui en sont touchées. Les connaissances sont toutefois encore limitées au sujet des séquelles à long terme de la COVID-19 chez certaines personnes et du traitement de celles-ci. Il importe donc de développer des connaissances afin d’en apprendre davantage sur les approches thérapeutiques à privilégier », indique par courriel Noémie Vanheuverzwijn, porte-parole au MSSS.

Le MSSS a récemment interpelé l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) à ce sujet, souligne-t-on. Il a aussi soutenu la mise en place de cliniques post-COVID. On en trouve deux au Québec pour le moment, soit la clinique de recherche IRCM post-COVID-19 à Montréal, qui croule sous la demande depuis son ouverture en février, et la clinique ambulatoire post-COVID à Sherbrooke.

« Ces cliniques ont un mandat axé principalement sur la prise en charge et la recherche, afin d’établir quelles sont les causes des symptômes post-COVID persistants et quelles seraient les meilleures approches de traitement pour les patients qui en souffrent. »

Une personne présentant des symptômes persistants ou des séquelles de la COVID-19 peut toujours obtenir des soins et des services auprès de son médecin de famille, si aucune clinique post-COVID n’est implantée près de chez elle, précise-t-on.

Services en réadaptation

Le CISSS de la Montérégie-Ouest a annoncé cette semaine la mise en place des premiers services en réadaptation au Québec pour les personnes atteintes de symptômes persistants de la COVID-19. Dans un contexte où il semble y avoir une aggravation des symptômes ou une rechute après un effort physique ou mental lorsque les patients reprennent leurs activités trop rapidement, ces services offerts par une équipe multidisciplinaire, en collaboration avec le Centre de recherche sur la réadaptation axée sur les patients de l'Université de Sherbrooke, visent à encadrer la réadaptation de façon sécuritaire afin d’améliorer la qualité de vie des personnes atteintes de COVID longue. Des patients qui se sentent abandonnés réclament qu’une prise en charge puisse être offerte partout dans la province. Une pétition a été lancée pour que soit mise sur pied une clinique post-COVID à Québec, durement touchée par la troisième vague.

Reconnue par la CNESST

La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) dit reconnaître la COVID-19 longue durée en tant que lésion professionnelle pour les travailleurs qui auraient été infectés dans le cadre de leur travail.

En date du 25 avril 2021, 24 634 réclamations liées à la COVID-19 ont été acceptées par la CNESST. La majorité des réclamations acceptées concernaient toutefois des lésions de courte durée.

Les symptômes de la COVID longue

Parmi les symptômes rapportés le plus fréquemment par les patients atteints de la COVID longue, des semaines à des mois suivant la phase aiguë, même s’ils ont eu une forme légère de la maladie :

Fatigue

Dyspnée, essoufflement, douleur thoracique, toux, arythmie cardiaque

Anosmie, céphalées, troubles de mémoire ou de concentration

Anxiété, dépression et symptômes du trouble de stress post-traumatique

Troubles du sommeil

Douleurs musculaires et articulaires

De 20 à 30 % des personnes ayant eu la COVID-19 présenteront au moins un symptôme au-delà de quatre semaines.

Chez 10% d’entre elles, certains symptômes persisteront pendant plus de 12 semaines.

Source : INESSS, Office for National Statistics UK

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